Le pays est en crise, disent tous les observateurs. Cependant, peu de personnes peuvent vraiment dire de quoi tient cette crise. Sur le plan économique, tout le monde constate que le pays ressemble à un moteur dont la batterie est totalement à plat et dont le réservoir est pratiquement vide. Dans aucun secteur d’activité, on ne sent que les choses seraient en voie de redémarrage. Le gouvernement continue à batailler avec les partenaires multilatéraux pour trouver des financements et constituer des fonds à investir. Et même s’agissant de l’investissement, en dépit de tout le ramdam de certaines institutions, les promesses d’investissement étranger ne se sont pas encore concrétisées. Pour corser les choses, même les projets que le régime précédent avait enclenchés avant son départ, semblent s’être ratatinés dès l’arrivée des nouveaux dirigeants.
Et sur le plan social, la crise permet de mettre en évidence la forte résilience de la population sénégalaise. Car, conséquence d’une économie poussive, où les finances sont introuvables, au point que le ministère a des difficultés à s’acquitter de ses créances et doit consacrer une bonne partie de ses ressources fiscales à payer la dette extérieure, les ménages peinent à acheter des produits alimentaires qui, chaque mois quasiment, augmentent de prix quand ils sont disponibles. En corollaire, la crise prend une forme sociale, avec les rangs des chômeurs qui s’allongent.
A une époque, on voyait régulièrement des pirogues qui tentaient de franchir les frontières maritimes des pays occidentaux pour atteindre l’eldorado européen. Il a fallu la main de fer de Donald Trump, le Président américain, pour endiguer les flots des migrants africains qui, à un moment, ont pris le Nicaragua pour escale avant les villes américaines. Tout est toujours bon pour les Sénégalais, jeunes et moins jeunes, diplômés ou non instruits, pour se débarrasser du manteau de misère dont ils ont le sentiment qu’il leur colle à la peau. En mars 2024, plus de 54% de nos compatriotes avaient cru avoir trouvé l’antidote à la misère qui rongeait le pays. Hélas !, vingt mois après, plusieurs d’entre eux ont le sentiment de s’être enfoncés encore plus dans la misère. Cela, du fait d’une classe politique dont les priorités sont encore et toujours tournées vers la diversion.

Invectives et menaces
Au regard de la situation du pays, on ne peut comprendre que les membres du gouvernement et les députés ne font de leurs priorités que les «congés» du Premier ministre, congés que l’intéressé a décidé de s’octroyer d’autorité, au moment où la campagne agricole n’en est pas à sa fin. Le Premier ministre a décidé de s’octroyer une rencontre avec ses militants pour «tancer» le président de la République, en sa qualité de simple membre de son parti, qui persiste à maintenir à flots un mouvement qui, si on en croit l’appellation, est destiné à préparer sa prochaine campagne présidentielle. Or, ce point constituerait un casus belli, si l’on entend tous les membres de son parti, à commencer par leur leader.
Ledit leader n’aurait pour recours en ce moment que ses armes favorites, l’invective et la menace. Ne parvenant pas à faire fléchir le chef de l’Etat, il tente de diaboliser son entourage, ainsi que tous ceux qui sont soupçonnés de proximité avec le chef de l’Etat. Le ministre de l’Environnement, Abdourahmane Diouf, et la nouvelle présidente de la Coalition Diomaye Président, Mme Aminata Touré, seraient les chevaux de Troie qui chercheraient à saper les fondements de Pastef de l’intérieur.

La «piste» vers Moussa Fall, Farba et Madiambal
Mais il ne s’agirait pas que de ces personnages. Les enquêtes en cours concernant la mort et la disparition de Didier Badji et Fulbert Sambou, disparition datant de novembre 2022, ont mis à jour de nouvelles pistes de la conspiration qui menacerait Pastef et ses dirigeants.
On sait que les enquêtes pour élucider l’affaire Fulbert Sambou et Didier Badji ont conduit à l’arrestation de Jerôme Bandiaky, un autre militaire en service à la présidence de la République à l’époque de Macky Sall. Il semblerait, à en croire certains des Pv d’enquêtes, que cette disparition et le meurtre seraient le fruit d’une conspiration. Conspiration dont personne ne dit ce qu’elle visait.
Cela n’a pas empêché que Jerôme Bandiaky ait été inculpé pour association de malfaiteurs, assassinat, séquestration, viols en réunion, menaces de mort et extorsion de fonds au préjudice d’un des témoins. Les accusations contre Bandiaky concernent également des personnes désignées actuellement sous le label de «X», en attendant qu’elles soient formellement identifiées.
Le plus intéressant est que parmi les concernés, on relève les noms du Général de gendarmerie à la retraite Moussa Fall, du député Farba Ngom, actuellement en prison, et, encore plus succulent, de… Madiambal Diagne, l’ancien patron du journal Le Quotidien, et qui se trouve actuellement réfugié en France pour soupçons de délits financiers présumés.
On ne sait pas comment cette affaire va se dénouer. Il n’empêche que l’on a le sentiment que l’on veut absolument trouver le moyen de mettre en prison l’ancien chef de la gendarmerie du pays, qui a permis de préserver les institutions de la République pendant les émeutes, ainsi que celui qui, durant les évènements de 2021 et 2024, n’a jamais eu peur de dénoncer les responsables de la chienlit qui a failli emporter le pays. Faute d’avoir pu trouver des arguments juridiques pour les mettre à l’ombre, on a cherché dans la disparition tragique de deux vaillants militaires, de quoi sacrifier peut-être deux boucs émissaires. Trois même, puisqu’il est dit que le député Farba Ngom aurait été cité parmi les commanditaires de Bandiaky.
Ne sachant pas encore sur quoi va aboutir cette affaire, on peut néanmoins s’interroger sur la concomitance de ces «révélations» avec les difficultés que connaît le camp du pouvoir avec les crises que nous avons énumérées plus haut. Cela pousse à se demander s’il est vraiment avisé de se servir de certains dossiers comme armes de diversion massive. On sait déjà que Farba Ngom est malade en prison. Quant à Madiambal Diagne, si ses poursuivants n’ont toujours pu lui mettre la main dessus, ils ne se sont pas gênés pour incarcérer son épouse, souffrante aussi, ainsi que ses deux fils.
Et pour montrer que notre appareil répressif ne recule plus devant rien, Serigne Saliou Diagne, Administrateur général du Groupe Avenir Communica-tion, éditeur du journal Le Quotidien, a été pris en otage. Ses geôliers n’ont pour reproche contre lui que son patronyme et le fait qu’il est le fils de son père. En dehors de cela, aucune relation d’affaires avec Madiambal ne lui a été décelée. Cela n’empêche qu’il soit maintenu en détention depuis bientôt deux mois. Ce faisant, tout le personnel de son entreprise est également pris en otage comme les habitants de Gaza, si l’on peut dire. Ces responsables de famille sont privés de salaires et de ressources tant que leur supérieur est indisponible.
On voit à quel point la crise économique et sociale, la crise financière et environnementale, faute de solutions, mènent à la diversion politique. Nous en sommes là.
Par Mohamed GUEYE mgueye@lequotidien.sn