Sénégalais debout !

L’heure est grave. Il est plus que temps de nous tenir debout, Sénégalaises, Sénégal-ais, pour la défense de la République et de notre commun vouloir de vie commune. Dès sa prise de fonction, le Pm Ousmane Sonko a déclaré avoir trouvé le pays au quatrième sous-sol. Il a exhibé des rapports, parlé de détournement et de dette cachée. Il a accusé et accusé. Il accuse toujours. On a emprisonné, on a libéré, on emprisonne encore. La polémique enfle, devient une querelle, une guerre. La Nation se déchire. Et le Sénégal s’enfonce plus profondément. Imperturbable, Sonko menace l’opposition, accuse les magistrats, dénigre les partenaires, défie le Pr… Il parle et reparle de nettoyage, de balayage, d’effacement d’hommes et de femmes, comme s’il ne savait pas que seuls sont à effacer les mauvais comportements, la pauvreté, le sous-développement… Comme s’il n’avait jamais entendu l’histoire de ce roi qui prend la parole une fois l’année1. Car il savait, le sage monarque, que le bavardage sape le pouvoir…
Bref, observons d’un regard plus vaste la fresque. Le tableau n’est pas beau : «la jeunesse malsaine»2, porte-étendard des évènements sénégalo-mauritaniens de 89, a inventé les coins de rue urinoirs, transformé les façades des domiciles en tableaux d’affichage, encombré les rues et fait de la capitale un grand marché. Devenue adulte, elle a légalisé la fraude et la tricherie, inventé la surcharge des cars de transport, accentué les accidents de circulation et naufragé Le Joola. Sa progéniture a créé le cirque-politique avec ses danseurs, ses marionnettes, ses jongleurs et ses clowns. Et le «tékki mbaa dé» (réussir ou mourir), le «barça ou barzak» (l’Europe ou l’Au-delà) et le «gatsa-gatsa» (ta gueule-ta gueule). Aujourd’hui, «la dérive des valeurs»3 est à son comble. Les autorités religieuses et coutumières sont chassées de l’espace public. Ainsi que les intellectuels. Le champ politique est devenu un dépotoir, les espaces de débats des défouloirs. Les députés, s’ils ne somnolent pas, s’insultent et se battent à l’Assemblée nationale, comme dans une cour de récréation. Pca, directeurs et ministres s’occupent de politique, oubliant leur mission. Le «Pm super fort»4, «plus fort que le Président qui l’a nommé», selon ses thuriféraires, réclame le gouvernail, boude la Primature et «térameetingue» contre le Pr sous les applaudissements de militants devenus «moutons de bergerie»5. Pendant ce temps, l’opposition et ses «chiens aboyeurs»5, interdits de marche, sont gazés au lacrymogène. Puis, le Pr, sous pression, esseulé, conspué par son propre camp, randonne avec l’Armée, comme en réponse à la rébellion du chef du gouvernement. Et le parti au pouvoir, fissuré, se fracture, non conscient qu’une maison divisée contre elle-même ne saurait subsister6…
Il est vrai que Diouf a ramené les compteurs au vert. Wade a démarré les grands travaux. Macky les a menés assez loin. Mais tous ont oublié «les chantiers de l’homme»7 ouverts par Senghor à travers l’art, la culture et le patrimoine. Tous ont oublié la reconquête de la fierté africaine prônée par Cheikh Anta Diop. Tous ont oublié la formule du grand Maodo : «Le développement de tout l’homme et de tous les hommes.» Et aujourd’hui, les médiocres paraissent excellents, les filous ressemblent à des saints, les ignares portent le débat. Et le pays piétine au rythme des promoteurs de la dernière alternance qui ignorent, comme dit le poète, qu’abattre un roi c’est facile, le difficile c’est de relever les mœurs, le difficile c’est de porter le développement. Ils ignorent que l’avenir, bien souvent, se montre plus généreux envers le vaincu qui médite sa défaite qu’envers le vainqueur qui rechante sa victoire… Il est plus que temps, Sénégalaises, Sénégalais, de nous tenir debout, de mettre un terme aux dérives. Oui ! Arrêtons la chute de notre Peuple, l’affaissement de nos institutions, la dégringolade de notre économie…
Le Sénégal pleure. Dieu merci, la reconquête est possible. Retroussons-nous donc les manches. Mettons-nous à l’œuvre, avant le tard. Comme dit la sagesse populaire : «Tant qu’on dispose de la graine, on ne doit pas désespérer du fruit.» Alors, Sénégalaises, Sénégalais, séchons les larmes de la République, renonçons aux dénigrements et aux querelles inutiles. Arrêtons d’applaudir les insulteurs, calomniateurs et apôtres de la haine. Arrêtons de nous souhaiter le pire, de nous réjouir des scandales, de nous humilier les uns les autres, d’encourager le mensonge, l’arrogance, l’ignorance et la sottise. Et la pitrerie. Mettons un terme au processus d’abêtissement du Peuple, promouvons l’éducation, le savoir, les bons comportements. Promouvons le civisme, la citoyenneté et le patriotisme. La sécurité, la paix et le travail. Cultivons le respect des lois, institutions, armoiries et symboles de la République, en étant fiers de notre patrimoine historique, culturel et artistique…
Au demeurant, l’engagement de l’Etat et de son chef est essentiel pour embarquer la pirogue Sénégal dans la bonne direction et changer le cours de l’histoire. Le militantisme citoyen seul n’y suffit pas : l’Etat doit être habité par le désir sincère de changement et d’ouverture, favoriser la compétence, donner le bon exemple en toute chose dans la justice et l’équité. Et travailler à la cohésion nationale, au bien-être des populations et à l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Comme dit notre hymne : «Mettre l’épée dans la paix du fourreau et rassembler les poussins à l’abri des milans pour en faire, de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud, dressé, un même Peuple, un Peuple sans couture, un Peuple tourné vers tous les vents du monde.» D’ajouter : «Mais si l’ennemi incendie nos frontières, nous serons tous dressés et les armes au poing : un Peuple dans sa foi défiant tous les malheurs…»
Sénégalaises, Sénégalais, debout ! Debout, Peuple du lion ! Ni pour l’opposition ni contre le pouvoir. Ni pour Massamba ni contre Mademba. Mais pour la République. Mais pour le Sénégal. Pour Le Grand «Set Setal» des cœurs, des esprits, des pensées, des comportements…
«L’heure de la vérité approche», pour parler comme le sculpteur Babacar Sadikh Traoré.
Abdou Khadre GAYE
Ecrivain, président de l’Emad
1/ Il s’agit de Birima Fatma Thioub Fall, 25e Damel du Cayor de 1809 à 1832, surnommé le Damel de l’honneur, de la sagesse et de l’autorité.
2/ Formule utilisée par le Pr Abdou Diouf pour qualifier les jeunes qui avaient attaqué son cortège à Thiès.
3/ Titre d’une contribution figurant dans mon essai paru en 1996.
4/ Formule utilisée par le Pr Diomaye en guise de gage au Pm Sonko (qui «l’a fait élire») et aux Pastéfiens.
5/ Qualificatifs utilisés par les militants de l’opposition et du pouvoir pour se chahuter les uns les autres.
6/ Parole d’évangile qui signifie qu’un groupe miné par des divisions internes est voué à l’échec.
7/ Titre de mon essai publié en 1996.

