L’actualité de notre pays, ces derniers jours, ne nous honore pas. C’est même une flétrissure. Une régression inexplicable. Je dois avouer que quand j’écris sur la liberté dans mon pays, fût-ce une seule ligne, je le fais non sans déplaisir. La honte irradie mon corps, et l’acrimonie mon cœur. Car je considère que c’est un exercice superfétatoire auquel je ne dois pas me livrer. Il est vrai que l’idéal démocratique est un combat de tous les jours -en principe, on n’atteint jamais un idéal. Mais une démocratie comme la nôtre doit dépasser le stade embryonnaire où les citoyens continuent de se battre pour la liberté d’expression, où la prison devient une manière de réguler le débat public, où les dirigeants font preuve d’une susceptibilité maladive devant la critique, où des journalistes sont réprimés et arrêtés dans l’exercice de leur fonction. Quand l’idée de démocratie émerge dans les chaumières d’un Peuple, et que les pratiques démocratiques commencent à imprégner le cœur des institutions politiques, l’existence de ce que le politologue américain Robert Dahl -l’un des plus grands théoriciens de la démocratie du XXe siècle- appelle les «sources d’informations diversifiées» est un impératif catégorique. Depuis les années 1980 et 1990, avec l’essor de la presse privée et la fin du monolithisme médiatique, notre pays a réglé ce problème. Il est donc anachronique de ressasser cela. Et nous avons l’obligation de ne pas le faire.

Quand une démocratie décide de s’attaquer à une maison de presse, et quels que soient ses arguments, elle s’attaque aussi à son capital symbolique, c’est-à-dire son image ou la manière dont elle est perçue dans la Communauté internationale. D’aucuns objecteront que cet argument ne tient pas la route, il serait même loufoque, puisque la démocratie elle-même n’est plus un diadème à brandir sur l’estrade du concert des nations devant les satrapies. Comme elle l’était à la fin du siècle précédent. Ce point de vue est légitime, et je le respecte. Mais je crois mordicus, et peut-être naïvement, que la démocratie est l’une des ressources les plus précieuses de notre pays, et qu’elle nous procure une certaine singularité positive en Afrique et dans le monde. Le pouvoir Pastef a brutalisé et arrêté des journalistes. C’est un acte regrettable posé contre la presse et, surtout, contre notre pays et son histoire.

Dans ces colonnes, journalistes et chroniqueurs n’ont cessé de dénoncer le rapport toxique que Pastef entretient avec la presse depuis son accession au pouvoir. Le pouvoir a déclaré la guerre à une certaine presse dès ses premiers jours. Le Président Bassirou Diomaye Faye lui-même a lancé les hostilités. Il a reçu, le 5 juillet 2024, les jeunes reporters pour leur dire, sous le sceau du secret, à quel point leurs patrons sont des délinquants fiscaux, des parasites et des esclavagistes ; son Premier ministre, lui, a déjà montré à tout le monde qu’il n’a aucun respect pour les journalistes et les médias traditionnels, depuis ses années d’opposant habitué aux lives nocturnes. En un mot comme en mille, le pouvoir a décidé de croiser le fer avec certains médias accusés de tous les maux du monde. Et dans ce combat, tous les moyens sont bons, toutes les estocades permises.

Le pouvoir Pastef a suffisamment de temps pour réprimer certains indésirables en temps de marasme. Les nouveaux privilégiés de la République, quiets malgré tout, sont comparables à des gens qui dansent sur un charnier. Cette ambiance funeste doit avoir son lot de victimes dont, bien sûr, l’ennemi public depuis le début de la révolution souverainiste : Madiambal Diagne. C’est une tautologie de préciser que le dossier fomenté contre lui est motivé par des ambitions politiques. On constate que, dans cette cabale politique, l’Etat du Sénégal, avec à sa tête l’ogre de la Primature, a décidé d’user de méthodes dignes du gangstérisme.

La famille de Madiambal est séquestrée avec une brutalité innommable. Ce qui correspond à cette logique hors-la-loi : je n’ai pas la possibilité d’avoir ta peau et, par conséquent, je m’agrippe à ta famille, à tes biens, à ton honneur. Pour faire pression sur toi, pour blesser ton ego, ton sens de l’honneur, ton héroïsme. Afin que les choses se passent comme cette anecdote que l’on retrouve dans l’histoire romaine, rapportée par Plutarque dans Les Vies parallèles : au cours d’une bataille, le célèbre consul Caius Marius s’était retranché dans une position fortifiée, et le commandant des troupes adversaires lui avait crié : «Si tu es un grand Général, descends et viens te battre !» Madiambal, comme Marius, a heureusement répondu ainsi avec lucidité : «Si tu es un grand Général, force-moi donc à me battre quand je ne le veux pas !» C’est pour dire que le fondateur du Groupe Avenir Communication ne se jettera pas dans la rixe pieds et poings liés.

Quand Ousmane Sonko a fait de Ziguinchor une terre ceinte -ceinte par ses petits gladiateurs, armés de gourdins et de volonté, et prêts à en découdre avec les Forces de défense et de sécurité du tyran Macky Sall- pour échapper à la Justice de son pays, ses femmes et enfants n’ont pas été arrêtés et jetés en prison. En attendant qu’il décidât enfin de s’extirper de son gîte. Les contours du combat politique étaient définis entre lui et le pouvoir. Aucun de nos compatriotes d’ailleurs n’aurait accepté de voir sa famille, innocente, au milieu des théâtres du Mortal kombat. Mais ces temps-là, semble-t-il, appartiennent désormais à une vieille époque. Ou l’homme en question est un Sénégalais sur qui l’Etat peut -ou doit- exercer une violence sans nom et sans limite, en raison de ses idées et de ce qu’il représente pour beaucoup de nos compatriotes.
On a saisi, sans arguties ou arguments juridiques plausibles, des biens dont leurs acquisitions remontent à une date où les bourreaux d’aujourd’hui étaient encore à l’université. Ou commençaient à percevoir une maigre paie. Pour certains de nos compatriotes, il est scandaleux qu’un entrepreneur sénégalais puisse gagner ou imaginer 21 milliards de francs Cfa dans le cadre strict de son travail. C’est même inimaginable. Cette somme faramineuse ne peut être gagnée qu’au moyen de sales pots-de-vin, dans un pays où les pouvoirs publics ne cessent de clamer à tue-tête notre indigence. Cette manière perverse de réfléchir nous amène à créer des inimitiés partout, à vouloir obstinément un nivellement par le bas de la société, à haïr sans raison celles et ceux qui ont réussi grâce à leurs efforts uniquement. La richesse est devenue, sous nos yeux, et je le répète encore une fois, un crime. Une manière de brandir éhontément son pacte de corruption avec les élites politiques. Un entrepreneur, surtout quand il se prénomme Madiambal Diagne, l’homme à étêter hic et nunc, est forcément la cible privilégiée des gens dont la haine donne un sens au vacuum de leur existence.

Je reste convaincu que Madiambal Diagne reviendra parmi nous, dans le repaire de l’ogre, avec ses munitions, pour faire face à la Justice de son pays. Il a ce que Michel Foucault appelle le «courage de la vérité». Nous lui témoignons tout notre soutien. Et notre respect.
Par Baba DIENG