Pionnier de la comédie Sanokho, une figure tutélaire de l’humour sénégalais

L’imitateur Sanokho, décédé le 21 avril 1994, est considéré comme le précurseur de l’humour moderne et populaire sénégalais. Son influence demeure toujours intacte encore aujourd’hui, au regard des nombreuses vocations qu’il a suscitées.
Considéré comme un artiste total et visionnaire, bien que controversé, Sanokho continue encore de dialoguer avec ses compatriotes outre-tombe, par le biais de ses nombreux disciples, assumés ou non, qui continuent de fructifier ses thématiques originales et intemporelles, si bien que la nouvelle génération découvre le legs de l’artiste. Sanokho, ou Mamadou Sanokho de son vrai nom, est né le 8 avril 1955 à la Médina, un quartier populaire de Dakar. Décédé le 21 avril 1994 à l’hôpital Principal de Dakar, à la suite d’un accident de la circulation intervenu le 15 avril 1994, il est enterré au Cimetière de Pikine. Selon de nombreux témoignages, il aurait commencé ses prestations en prison avant d’être révélé, vers 1981, par l’émission Télé variétés de l’ex-Orts, l’actuelle Radiotélévision sénégalaise. Même condamné plusieurs fois à des peines de prison, Sanokho ne peut être considéré comme un vrai criminel, mais plutôt comme «un bandit sympathique», selon l’universitaire Omar Guèye, qui a consacré un livre à ce précurseur de l’art de l’imitation au Sénégal. «Il (Sanokho) portait en lui les stigmates de la prison, mais aussi les préjugés et les tares qui accompagnent les repris de Justice, et qui l’ont peut-être empêché de jouir de la notoriété comme il se devait. Mais, il a quand même connu la célébrité de son vivant, et ses imitateurs le maintiennent en vie», relève l’historien sénégalais dans un essai intitulé Sanokho ou le métier du rire.
Paradoxe et signe du destin pour celui qui assimilait les cars de transport urbain sénégalais à l’ange de la mort, Sanokho a été renversé par un car rapide. Il a fini à la morgue, en mort anonyme, le temps d’être identifié des jours après son décès, rapporte M. Guèye. ««Ni Dieu ni car rapide», disait-il pour faire allusion à l’ange de la mort auquel il assimilait les cars de transport urbain, réputés pour leur conduite dangereuse et parfois meurtrière : une journée d’avril 1994, au printemps de sa vie, il sera lui-même fauché par un «car rapide», au propre comme au figure.» «Comme dans les faits divers où il excellait, rapporte encore l’auteur, il succombera une semaine après son accident, inscrit à la rubrique des «accidentés anonymes» comme pour les «chiens écrasés» : le chauffeur ayant pris la fuite. Toujours sans en donner l’air, il est parti à l’âge de la quarantaine, comme un messager qui inspire toujours à ses compatriotes… le rire.» Sanokho est plus connu pour sa maîtrise de l’improvisation et du rire, il maîtrisait le sketch, aussi bien qu’il excellait aussi dans les autres registres des artistes comme le chant et la percussion, analyse l’historien qui estime que «Sanokho était un théâtre à lui seul». Amuseur public, délinquant sympathique, moraliste, messager caché ou artiste incompris, Sanokho a été, selon lui, «[…] le miroir de son temps, un témoin de son époque, un riche en thèmes, un régulateur social […]». Selon Omar Guèye, aujourd’hui encore, «les pouvoirs publics sont confrontés aux problèmes que Sanokho posait en faisant rire (…)», comme la question de l’encombrement urbain de la capitale, le débat sur l’exode rural, le chômage des jeunes, le développement du monde rural. Il cite aussi l’inadéquation des infrastructures à l’évolution urbaine, les ordures, la mendicité, la prostitution et la petite délinquance, entre autres. Sanokho décrivait Dakar, la capitale sénégalaise, «comme un milieu de débrouille, de confrontation de toutes sortes, voire un milieu de perdition pour des jeunes sans repères». Il évoquait aussi, signale Omar Guèye, le thème tabou du mépris culturel, considéré comme le lit de nombreux préjugés négatifs sur certaines communautés, le rôle corrupteur de l’argent. Figuraient également au nombre de ses thématiques, l’appel à l’unité nationale (lépp sunu biir) et la primauté qui doit être accordée à l’éducation.
«Un météore…»
Au total, on peut dire avec l’auteur que «Mamadou Sanokho n’a pas inventé le rire, mais il fait partie de ceux qui lui ont le plus rendu ses lettres de noblesse, particulièrement en élevant le métier de l’imitation en véritable profession. Il n’en demandait pas tant d’ailleurs». Il «fait penser aux artistes maudits, comme les peintres et poètes qui n’ont connu que les galères de leur vivant, et ne furent reconnus qu’après leur mort. Ces génies peu reconnus de leur vivant par leurs contemporains furent tous «condamnés» par des sociétés «bien pensantes» dont ils révélaient souvent les angoisses, les hypocrisies et les fantasmes», commente l’historien avant d’ajouter : «Mais toujours, l’œuvre et le temps, impérissables, sont là pour témoigner et rendre compte des malentendus générés par le métier d’artiste.»
«A l’instar de ces poètes et artistes «maudits», fait-il valoir, Sanokho a vécu écartelé et solitaire dans son art, sans présager de ce que sera son héritage : il était sans doute heureux à sa façon.» «Né au mois d’avril comme notre Fête de l’indépendance, il nous a quittés un mois d’avril, à l’âge de 39 ans. Un météore… un peu comme tous ces génies que Dieu aime à rappeler très tôt à Ses côtés, nous laissant si seuls», souligne le poète Amadou Lamine Sall, dans la préface du livre du professeur Omar Guèye.
Aps

