Avec Mansour, Pastef riz jaune

Tel un ballon de baudruche, le dossier supposé de surfacturation sur l’acquisition de denrées alimentaires durant le Covid-19 s’est dégonflé de lui-même. Mansour Faye a humé l’air de la liberté ce mercredi 24 septembre 2025. Il était placé sous mandat de dépôt, le 26 mai 2025, pour association de malfaiteurs, concussion, corruption, prise illégale d’intérêts, faux et usage de faux en écritures privées de commerce ou de banque, détournement de deniers publics, blanchiment de capitaux et complicité. L’affaire porte sur une commande de riz d’une valeur estimée à 2, 749 milliards de F Cfa. Alors que plusieurs médias disaient que le maire de Saint-Louis était sous «contrôle judiciaire», un de ses avocats a tenu à préciser qu’aucune mesure de contrôle judiciaire n’a été prise contre lui. «Il est libre de tout mouvement, il peut voyager où il veut, même aller en Australie», a déclaré Me El Hadj Diouf sur la Rfm.
L’ancien ministre du Développement communautaire avait été entendu au fond, le 15 septembre dernier. Lors de l’audition, il a contesté les faits qui lui sont reprochés, et la Commission d’instruction de la Haute cour de juste a admis et accepté les «contestations sérieuses» soulevées par l’accusé. Dans le dossier Mansour Faye, plusieurs témoins ont été entendus et leurs témoignages enregistrés. Lundi 22 septembre, la Commission d’instruction a entendu Aminata Assome Diatta, ancienne ministre du Commerce, qui a réitéré ses propos exprimés publiquement. Déjà en mai dernier, elle disait : «Je prends un exemple sur lequel je ne vais pas trop développer, parce que c’est une procédure pendante en Justice. Je prends le cas du riz sur lequel la Cour des comptes a conclu à une surfacturation en se basant sur un arrêté (ministériel) qui date de 2013. Cela aurait été plus simple pour la Cour des comptes de saisir le ministère du Commerce, auteur de l’arrêté. Si la Cour (des comptes) avait posé la question au ministère du Commerce, elle ne serait pas arrivée à cette conclusion. (…).» Pour la ministre, l’accusation de surfacturation ne tient pas dès lors que nous sommes dans un système de libre administration des prix. «Déjà, le principe, c’est la liberté des prix, et c’est un principe sacro-saint. Ceux qui m’ont suivie quand j’étais ministre, savent que le prix est en troisième position. Ce qui est primordial pour moi, c’est d’abord l’approvisionnement du marché, ensuite la qualité du produit. C’est seulement après qu’il faut parler du prix. Donc, de 2013 à 2020, on ne peut pas avoir le prix du kilogramme de riz à 250 francs. Donc, venir en 2020 dire que c’est l’arrêté de 2013 qui doit s’appliquer, si tu avais posé la question au ministère du Commerce, je pense que beaucoup de choses allaient changer. Il n’était absolument pas possible de vendre à 250 francs.» Elle se défendait de prendre parti pour le beau-frère de l’ex-président de la République. «Je n’ai absolument aucun intérêt à défendre Mansour Faye, les prix les plus bas du marché à cette époque étaient de 275 francs le kilo ! Ce n’était pas possible de vendre à 250. Je ne vais pas dénigrer la Cour des comptes. Comme c’est une affaire de prix, le plus facile était de demander au ministère du Commerce son avis, mais ils ne l’ont pas fait. S’il y a quelque chose que je regrette, c’est ça.»
La Cour des comptes avait conclu à «des allégations de surfacturation non fondées» le… 12 octobre 2023
Le directeur du Commerce intérieur, l’ancien Dage du ministère du Développement communautaire, tous les commerçants présents, ceux qui avaient pignon sur rue dans le commerce du riz, les grands commerçants importateurs de riz… ont donné raison à Mansour Faye. Ainsi, la commission a mené des investigations pour constater qu’il n’y avait aucune raison de poursuivre ou maintenir l’incarcération. «La commission ne pouvait pas continuer à le garder en prison. Le plus important, c’est que nous avons entendu Mansour Faye la semaine dernière. Qu’a-t-il dit ? Il a indiqué que le rapporteur de la Cour des comptes ne maîtrisait même pas les textes en vigueur. On lui disait d’acheter au prix de 2013, alors que nous étions en 2020, sept ans plus tard, avec le Covid. Mansour Faye a sorti une loi obligeant chaque année le ministre du Commerce à revoir le prix du riz», rappelle Me El Hadji Diouf, cité par L’Observateur, qui ajoute : «On continue le combat jusqu’au non-lieu, parce que la commission elle-même a mis Mansour Faye hors de cause. Elle a reconnu que les contestations étaient sérieuses. Nous ne voyons pas pourquoi continuer la poursuite. Nous avons fait 99% du travail. La suite inévitable, c’est le non-lieu. Nous allons déposer la requête dès aujourd’hui. La commission a prouvé l’innocence de Mansour Faye, il n’arrivera donc pas au procès. Le non-lieu sera le couronnement de cette grande victoire.»
La montagne a accouché d’une souris. Ce dossier, il faut le dire et le répéter, n’aurait jamais dû faire l’objet d’ouverture d’une information judiciaire. En effet, après le rapport public sur la gestion des fonds Covid, la Chambre de discipline financière de la Cour des comptes avait instruit le dossier. Concernant le ministère du Développement communautaire, la Cour des comptes, dans un document en date du 12 octobre 2023, avait clairement indiqué : «(…) Aucun élément du dossier ne permet d’apprécier le caractère excessif de la transaction considérée comme onéreuse au regard du prix réel du riz sur le marché en 2020.» Avant d’ajouter : «Dès lors, les allégations de surfacturation fondées sur les écarts entre les prix d’acquisition de la tonne de riz et celui dicté par l’arrêté sont inopérantes, en l’absence d’une appréciation concrète de la réalité du marché par les auditeurs.» Et de conclure : «En conséquence, il n’y a pas lieu de retenir contre (Aliou Sow, ex-Dage) cette infraction.»
Il en sera ainsi avec tous les autres acteurs politiques qui ont été traduits en Justice sur des bases aussi légères pour satisfaire les appétits de vengeance des Pastéfiens. Tous les esprits éveillés savaient que ce dossier ne saurait valoir à quiconque une convocation devant un chef de quartier, à plus forte raison une inculpation.
Les populistes ne reconnaissent que rarement l’échec
Ce revers judiciaire pousse-t-il à accélérer la procédure contre Madiambal Diagne, afin de donner du grain à moudre à cette meute qui réclame plus vengeance que justice ? En effet, la stratégie populiste ne consiste jamais à reconnaître l’échec ou à s’interroger sur la validité de ses accusations. Au contraire, elle se réinvente et s’adapte pour préserver l’image du leader et nourrir la mobilisation de sa base. Après une décision de Justice défavorable, les populistes détournent l’attention en dénonçant un supposé complot du «système», une Justice instrumentalisée ou des manœuvres occultes de l’ancien régime. Ainsi, l’échec judiciaire devient un nouvel argument pour renforcer la défiance envers les institutions et galvaniser la colère populaire. Et des voix s’élèvent déjà, non pour admettre la vacuité des accusations, mais pour dénoncer une Justice pour les nantis. «Attention à ne pas transformer l’Etat de Droit en une Justice au service des riches. Non au Coumba am Ndèye ak… Coumba mou amoul Ndèye», dira la députée Maïmouna Bousso, pour qui «nous assistons à une Justice sévère envers les petits délinquants, mais complaisante envers les grands criminels. A croire qu’il vaut mieux voler des milliards que de voler un bœuf».
Cette transformation de l’échec en cause commune permet aux populistes de présenter la Justice non comme un arbitre indépendant, mais comme un acteur biaisé du combat politique. Ils alimentent le sentiment d’injustice chez leurs partisans, recyclant leur discours autour de la persécution et de la résistance. Au lieu de s’attarder sur les faits ou de proposer des solutions concrètes aux problèmes du pays, la démarche populiste privilégie la victimisation et la polarisation, détournant ainsi le débat public des véritables enjeux économiques et sociaux.
Quand les populistes jugent leurs engagements inatteignables, ils font une reconversion de l’engagement politique en revendiquant la légitimité de la colère sociale. Les populistes ne reconnaissent que rarement l’échec. Ils préfèrent recycler leur discours et reconvertir leurs engagements.
Une promesse irréaliste devient alors un slogan de résistance, un objectif reporté à plus tard, ou un prétexte pour désigner de nouveaux coupables : le système, les supposés voleurs, la France ou encore l’ancien régime. Ce tour de passe-passe politique leur permet de préserver leur crédibilité auprès de leurs électeurs conditionnés au préalable à la haine et dans un univers préfabriqué, tout en entretenant l’illusion d’un combat inachevé. En somme, l’impossible n’est jamais admis comme tel : il est transformé un bilan qui devait être économique en un bilan judiciaire moteur de mobilisation.
Il est temps de laisser la Justice tranquille et de penser enfin à la souffrance des Sénégalais. Aujourd’hui, tout le débat public tourne autour de procès et de procédures alors que les problèmes concrets s’aggravent : l’accès à l’emploi se raréfie, la santé s’effrite, les familles s’appauvrissent. Si nos élites consacrent leur énergie uniquement aux querelles judiciaires, le pays stagnera, et nous, Sénégalais, paierons le prix fort. Nous demandons une priorité claire pour la vie quotidienne des Sénégalais : mesures économiques concrètes, renforcement des services publics et protection sociale. La justice est nécessaire, mais elle ne doit pas occulter l’urgence sociale.
Par Bachir FOFANA