D’une scène à une autre, d’une estrade à une autre, d’un stade à un autre, la rhétorique demeure la même : une litanie d’accusations, un discours pamphlétaire, des diatribes sans complaisance, des confessions d’un mal-être, un étalage des caprices d’un enfant chéri de la République à qui on a tout donné et qui réclame davantage. C’est ainsi sans doute que se réalise et que se déploie le fameux PROJET -en lettres capitales s’il vous plaît-, concocté par des éminences grises qui ne peuvent se contenir dans une Assemblée nationale. Le nombre de cadres à la base dudit Projet est quand même hallucinant ! Cela montre son caractère salvateur. Le Sénégal est sauvé et sera inscrit dorénavant sur les rampes du développement. Le Projet nous sortira de l’ornière dans laquelle nous étions depuis une cinquante d’années. Aux oubliettes les années de braise. Doux rêve ! Comme bon nombre de mes compatriotes, je suis arraché fatalement de mon innocente euphorie. Pastichons alors une célèbre maxime : le réel a ses raisons que la raison elle-même ignore. A beau fermer les fenêtres, les portes, et tirer les rideaux, il y aura toujours un interstice !
La réalité aujourd’hui, c’est que les Sénégalais sont fatigués, les ménages souffrent, l’économie est au ralenti, les compteurs Woyofal se muent en compteurs dissal. Où est passé la fameuse «Solution» ? Un grand pion de l’échiquier politico-administratif ne nous avait-il pas dit, face caméra, qu’il suffisait de lire le salutaire et salvateur ouvrage «Solutions» pour mettre le Sénégal sur les rampes du développement ? Mon œil ! Il suffit juste alors de passer de la théorie à la pratique. C’est simple. A moins qu’il ne soit aussi un adepte des belles promesses aussi dithyrambiques qu’incongrues. Mirifique projet alors ? Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Merci au Pape du Sopi. Beaucoup de Sénégalais semblaient pourtant croire aux nombreuses, belles et contradictoires paroles : souverainisme, panafricanisme, développement endogène, monnaie propre, rupture systémique, mise à mort des relations avec les instances financières internationales qui ne seraient que des goulots d’étranglement. Je rêve les yeux ouverts. On supplie le Fmi de revenir, revenir pour sauver la case de l’oncle Birama. Oui, elle brûle, elle s’affaisse doucement, lentement mais sûrement. D’ancien goulot, le Fmi est devenu le sauveur, drapé de ses plus beaux atours : sapeur-pompier éteint le feu. Sa Goundang Ndaj ou Dougendaj, c’est selon. Dessenama leer.
Pardon, Ngaaka, je ne suis pas un plagiaire, mais Dessenama leer. Actu locale versus DoungenDaj. La musique adoucit les mœurs. La bipolarité politique se retrouve dans l’art.
Dette cachée, chiffres erronés, chiffres masqués, chiffres maquillés, la sémantique a beaucoup changé. Les économistes ont du travail pour nous éclairer sur cette rhétorique entretenue depuis deux ans. La dette n’est pas un programme politique. Le duel sémantique fait rage. De l’autre côté, je parlais tantôt de bipolarité, on nous parle de rapports cachés. Quel duel ! Dette cachée versus Rapports cachés. En Droit, il y a un principe universel : la charge de la preuve incombe à l’accusateur. Alors au plus convaincant ! S’il vous plaît, éclairez notre lanterne. Ce que l’on sait, c’est que nous trimons, les taxes font des effets. Rien n’a encore changé pour les Sénégalais, par contre nos nouveaux hommes forts ont bien changé. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’artiste qui l’affirme. Ce n’est, sans doute, pas faux. Les gars, vous avez de très bonnes mines. Ngour nekhnadal ! Tata peut s’offusquer devant Malick Thiandoum, pourtant ce dernier est dans le factuel. Indignation bizarroïde quand même ! Indignation à géométrie variable ! Indignation sélective et malvenue. Pour vérifier la véracité des propos de Malick, il suffit que notre Tata nationale se mette à la place du Sénégalais lambda, du fameux Gorgorlu que la politique du célèbre Adoukalpé est en train d’étouffer. De politique sociale, on passe à une politique fiscale. L’histoire est souvent comique. Qui n’a pas souvenance des fameuses larmes de notre Tata nationale pour implorer de la pitié pour le héros mourant ! Ce dernier finira par nous montrer ses fameux talents de comédien. Ce n’était que de la comédie. Vaudeville plutôt, le grand théâtre qui a vu passer des esthètes, des funambules. Mais aucun d’eux n’arrive à la cheville de notre super héros. Le pays était en alerte, les nuages sombres, les larmes coulaient, les voix étreintes par l’émotion, tout le monde retenait son souffle, tellement l’arnaque avait marché. Au finish, le Superman nous révélera la supercherie en mondiovision : je ne faisais que de la comédie, pardonnez-moi si j’ai joué avec vos sentiments, vos émotions, vos peurs. On pardonne, on laisse couler, un messie on ne le critique pas, la comédie fait partie de sa mission salvatrice. Tonnerre d’applaudissements au méga-meeting où on dédouane tout le monde, on joue au justicier gentilhomme. La distraction populiste collective fonctionne. Les sympathisants euphoriques sont en transe. Houra, on a un génie ! Un visionnaire qui s’adapte aux circonstances. Pendant ce temps, aucune lisibilité, les programmes s’enchaînent et s’entremêlent. Les plans passent à l’imprimerie comme des lettres à la poste. 2050 ? Belle projection prospective. Pardonnez la redondance ! Le temps travaille, il ne chôme pas, et finit toujours par nous montrer les compétences et les limites de nos hommes politiques. Il est le meilleur allié et le pire ennemi des gouvernants. Time will tell pour angliciser ! Les notes du Sénégal se dégradent et nous enlisent chaque jour. Notre économie est au plus bas, nous disent-elles. Problèmes économiques, problème d’autorité ? On ne sait plus sur quel pied danser le Ndawrabine et le Goumbé nationaux. Alors Ndeup national ? Une cure, on en a vraiment besoin. Abdourahmane Diouf prend une volée de bois vert, son tort, c’est d’avoir osé dire qu’il est temps de se réconcilier, de dénoncer les fractures profondes qui existent dans nos familles, nos lieux de travail, notre société. Une société bipolarisée par la politique, les qualificatifs sont d’une violence inouïe : les kulunas, les nervis, les neutrologues, les moutons, les gougnafiers, les chiens. Les rapports humains ne se constituent pas en termes de dieux de l’olympe et de chevaliers, de cavaliers et de chevaux, de bons et de mauvais. La symbolique séparatrice est nauséabonde. La caricature est à son comble. On ne s’en rend pas compte, mais on sème tout doucement des graines de haine et de division. Paradoxalement, les hommes qui devaient incarner le Sénégal dans sa totalité vivent dans l’opulence et distillent de temps à autre des messages caricaturaux d’une mesquine indécence. Comme disait le vieux Barbu : quand le roi joue au violon, le peuple danse. Lui, il avait au moins compris ce qu’est une révolution. Tout comme son fervent disciple de Sardaigne. Brumaire ! Espérons quand même que ces violences demeurent et restent purement verbales. Sortons enfin de nos psychodrames politico-économiques. Y’en a vraiment assez de cette situation de tension permanente, de querelles d’ego, de discrédit constant de l’autre, de la théâtralisation à outrance de l’espace politique, les méga-show ne nourrissent pas les Sénégalais. Cette surimposition d’une subjectivité exclusive est toxique. Il n’y a pas, et il n’y aura jamais de messie qui pourrait à lui seul être la panacée de nos maux. La construction d’un pays, c’est dans l’ordre du collectif, c’est programmatique, cela ne se fait pas dans l’improvisation, dans la négation du différend, de l’autre qui ne partage pas notre point de vue. Pour construire un pays, on a besoin de toutes les énergies constructives. Un parti-Etat, ça n’a pas de sens. Dangereuse billevesée ! Président légitime, président légal, président de transition. Quelle absurdité ! Une comédie innommable se joue sous nos yeux. Il ne faut pas fissurer notre bâtiment constitutionnel. La République est sacrée, elle n’est pas un salon thérapeutique où on sort et entre comme on veut.
On a eu droit à des Méga et Téra-meetings, la rhétorique du Projet est calquée sur le modèle informatique. On attend maintenant (au moins) des gigas solutions. La déception est grande par rapport aux innombrables promesses. Alors, celui dont on refuse systématiquement de prononcer le nom par crainte (dans les contes de notre enfance, pour nommer le serpent dont on ne prononçait pas le nom la nuit, on disait tudumalambay) doit se mettre au travail. Tera-meeting au moment où des sinistrés demandent secours, au moment où le Rift fait ses effets, au moment où on ne peut apercevoir la queue du diable pour la tirer, au moment où des membres d’un même gouvernement échangent de douces amabilités. Il faut quand même le faire. Les publicités des ministres de la République, des directeurs, des Pca pour un fameux rendez-vous sont inacceptables et ahurissantes. Quand ceux qui doivent diriger se mettent en campagne avant l’heure, des questions s’imposent : qu’est-ce qui les fait courir ? S’intéressent-ils véritablement aux préoccupations des gouvernés qui triment ? Est-il maintenant permis de lier fonction institutionnelle et charge politique ? A combien se chiffrent les moyens mobilisés pour ce show hollywoodien ? Dans un passé frais, ç’aurait choqué. Belle leçon de rupture-systémique. L’intelligence d’une personne dépend de sa capacité d’écoute. Alors, il est temps d’écouter les Sénégalais. Le super héros est fatigué et a besoin de repos, mais le Peuple, lui, se meurt. Et, ironie de l’histoire, malgré sa fatigue due sans doute à une surcharge de travail, il a besoin aussi de se mettre en scène, de jouer à son sport favori, de tester sa cote de popularité, le Tera-meeting est un test grandeur-nature. Piètre comédie ! Le disque est raillé. On prend les mêmes et on recommence. Rien de nouveau sous le soleil. Du réchauffé. Aucune phrase sur le quotidien des Sénégalais. Aucun mot sur notre économie qui est au plus bas. Le «Je» prend la place du Tout. Comédie thérapeutique ! Thérapie permanente. Ndeup patriotique. Yo boulenma sangoudié, sa khamb yagnama kham, yobulenma ma lal mameya, mameya lay djinne man tey. Demba Demba Fama nafayo, yéyyé yé, waw waw waw. Siga yamay sang man, yew ya may djinn may danou. Souma démé tour fassow nan fa méw, souma démé rey fa khar rey fa bey. Belle cure ! Merci Diogal. On prend congé pour faire un one-man-show. Le message est sans ambages : le meeting est prioritaire par rapport aux urgences économiques. De la mauvaise communication. Les plaidoiries se substituent aux solutions. Quand on n’a rien à proposer, on se réfugie derrière les scènes enflammées. Diantre ! Heureusement, les fausses idoles ne sont jamais éternelles. Les slogans ne gouvernent pas. Le récit contradictoire d’un régime est sa première opposition. Diodio Glow ? Une image puissante et suffisante. Elle vaut mille mots et montre nos maux. Un binôme doit quand même faire des étincelles ! Attention, 2029 n’est pas loin, c’est demain, et, demain, c’est maintenant. A ce rythme, le bilan sera facile à chiffrer : il équivaudra au nombre de meetings. Après les événements tragiques, nos années de braises, il est arrivé le temps de la comédie : belle répétition de l’histoire. Les scénaristes ont du travail et de la matière. Après l’oncle, place au neveu. Merci mon Maître ! Il est logique -pour terminer, l’occasion faisant le larron- de se poser la question qui dérange : où sont passés nos valeureux intellectuels pétitionnaires, les nombreuses tribunes et signatures qui pullulaient à la moindre incartade de l’ancien pouvoir ? Les plumes acerbes manqueraient-elles terriblement d’encre ? Ô pays mon beau peuple ! Tout le monde se terre et se complait docilement. Les principes de démocratie, de liberté de presse, d’expression, ne semblent plus en vogue. Cherchons d’autres recettes. Les anciennes recettes ne mobilisent plus. Autre temps, autres mœurs ! Dans une démocratie vivante, toutes les institutions sont sacrées, il en va de même pour les lieux de contre-pouvoir qui rendent la démocratie saine. Arrêter des journalistes, couper un signal de télévision, c’est empêcher aussi la transmission de l’information qui est inhérente à une bonne santé démocratique. Cela mérite quand même quelques lignes d’indignation. Intellectuels inorganiques alors ? Fâcheux néologisme conceptuel ! Les journalistes et la Société civile en ont pris pour leur grade. Silence radio. C’est sans doute ainsi que se met en place le fameux programme politique fondé sur le triptyque connu et maîtrisé par nos élèves de cours d’initiation : projet-système-voleurs. Bienvenue à Ndoumbelane show. L’intelligentsia doit questionner et interroger un pouvoir, au lieu d’être son porte-étendard. L’intellectuel n’a pas vocation d’adouber le pouvoir, il doit le pousser à s’ajuster, se réajuster, s’améliorer constamment, il ne défend pas un régime, il défend une République.
Hors-texte : chez moi, à Simal, le pont qui faisait objet et sujet de campagne, une des grandes promesses électorales, demeure impraticable. Je dis ça et je n’ai rien dit. Simal est toujours coupé du monde, ce n’est pas ma formule, le pont le liant au reste du monde est un impératif. On a battu le macadam, brandi des pancartes, marché en mettant tout sur le dos assez large de l’incompétence de l’ancien régime. Comme l’ancien était si incapable, le nouveau doit être si capable, pas d’excuse d’interrègne. Allez les gars, on exige et on veut notre pont. Ndjokondjal. Ce n’est pas un message politique, c’est juste un rappel patriotique, d’un citoyen patriote, au sens réel et pas galvaudé du terme !
Ousmane SARR
enseignant-chercheur

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