La République à terre

L’Histoire n’épargne jamais les dirigeants qui transforment leurs pays en terrains de farce. Louis XVI festoyait encore dans les salons dorés de Versailles lorsque la faim étranglait le Peuple. La République de Weimar se noyait dans ses propres médiocrités, avant d’ouvrir grand la porte à Hitler. Les nations s’effondrent rarement par surprise : elles chutent lorsque ceux qui les dirigent cessent d’être des responsables et deviennent des acteurs de théâtre.
Regardez Haïti, la Libye, le Zimbabwe ou la Roumanie : les mêmes causes, les mêmes fins. Des dirigeants distraits, arrogants ou simplement incompétents ont livré leurs peuples au chaos, à la misère ou aux guerres civiles. A chaque fois, le mécanisme est simple : quand la politique devient un spectacle, la République devient une cible.
Et voici que le Sénégal, jadis terre de dignité et de sérieux, s’engage sur cette pente. Le pays se transforme en un décor grotesque où les postures remplacent les décisions, où les cris remplacent les idées, et où des hommes qui se prétendent dirigeants s’amusent comme des enfants autour d’un pouvoir qu’ils ne respectent même plus. Ce n’est plus de la gouvernance : c’est de la simagrée simiesque, une agitation ridicule sur une branche prête à rompre. Une lutte de singes qui oublient que la chute emportera toute la branche et tout le pays.
Le Sénégal est aujourd’hui pris en otage par des politiques improvisés, incapables de mesurer la gravité de leur irresponsabilité. Il suffit de regarder la scène politique pour comprendre que c’est comme une cour de récréation. Les supporters hurlent, s’insultent, se croient investis d’une mission républicaine alors qu’ils ne font qu’enfoncer la Nation dans l’abîme. Les vrais enjeux disparaissent dans un magma d’ego fracassés, tandis que le pays suffoque.
Pendant ce temps, les urgences s’accumulent avec une économie en ruine, des finances publiques asséchées, une vie quotidienne intenable, des frontières instables, un voisinage explosif. Face à cela, que font ceux qui nous gouvernent ? Ils jouent. Ils se livrent à des concours d’accolades, des démonstrations théâtrales de loyauté, des manœuvres de cour. Le vide au carré.
Et il faut le dire clairement, ce qui se passe aujourd’hui atteint des sommets de ridicule que l’on croyait réservés aux régimes les plus instables du monde. Les dirigeants du pays ont réussi à transformer l’Etat en feuilleton de mauvaise qualité. Le sérieux institutionnel a été remplacé par des séquences dignes d’une république bananière.
Il n’y a qu’à observer l’agitation autour de Ousmane Sonko. Le pays est tellement affamé de normalité que certains journalistes ont présenté son retour au travail comme un événement historique. Un ministre qui revient à son bureau, bureau qu’il n’aurait jamais dû abandonner, devient une «alerte». C’est le signe d’un pays tombé si bas qu’il applaudit le respect du minimum.
Et les députés ? Certains ont poussé des «Alhamdoulilah» de soulagement parce que quelques figures proches de Ousmane Sonko ont échangé quelques mots avec le Président Diomaye. Une scène pathétique. Depuis quand faut-il bénir le ciel pour des comportements qui relèvent du strict fonctionnement républicain ?
Le pays est à genoux, mais eux se congratulent comme s’ils avaient franchi des montagnes. Ils s’applaudissent de parler, se félicitent d’exister, se célèbrent pour des gestes que n’importe quel responsable normal ferait sans témoin. Jusqu’à quand ce cirque ? Jusqu’à quand acceptera-t-on de confondre la comédie politicienne avec la gouvernance ?
Et l’opposition n’est pas en reste, Abdoul Karim Fall et son parti ont quitté le Fdr pour rejoindre la Coalition Diomaye Président juste après sa résurrection. Certains croient encore qu’en laissant les deux frères ennemis s’écharper, ils ramasseront le pouvoir comme un fruit mûr. Quelle naïveté ridicule. Le pays brûle et eux tiennent le panier.
La vérité simple est qu’on nous a vendu une rupture emballée dans des slogans, maquillée en révolution, vendue comme une providence. Deux ans presque, le masque est tombé. Ce pouvoir navigue à vue, accumule les erreurs, fuit les responsabilités et trouve toujours des coupables ailleurs : l’ancien régime, la France, le Fmi, les partenaires, les institutions… tout, sauf eux-mêmes.
Aujourd’hui, ils se déchirent. Publiquement. Ridiculement. Brutalement. Le Sénégal est devenu un champ de bataille permanent, un espace d’affrontement où la crise est devenue un mode d’exercice du pouvoir. Et pendant ce temps, le Peuple observe, épuisé, désabusé, conscient que le pays n’a ni cap, ni vision, ni pilote.
C’est la vieille fable des deux voleurs qui se battent pour un âne, pendant qu’un troisième larron observe pour s’emparer de l’animal. Sauf qu’ici, l’âne, c’est la République. Et à ce rythme, elle sera volée, déchiquetée… ou achevée.
Et les intellectuels ? Ces plumes qui, du temps du Président Macky Sall, bondissaient au moindre faux pas, multipliant tribunes, leçons, dénonciations et proclamations morales ? Aujourd’hui, silence. Un silence honteux. Un silence coupable. Plus un mot. Plus une ligne. Plus une indignation. Le courage s’est évaporé. La vertu s’est retirée. La vérité, semble-t-il, dépend désormais de l’identité de celui qui occupe le fauteuil présidentiel.
Triste époque où même les consciences craignent de parler.
Ce jeu dangereux amuse peut-être ceux qui en sont les acteurs, mais il est en train d’assassiner les institutions. A force de transformer l’Etat en terrain de jeu pour apprentis sorciers, on vide les fonctions de leur sens, on détruit les repères, on creuse le tombeau de la démocratie.
Et quand la branche cédera, car forcément elle cédera, ce ne sont pas les singes qui tomberont les premiers, mais tout ce qui tenait encore debout.
Amadou MBENGUE dit Vieux
Secrétaire général de la Coordination départementale de Rufisque,
Membre du Comité Central et du Bureau Politique du Pit/Sénégal

