L’urgence climatique

Le monde entier a les yeux rivés sur cette 30e Conférence des parties sur le changement climatique, qui s’est ouverte le lundi 10 novembre à Belém au Brésil. Cette conférence suscite un intérêt particulier car, 30 ans après celle de Berlin, les Etats ont échoué à limiter les émissions de gaz à effet de serre, responsables du dérèglement climatique. En effet, les pays industrialisés, responsables de 75% des émissions mondiales actuelles, montrent peu de bonne volonté à réduire leurs émissions. L’absence des Etats-Unis, deuxième plus grand pollueur au monde -en plus de leur retrait de l’Accord de Paris-, sonne le glas des progrès que tant de générations successives s’étaient employées à bâtir. Le Président américain a fait de la négation du changement climatique un instrument de guerre politique. Sa violente charge à l’égard de la lutte contre le réchauffement climatique, qu’il considère comme «la plus grande arnaque jamais menée contre le monde» lors de l’Assemblée générale, douche les efforts des scientifiques du monde entier qui travaillent sur la question climatique.
Cela renforce également la position des pays en développement qui ne partagent pas les injonctions des pays industrialisés quant aux mesures de réduction. L’on peut comprendre sans être d’accord avec eux sur la thèse selon laquelle les pays développés leur imposent des efforts pour limiter leurs possibilités de croissance après avoir assuré leur croissance au détriment de l’environnement. En ce qui concerne les pays insulaires et ceux du littoral, qui subissent de plein fouet les revers du dérèglement climatique, leur sort n’est pas difficile à prévoir. Le typhon qui ravage actuellement les Philippines et qui se dirige dangereusement vers Taïwan, en est un exemple frappant.
La chose peut s’observer dans plusieurs autres contrées du globe, et par souci de cohérence, l’on se doit de relever les tragédies qui se passent sous nos yeux. Les images de Bakel, de Matam, avec les débordements du fleuve Sénégal, et de Touba engloutie par les inondations, montrent à suffisance que notre maison brûle, que nous sommes contraints par l’urgence climatique et que nous sommes en sursis en termes de gestion climatique. Les températures haussent à des degrés proprement insupportables. Le nombre d’espèces animales et végétales menacées continue aujourd’hui d’augmenter à une vitesse fulgurante. Les eaux montent à Saint-Louis, à Kayar et dans tout le littoral. Les écosystèmes s’effondrent dans les îles du Saloum. Bientôt, l’on évoquera ces noms dans de vagues réminiscences. Il ne s’agit plus de prophéties alarmistes ; le Giec (Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) alerte depuis 1990. Le seuil de 1, 5°C, qu’il avait longtemps présenté comme une limite à ne pas dépasser, est aujourd’hui un mirage. Et l’on se dirige immanquablement vers un réchauffement de 3°C d’ici la fin du siècle. Le principe de finitude nous impose une politique écologique claire, qui ne doit pas être une politique sectorielle parmi tant d’autres, mais le socle, le soubassement et le fondement sur lequel il nous faut reconstruire plus solidement et durablement, en repensant nos manières d’habiter et de consommer de telle sorte que les possibilités des générations à venir ne soient pas restreintes.
Paradoxalement, au moment où les questions de l’environnement, de la pollution atmosphérique et des changements climatiques cristallisent les frayeurs de nos contemporains ;
Au moment où 50 000 personnes discutent à Belém des méthodes de préservation de l’environnement, des efforts à consentir pour nous sauver de la menace qui pèse et sur nous et sur nos enfants et sur les générations à venir ;
Au moment où les Etats responsables font de la transition écologique la matrice de leur pouvoir en investissant massivement dans les énergies vertes, les véhicules électriques, la recherche pour faire du climat un levier de croissance et un outil de souveraineté ;
Au moment où les maires de certaines communes inventent des solutions imaginatives pour planter plus d’arbres ;
Le chef de la majorité gouvernementale du Sénégal -un pays hautement touché par le dérèglement climatique et ses conséquences- parle du ministère de l’Environnement et de la transition Ecologique dans une atmosphère «orwellienne», et le considère comme une espèce de coquille vide, une sinécure pour les ministres qui ne sont pas dignes d’occuper des portefeuilles ministériels importants et qui seraient impliqués dans des magouilles financières. Quel mépris pour la science qui ne cesse de nous alarmer sur le danger qui nous guette et quel mépris pour toutes ces personnes qui subissent tous les jours les revers de l’activité de l’homme sur l’environnement !
Que l’on ne nous parle pas des campagnes qui consistent seulement à verdir certaines pratiques. Et surtout point besoin d’avoir la cruauté de rappeler au ministre concerné et à ses adeptes zélateurs leur rôle de porte parole du «Projet» qui vaut la valeur du papier sur lequel il est imprimé, mais rappelons un principe simple qui est le maintien du cordon sanitaire que tout républicain se doit de garder avec ce parti.
Le show du samedi 8 novembre nous conforte encore dans cette posture. Tout comme à son habitude, le chef du gouvernement se présenta tel qu’on l’attendait : un homme geignard, perpétuellement aux aguets, surtout craignant d’être écarté des futures joutes électorales et demandant à son «peuple un patriotisme primitif» pour leur faire accepter la flambée des prix de l’électricité, les taxes sur tout et n’importe quoi, et surtout de supporter trois années supplémentaires d’austérité. Austérité oui, car nous avons besoin encore de crédits du Fmi qui, en contrepartie, nous exigera de douloureuses réformes. Tout cela est décliné de manière sibylline sous les applaudissements admiratifs de la foule. On y promettait des lendemains qui chantent et surtout on y menaçait juges, magistrats, citoyens, et toute personne qui aurait l’audace même de paraître incrédule face au récit utopique du chef. George Orwell, dans son puissant essai 1984, nous offrait un précieux éclairage sur cette dérive. La force devient la loi. L’arbitraire devient la justice. Le récit du chef devient la vérité. Et quiconque remet en cause cette «vérité» devient une cible à «vaporiser», pour ne pas dire «effacer». Disons-le, c’est un seuil moral qui est en train d’être franchi si l’on n’y prend pas garde. Sous nos yeux, les garde-fous disparaissent, les verrous sautent les uns après les autres, les frontières entre le mensonge et la vérité s’effacent. La dernière devient un instrument de pouvoir, un variable d’ajustement. L’on va aller dénicher des rapports que les agents de l’Etat auraient dissimulés pour conforter une «vérité». De mémoire d’homme, jamais l’on n’a assisté à un tel exercice de réécriture de l’histoire.
Dans la même foulée, les diatribes outrancières s’accentuent ; la critique de l’Etat de Droit devient le fer de lance de la politique. La Justice est accusée d’entraver la volonté populaire. La brutalité par laquelle l’on s’attaque aux juges et magistrats est particulièrement préoccupante. Les médias sont traités en ennemis du Peuple. Les signaux coupés de la Tfm et de la 7Tv sont assez révélateurs. Et les contre-pouvoirs sont décriés comme autant d’obstacles à la souveraineté. Celles et ceux qui s’indignaient des «dérives totalitaires» sous Macky Sall trouvent des circonstances atténuantes aux autorités actuelles, excusent leurs dérives, et parfois même les applaudissent. Et c’est ainsi que la démocratie meurt, non par un coup d’Etat, mais par une série de renoncements consentis, insensibles d’abord, irréversibles ensuite.
L’on a l’impression que l’on s’enferme dans un monde démentiel où les slogans fusent de partout, où les promesses sont répétées sans être tenues, où les récits préfabriqués remplacent la vérité et les urgences du moment. La gouvernance économique se mue en bavardage et en gestion sans vision. Le Parlement reste une chambre d’enregistrement ; les menaces des parlementaires de boycotter le budget du ministère de l’Environnement et de la transition écologique sont assez révélatrices de ce monde démentiel. Et ce n’est pas de cette majorité parlementaire que l’on attendra qu’elle légifère pour faire de l’urgence climatique un pilier du Droit, au même titre que la paix et la sécurité. Vouloir être à la fois parti de gouvernement et opposition est rarement compatible. C’est une expérience politique générale.
Penda DIENG
Politiste
pendamamadoudieng@gmail.com

