Le commerce a baissé d’intensité au Centre artisanal Adama Goudiaby de Ziguinchor, où les artisans peinent à écouler leurs produits, faute de clients. Divers facteurs dont la fermeture de l’aéroport de Ziguinchor, la rareté des matières premières, la crise que traverse la région, expliquent cette baisse selon les pensionnaires de ce lieu de négoce.Par Khady SONKO – 

Aucune silhouette d’un seul touriste en ce lundi 25 août 2025 au Centre artisanal Adama Goudiaby de Ziguinchor. Les estivants européens, jadis principaux clients du centre, se font désirer. Selon les témoignages des pensionnaires de ce lieu de négoce, peu d’Africains et encore moins de nationaux achètent les produits artistiques. A les en croire, nombreux sont les locaux qui méconnaissent le centre, où règne une ambiance morose. Ce calme inquiétant est cassé de temps en temps par le bruit timide des sculpteurs, polisseurs, couturiers du lieu, ou tout simplement leurs causeries.
Dans l’un des ateliers, Sidy Niang, 38 ans, sculpte le bois pour faire des objets d’art dont des masques, depuis son enfance. «L’activité ne marche pas. Même durant la saison, c’était pareil. C’est peut-être lié aux avions, à la cherté des billets. Pendant la saison, les principaux clients sont des Français. A cette période, ce sont les Français qui viennent d’habitude. Mais cette année, il n’y en a pas beaucoup», a affirmé Sidy Niang. Ce témoignage unanime au Centre artisanal Adama Goudiaby de Ziguinchor sonne comme un cri du cœur. Tous les pensionnaires de ce lieu de production, d’exposition et de commercialisation de produits d’art se plaignent de la rareté des touristes. Pourtant, que de beaux objets exposés dans les ateliers. «On a des problèmes pour vendre nos produits. La situation empire d’année en année. Le taux de fréquentation du centre a diminué», a renchéri Insa Seydi de la Chambre des métiers de Ziguinchor.

L’absence de touristes freine les activités
Prudence Manga, teinturière, couturière, transformatrice, surnommée «Maîtresse des poupées», se bat pour pouvoir satisfaire ses besoins. «On se débrouille, mais il n’y a pas de clients. On n’a pas de financement, ni de la Der ni d’aucune autre structure. Il n’y en n’a jamais eu pour les artisans. On travaille avec nos propres moyens. Parfois, nous avons des difficultés pour payer le loyer des cantines», a souligné Mme Ehemba.

La situation du centre artisanal est l’une des conséquences du conflit armé en Casamance. «Le taux de fréquentation a baissé à cause de l’insécurité. Les promoteurs avaient peur d’amener des clients pour ne pas avoir des problèmes par la suite», explique M. Seydi. «L’activité ne marche pas tellement, cela rapporte peu parce qu’il n’y a pas beaucoup de touristes», a indiqué Khady Sagna, couturière dans ce centre depuis plus de 10 ans, où elle propose des habits, chapeaux d’art, entre autres.

Appel à l’ouverture de l’aéroport de Ziguinchor
La fermeture de l’aéroport de Ziguinchor a un impact négatif sur le centre artisanal. C’est l’avis de Souleymane Sadio. L’artiste est en train de réaliser des oiseaux en bois dans son atelier plein d’objets dont des assiettes à fruits, des statuts, des tam-tams… «C’est la crise ici. Il n’y a pas de touristes, pas d’acheteurs. Cet hivernage, les Espagnols ne sont pas au rendez-vous», regrette le sculpteur. Il blâme la nouvelle politique du nouveau régime qui veut appliquer des visas pour les étrangers. «S’ils appliquent le visa, cela va tuer notre métier. Le touriste qui vient ici laisse ici son argent. Donc si on leur impose un visa, cela va nous handicaper», croit savoir M. Sadio, qui a fait 20 ans dans le métier. Il demande aux autorités de surseoir à cette mesure

de visa et d’ouvrir l’aéroport de Ziguinchor, fermé depuis des années et toujours en cours de rénovation.
«Qu’on ouvre l’aéroport de Ziguinchor et les grands hôtels. Leur fermeture nous handicape beaucoup plus. Le conflit est fini, alors qu’on ne profite pas de cette situation pour continuer à nous handicaper. Il n’y a que des jeunes qui veulent travailler, mais il n’y a pas de débouchés. Qu’on ouvre l’aéroport et qu’on ait un peu pitié des gens», a crié Souleymane Sadio junior, lui aussi sculpteur, partageant le même atelier que son homonyme. «A l’époque, les avions, le bateau, quand ils arrivaient, on recevait beaucoup de touristes qui achetaient. Les jours de départ et de retour du bateau étaient des moments d’écoulement des produits», se remémore Souleymane Sadio.

Difficultés d’accès aux matières premières
L’accès aux matières premières pour tous les corps de métiers constitue l’autre difficulté du centre. Le bois, la peau, l’or, le textile, tout est rare et cher. «Depuis l’événement de Boffa-Bayotte, c’est difficile d’avoir le bois. Et c’est encore plus difficile en période hivernale. Nous sommes d’accord qu’on nous vende le bois, mais qu’on n’y touche pas, là, c’est compliqué pour nous. Si on pouvait collaborer avec les services des Eaux et forêts, cela pourrait nous aider. Nous ne travaillons qu’avec le bois mort. S’ils peuvent amener le bois jusqu’à leurs services pour que nous le vendions, nous sommes preneurs ; on peut aller acheter. Aussi, il faut du bois de qualité pour pouvoir travailler», a plaidé Omar Ntap.

Même son de cloche chez Omar Lam, un des bijoutiers du centre. «Les affaires ne marchent plus tellement. En même temps, la matière première est chère, l’or comme l’argent. Je m’en procure à Dakar et mes fournisseurs l’achètent à l’extérieur», a-t-il indiqué. «Les affaires ne marchent pas cette saison. En plus, la matière première est trop chère ici. On travaille sans faire de bénéfices, parfois on produit à perte. Ce serait bien d’ouvrir une boutique des artisans qui peut vendre tout ce dont nous pouvons avoir besoin pour travailler», a suggéré Mamadou Sèye qui réalise, avec la peau d’animaux, des gilets de sécurité, des sacs, des chaussures…

L’état du centre artisanal est déplorable. Le lieu est vieux et manque d’attrait.
L’on peut même passer devant sans se rendre compte qu’il s’agit du centre artisanal. Peu connu des Ziguinchorois, la visibilité est un défi majeur pour le centre dont la vétusté impacte négativement les produits. Il n’y a que la devanture du centre qui a été réfectionnée. Une partie des cantines de l’intérieur est abîmée. «Ici, cela suinte. Et le bois est infecté. S’il pleut, même en présence d’un client, on est obligés de ranger et de couvrir pour éviter que cela se mouille. Nous demandons à l’Etat de rénover le plus vite possible», sollicite l’artisan Omar Ntap.

Le centre est ceinturé de part et d’autre par des magasins vendant divers produits ou services. Ce qui envahit cet espace de production et de commercialisation de produits d’art. «Ces magasins faisaient partie du centre. Mais au moment des événements de la Casamance, tout le monde était parti parce qu’il n’y avait pas de touristes, il n’y avait rien. C’est ainsi que d’autres ont ouvert leurs ateliers de l’autre côté, en les fermant de l’intérieur, pour pouvoir vendre autre chose sans changer de métier», a expliqué le président de l’Association du Centre artisanal de Ziguinchor, composée d’environ 300 personnes.

Promotion du tourisme et du consommer local
Les artisans appellent à une promotion des produits locaux à travers de nouvelles politiques, des partenariats, entre autres. Ils invitent aussi les locaux et nationaux à consommer les produits made in Sénégal de manière générale et made in Casamance particulièrement. «Le marché est inondé par des produits étrangers et de moindre qualité. Les Chinois sont venus occuper nos marchés, mais nous nous battons pour ne pas disparaître, parce que notre pays ne peut pas dépendre de la production externe pour nos besoins en habillement, vaisselle…

Les productions industrielles venant de l’étranger sont en train de tuer l’artisanat. On est envahis, mais on se bat pour essayer de vivre de ce que produisent nos artisans, parce que cela donne beaucoup d’emplois.
On travaille pour faire face à l’envahisseur. Mais il faut que l’Etat nous aide. C’est possible, le Burkina Faso l’a réussi», dit le guide Insa Seydi de la Chambre des métiers de Ziguinchor.

Pour lui, le beau paysage et les différentes cultures de la Casamance ne suffissent pas pour attirer les touristes. «Il faut savoir vendre la destination à travers la promotion des produits casamançais, montrer les belles choses, les spécificités, les balades en pirogue, la faune, les hôtels… pour inciter les touristes à venir visiter», estime M. Seydi.

Il remercie les amis de la Casamance qui continuent de soutenir l’artisanat dans la région. «Il y a une agence qui amène des Espagnols pendant l’hivernage. Enfin, il y a des locaux qui passent prendre des objets traditionnels, comme le sap qu’utilisent les Mancagnes, des statues», souligne Insa Seydi.
A l’en croire, la nouvelle équipe qui dirige le Centre artisanal Adama Goudiaby de Ziguinchor veut faire revivre l’établissement en aidant tous les métiers à se perfectionner, à s’améliorer à travers des politiques de vente.

«Les braves artisans ont des problèmes d’écoulement de leurs produits. Mais cela peut se résoudre à travers l’accès aux foires extérieures aux niveaux national et international, en collaboration avec les communes, les départements. Il s’agit, avec l’Etat, de voir comment promouvoir les produits du centre», a dit l’artisan.

«On a besoin de partenaires car les touristes seuls ne suffissent pas. L’accès est gratuit. Ceux qui passent visiter peuvent ne pas acheter, et on ne peut pas les obliger à acheter. Si l’Etat, la mairie pouvaient nous aider à avoir des partenaires, nouer des jumelages, ce serait bien», a soutenu Omar Ntap, président de l’Association du Centre artisanal de Ziguinchor. Selon la direction du centre, compte tenu des difficultés d’écoulement liées à la crise que traverse la région depuis plus de 30 ans, 32 artisans ont fermé leurs ateliers tout en conservant les espaces qui leur sont attribués.

Historique du Centre artisanal de Ziguinchor
Ce centre, implanté depuis le 1er avril 1971 sur une aire de 6447 m2, a pour mission principale de fournir de bonnes conditions d’installation aux artisans pour la facilitation de l’écoulement de leurs produits et d’autres actions de promotion. Il comprend à ce jour 12 corps de métiers répartis dans 111 ateliers dont 51 ateliers de sculpture sur bois, 25 ateliers de couture, 11 ateliers de maroquinerie, 10 ateliers de bijouterie, 4 ateliers de tissage, 2 ateliers de teinture, 2 ateliers de fabrication de poupées, 2 ateliers de fabrication de koras, 1 atelier de fabrication de balafons, 1 atelier de coiffure, 1 atelier de vannerie et 1 atelier de fabrication de colliers en perles.
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