Historienne reconnue pour son travail de documentation sur le massacre de Thiaroye 44, Armelle Mabon, auteure du livre «Le massacre de Thiaroye : 1ᵉʳ décembre 1944 ; Histoire d’un mensonge d’Etat», a publié hier un texte sur Mediapart pour dénoncer des approximations contenues dans le Livre blanc produit sur la tragédie dont le 81ème anniversaire a été commémoré hier.

Par Bocar SAKHO – Sur le blog de Mediapart, Armelle Mabon, historienne française, auteure du livre «Le massacre de Thiaroye : 1er décembre 1944 ; Histoire d’un mensonge d’Etat», a publié un texte intitulé : Le massacre de Thiaroye et le Livre blanc où elle partage sa déception : «Suite à la commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye (1er décembre 1944), le Livre blanc a été remis, le 16 octobre 2025, au président de la République du Sénégal. Certaines parties jettent un discrédit sur l’ensemble du travail accompli. Les hommes de Thiaroye et les descendants méritent mieux.» Elle raconte des «relations avec certains historiens sénégalais n’ont pas été un long fleuve tranquille». «J’ai été amenée à mentionner, avec courtoisie et respect des erreurs, des mauvaises interprétations sur des archives. Non seulement mes remarques n’étaient pas prises en compte, mais je devais subir aussi quelques retours cinglants étant taxée d’arrogante ou manquant de modestie», explique-t-elle. (…)
Dans son texte, elle parle d’un «Livre blanc entaché d’erreurs». «Hormis la partie inédite sur les fouilles archéologiques et celle sur la contribution des artistes, je dois avouer mon effarement. Comment est-il possible de remettre aux autorités sénégalaises un tel écrit bourré d’erreurs avec des redondances qui décuplent les approximations, des chiffres malmenés, des incohérences ?» Elle ajoute : «Je ne vais pas ici toutes les nommer, mais prendre quelques exemples afin de prendre la mesure du désarroi qu’inspire ce Livre blanc. J’ai adressé à la Primature et à Mamadou Diouf le recensement de toutes les erreurs. Ce dernier m’a répondu le 5 novembre : «Je vous remercie pour vos notes, remarques, suggestions et corrections relativement au Livre blanc. Nous en tiendrons compte pour les futures éditions.».
Mme Mabon fait une note de lecture du Livre blanc en relatant d’autres approximations : «Dès les quatre premières pages de l’introduction, c’est un coup de massue avec des chiffres envoyés à l’emporte-pièce. On ne peut mentionner 1200 à 1800 tirailleurs ayant répondu présents sur l’esplanade du camp à l’appel des officiers (p.7) alors qu’une archive évoque au plus 800 : ils étaient nombreux en permission à Dakar, d’autres étaient restés dans les baraques dont certains y ont été exécutés. De plus à la p. 9, il est écrit : «la mise en place d’un important dispositif militaire de répression composé de soldats (1200 à 1800)», donc le même chiffre qui ne correspond en rien à la réalité.»  Elle enchaîne : «Par ailleurs, les soldats français ne rentrent pas chez eux à la Libération, en réalité les prisonniers de guerre métropolitains attendront jusqu’en mai 1945 avant d’être libérés. J’ai entendu le président du comité répéter dans plusieurs médias que désormais cette histoire «sera écrite par nous», «c’est notre narratif» : «Ce travail nous permet de reprendre le contrôle de notre récit historique, de se le réapproprier pour produire le nôtre et ne plus avoir un récit exclusivement contrôlé par les vainqueurs.» (1). Nous apprenons dans ce Livre blanc que les tirailleurs ont fait le débarquement de Normandie (p. 23) ou qu’ils ont été fait prisonniers à Dunkerque lors de l’opération de sauvetage des soldats britanniques (p. 230), il s’agit là d’une réécriture de l’Histoire qu’il faut démontrer. Tenir son propre discours n’autorise pas l’historien à prendre des libertés avec les faits.» (…)
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