La commémoration du 81ème anniversaire du massacre de Thiaroye (1er décembre 1944) par le Sénégal, sous la présidence de Bassirou Diomaye Diakhar Faye, ne se limite plus à un simple devoir de mémoire. Elle s’impose désormais comme un acte politique de souveraineté fort, visant à réécrire le récit national et à redéfinir l’équilibre des relations avec l’ancienne puissance coloniale, la France. L’ampleur exacte du drame demeure un point de contentieux. Si les rapports officiels français de l’époque minimisaient le nombre de victimes, les historiens considèrent généralement le chiffre de plus de 300 morts comme une hypothèse de travail acceptable, et les Tirailleurs provenaient de 17 nations africaines.

Par Bocar SAKHO – Au camp de Thiaroye, logé au cœur de la banlieue dakaroise, le dispositif militaro-institutionnel est à la hauteur de la nouvelle ambition des autorités : réappropriation mémorielle et inscrire Thiaroye au cœur du récit national et continental avec la présence de personnalités étrangères, notamment le Président de la Gambie, Adama Barrow, le Vice-président de la Côte d’Ivoire et le Président de l’Assemblée nationale du Togo.
Aujourd’hui, le changement de ton par les nouvelles autorités sénégalaises est palpable. L’interprétation du souvenir de Thiaroye, longtemps «assujettie à la volonté de ne pas irriter l’ancienne puissance coloniale», selon certains analystes, est désormais un combat pour la dignité africaine et la vérité historique. Le déplacement de la «Journée du tirailleur» du 23 août (date de la libération de la Provence) au 1er décembre (date du massacre) est un geste symbolique majeur. Il signifie que le Sénégal ancre sa reconnaissance des Tirailleurs non pas dans la victoire coloniale, mais dans la tragédie de la trahison, faisant de Thiaroye un symbole de résistance contre l’injustice. L’instruction de rendre le Musée de Thiaroye fonctionnel et l’introduction de la tragédie dans les programmes scolaires illustrent la volonté d’ancrer durablement cet événement dans la conscience collective, en tant qu’élément fondateur du récit post-colonial.
L’enjeu le plus pressant de cette commémoration est la réclamation de la vérité et la déclassification totale des archives françaises. La remise du Livre blanc sur le massacre au Président Faye en octobre 2025 marque un tournant. Rédigé par un comité scientifique sénégalais, il vise à dresser un état des lieux des connaissances et à établir un «récit par nous et pour nous-mêmes», en contraste avec les versions officielles françaises passées.
Le soutien aux fouilles archéologiques au cimetière de Thiaroye, qui ont déjà exhumé des squelettes portant des traces de violence, cherche à apporter des preuves matérielles pour contredire le bilan officiel français (qui a longtemps fluctué entre 35 et 70 morts, alors que les historiens parlent souvent de plus de 300 victimes).
La non-transmission complète des archives est perçue non seulement comme un frein à la vérité, mais aussi comme une persistance des dynamiques coloniales. Pour Dakar, la déclassification est une condition sine qua non pour une relation véritablement apaisée et basée sur le respect mutuel. La France est interpellée sur sa responsabilité et sa capacité à «faire face à son passé, dans toute sa vérité».

Thiaroye comme Levier pour la refonte des relations
Pour le Sénégal, le massacre de Thiaroye est une fenêtre d’opportunité pour justifier une refonte en profondeur de ses liens avec la France. L’objectif ultime inclut l’identification des victimes, l’indemnisation des ayants droit (un processus long et complexe, parfois entravé par le classement des archives) et la réhabilitation des soldats jugés comme «mutins» par les tribunaux militaires de l’époque.
En mettant en lumière la trahison et la violence coloniales, le Sénégal revendique une posture de souveraineté complète, y compris sur la gestion de sa mémoire. Cela s’inscrit dans un contexte plus large de remise en question des accords de défense et de coopération postcoloniale.
La commémoration du 1er décembre 2025 est la démonstration que l’histoire de Thiaroye n’est pas une page tournée, mais un levier actif pour l’affirmation de la souveraineté sénégalaise et la construction d’un nouveau partenariat, plus équilibré et débarrassé du poids de la mémoire occultée. «La France, par la voix de son Président, a employé le mot juste : massacre. Ce mot juste, cette reconnaissance, restitue à l’histoire la part de vérité qui lui avait été amputée», dit le chef de l’Etat.
Le Président Faye a rappelé avoir reçu en octobre 2025 un Livre blanc sur le massacre. Ce document est le fruit d’un travail scientifique et archéologique visant à «rétablir la vérité» sur cet événement longtemps occulté. Des fouilles archéologiques, lancées en mai 2025, ont d’ailleurs permis d’exhumer des squelettes portant des traces de violence, renforçant l’hypothèse d’un massacre prémédité. «Nous sommes réunis sur cette terre meurtrie de Thiaroye pour rappeler que la vérité ne s’efface jamais, elle finit toujours par réclamer Justice. Nos enfants doivent en connaître les séquences, les acteurs et les récits», explique-t-il. Il ajoute : «Ils doivent comprendre les mécanismes de la domination coloniale et la valeur de la résistance. Cette transmission est le fondement même de notre conscience nationale, de notre citoyenneté et de notre engagement panafricain. Thiaroye n’est pas qu’un fait historique, c’est tout un symbole.» Le Président Faye insiste sur le renforcement de la place de l’histoire de la tragédie de Thiaroye dans les programmes scolaires sénégalais. «Pour ma part, je ne ménagerai aucun effort dans ce sens, afin que la mémoire de nos martyrs continue de vivre dans notre mémoire collective et celle des générations futures», assure le Président Diomaye. Selon lui, ce combat «est un combat pour que plus jamais un peuple ne soit nié dans son histoire, dans sa dignité et dans son droit même à exister librement».
«Si le massacre a eu lieu ici, sur le sol sénégalais, le sang versé fut celui de l’Afrique. Dès lors, commémorer Thiaroye, c’est reconnaître que nos destins sont liés. C’est faire de cette tragédie le socle d’une solidarité panafricaine et un pilier de l’avenir que nous construisons», a-t-il souligné. «La dignité n’a pas de prix. La question des réparations et de la Justice doit désormais être posée sereinement, mais résolument dans un dialogue fondé sur la vérité historique et le devoir de Justice envers les familles des victimes», affirme Bassirou Diomaye Faye.
Des instructions ont été données pour que le musée relatif aux évènements de Thiaroye devienne pleinement fonctionnel. La pose de la première stèle commémorative du massacre de Thiaroye, située entre le camp et le cimetière, «vise à réunir les deux lieux de vérité».
bsakho@lequotidien.sn