​Notre pays est à nouveau secoué par une crise universitaire qui, loin d’être un simple incident de gestion, est en train de prendre les allures d’une véritable bombe à retardement sociale et politique. La grève des étudiants, réclamant le paiement de leurs bourses, a dégénéré en des manifestations violentes dans toutes les universités du pays.

​Les images de confrontation entre étudiants et Forces de l’ordre, notamment l’entrée des Forces de sécurité sur le campus de Dakar, sont profondément inquiétantes. Lever les franchises universitaires, même sous la contrainte d’un désordre, est un acte lourd de sens qui, historiquement, n’a jamais été un facteur de paix. Au contraire, il est perçu comme une escalade institutionnelle qui radicalise les positions.

​Il est vital de rappeler que les plus grandes crises au Sénégal, en Afrique, et même dans le monde, trouvent souvent leur genèse ou leur catalyseur dans le milieu étudiant. Mai 68 en est l’exemple le plus célèbre, mais le Sénégal a ses propres fantômes. Le souvenir tragique des vies fauchées (Bassirou Faye, Balla Gaye, et tant d’autres) doit nous servir de garde-fou absolu. User de la force n’a jamais réglé les problèmes dans les universités ; cela ne fait que créer des victimes et des martyrs, alimentant un cycle de violence.

Aujourd’hui, l’une des plus grandes erreurs de cette crise réside dans la communication désastreuse. La prise de parole de députés du régime, fustigeant la grève et remettant en cause l’universalité des bourses, est non seulement contre-productive, mais aussi dangereuse. Dire aux étudiants qu’ils «en réclament trop» ou tenter de décrédibiliser leurs revendications par des comparaisons hâtives (et fausses, comme l’exemple du Canada où les étudiants bénéficient bien d’aides et de bourses) est une insulte à leur situation sociale. Ces bourses sont souvent le seul soutien pour l’étudiant et, bien plus encore, une aide cruciale pour les familles restées au village. Les étudiants ont l’habitude de ne jamais reculer devant des acquis sociaux de cette importance.
En outre, le communiqué de la Direction des bourses, loin d’apaiser, a visiblement ajouté de la tension. En temps de crise, chaque mot de l’autorité est scruté et peut être interprété comme de l’arrogance ou du mépris. La somme de ces communications maladroites est une véritable catastrophe communicationnelle qui ne fait que radicaliser davantage le mouvement.
​Cependant, il est encore temps de désamorcer cette crise. Mais cela exige un changement immédiat de paradigme : la force doit céder la place au dialogue.
​La première action à mener est de nommer sans délai une personnalité crédible, respectée par toutes les parties, pour servir de médiateur/médiatrice. Ce médiateur doit avoir un mandat clair : établir le contact, rétablir la confiance et ramener les étudiants à la table des négociations, loin des rues.

Cette personnalité doit être indépendante du gouvernement en place et jouir d’une aura morale incontestée. ​L’Etat doit envoyer des signaux forts d’apaisement avec une suspension de l’usage de la force à l’intérieur et aux abords des campus, et un engagement ferme sur un calendrier de paiement des arriérés.

​Pour pérenniser la paix sociale et éviter que ce scénario ne se répète, il est urgent de créer un Comité de gestion des crises universitaires (Cgcu) permanent, regroupant l’administration, les représentants des étudiants, le Ministère, la Direction des bourses et des médiateurs indépendants. Ce comité doit travailler de manière proactive sur la prévision des paiements et la transparence, la modernisation du système de bourses et d’aide sociale, et l’élaboration de protocoles de communication de crise clairs et professionnels.
​La crise actuelle dans les universités est un miroir des failles de notre système de gestion des affaires sociales et de la jeunesse. Notre pays ne peut se permettre de voir ses universités devenir des foyers d’instabilité. L’heure n’est plus à la démonstration de force, mais à l’humilité, à la négociation et à la sagesse. La survie de notre cohésion sociale en dépend.
Souleymane LY
Spécialiste en communication
julesly10@yahoo.fr