Le débat sur la réalité du niveau d’endettement du Sénégal s’est intensifié depuis la publication du rapport de la Cour des comptes (février 2025) et l’audit de Forvis Mazars commandité par le gouvernement, sous la supervision du Fonds monétaire international (Fmi). Les écarts observés entre les chiffres officiels antérieurs et ceux issus de ces rapports ont conduit à un important besoin de clarification : qu’incluent réellement ces ratios de dette ?

Une partie de l’opinion estime que la dette des établissements et entreprises publiques aurait déjà été intégrée dans les chiffres publiés. Or, une lecture rigoureuse des rapports montre que ni la Cour des comptes ni Mazars n’ont inclus la dette parapublique dans leurs calculs.

Ce que dit la Cour des comptes
Le rapport définitif de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques (gestion 2019-31 mars 2024) distingue de manière explicite la dette de l’Administration centrale de celle du secteur parapublic. Les chiffres sont sans équivoque :
Page 24 – Tableau 19 (Bulletin trimestriel de la dette publique, 1ᵉʳ trimestre 2023) :
• Dette du secteur parapublic : 1381 milliards F Cfa
• Dette de l’Administration centrale : 13 773 milliards F Cfa
• Dette publique totale : 15 754 milliards F Cfa
Cette distinction montre clairement que la dette des entreprises et établissements publics n’a pas été intégrée au calcul du ratio global de la dette publique. Par ailleurs, à la page 44 du rapport, la Cour des comptes indique que l’encours de la dette de l’Administration centrale s’élève à 18 558,91 milliards F Cfa à fin 2023, soit 99, 67% du Pib.

Autrement dit, la Cour des comptes ne prend en compte que la dette budgétaire de l’Etat central, à l’exclusion des passifs du secteur parapublic.

Ce que dit le Fmi
Le communiqué du Fmi du 26 août 2025, publié à la suite de l’audit de Forvis Mazars, précise : «Following the comprehensive reconciliation exercise conducted by Forvis Mazars, the authorities have revised the stock of central government debt from 74.4% to 111.0% of Gdp at end-2023. At end-2024, the revised debt statistics show central government debt reached 118.8 % of Gdp.» — Fmi, communiqué du 26 août 2025 (imf.org).

Le terme «central government debt» confirme que Mazars, comme la Cour des comptes, a limité son analyse à la dette du gouvernement central, sans y inclure les engagements du secteur parapublic. Les ratios compris entre 99% et 118% du Pib concernent donc exclusivement la dette budgétaire directe de l’Etat.
Ce que dit Bloomberg : l’ajout de la dette des entreprises publiques par le Fmi
Selon un article de Bloomberg L.P. daté du 17 octobre 2025, le Fmi a récemment étendu le périmètre d’évaluation de la dette publique pour y inclure les entreprises publi­ques et autres entités parapubliques. «The Imf now includes state-owned enterprises’ liabilities in Senegal’s public debt, which brings the total debt-to-GDP ratio to about 132 percent at the end of 2024.» — Bloomberg, 17 octobre 2025 (bloomberg.com).

Cette nouvelle estimation élève donc la dette publique totale consolidée (Etat + entreprises publiques) à environ 130-132% du Pib, contre 118% pour la dette de l’Etat central seul. Cette révision s’explique par la prise en compte des engagements contingents et des garanties de l’Etat vis-à-vis d’entreprises publiques comme Senelec, Petrosen ou certaines agences d’exécution, souvent endettées auprès de bailleurs multilatéraux ou sur les marchés internationaux.
Conclusion

L’analyse croisée des rapports de la Cour des comptes, de Forvis Mazars et des données du Fmi montre que l’écart entre les ratios de dette du Sénégal -de 99% à 132% du PIb- ne provient pas d’une erreur de calcul, mais d’un changement de périmètre comptable. Les deux premiers rapports se limitent à la dette budgétaire de l’Etat central, tandis que le Fmi, dans son évaluation la plus récente, y a ajouté la dette des entreprises publiques, offrant ainsi une image plus complète mais aussi plus préoccupante de l’endettement global du pays.
Pr Amath NDIAYE
Economiste,
Faseg-Ucad