Pour la première fois au Sénégal, une étude permet de mettre des chiffres sur la prévalence des Violences gynécologiques et obstétricales (Vgo). Avec une femme sur trois qui est touchée, le plaidoyer pour l’intégration des Vgo dans le Plan national de lutte contre les violences basées sur le genre et les droits humains 2024-2028 est lancé. 

Par Mame Woury THIOUBOU – Quand les femmes évoquent leur vécu dans les structures de santé, qu’il s’agisse des services gynécologiques ou obstétricaux, elles parlent souvent de brimades, de maltraitances ou de paroles blessantes. Une étude menée par le Groupe d’études et de recherches genre et sociétés (Gestes) de l’université Gaston Berger de Saint-Louis apporte un nouvel éclairage sur ces phénomènes. L’étude a été faite dans le cadre du plaidoyer mené par un groupement d’organisations engagé dans la défense des droits des femmes. «Notre corps, notre santé : lutte contre les Violences gynécologiques et obstétricales (Vgo) dans une perspective féministe au Sénégal (2022-25)» est mis en œuvre par un consortium composé par Equipop, Enda Santé, Roajelf Sénégal, Anj-Sr/Pf et Gestes.

Un des volets de ce projet est une étude situationnelle menée dans les régions de Dakar, Matam, Diourbel et Sédhiou, qui interroge l’efficacité des politiques, normes et protocoles en matière de santé sexuelle, maternelle et reproductive. Les résultats de cette étude ont été présentés lundi dernier à Dakar, à l’occasion de l’atelier national de plaidoyer pour l’intégration des Violences gynécologiques et obstétricales (Vgo) dans le Plan d’action national contre les violences basées sur le genre et les droits humains 2024-2028. Des résultats de cette étude, il ressort qu’au moins une femme sur trois (30, 01%) a déjà été exposée à des Violences gynécologiques et obstétricales. Elle a aussi mis en évidence les lacunes dans le traitement fait aux malades et aux accompagnants. Le consentement éclairé, norme éthique et juridique fondamentale dans toute relation de soins, est très souvent ignoré. «Dans plus de la moitié des cas, le consentement n’est ni demandé ni simulé», constate le Gestes, qui note que 76% des femmes informent n’avoir reçu aucune explication avant un toucher vaginal. «J’ai eu l’impression de ne pas exister. Juste un corps sur une table», témoigne une femme dans l’étude.
L’étude rapporte également que 22, 19% des violences sont commis lors des soins gynécologiques, et 37% lors des soins obstétriques. Et les violences institutionnelles sont encore plus importantes puisque 7 femmes sur 10 se disent concernées. Selon le Gestes, les Vgo traduisent une tendance au contrôle du corps des femmes par des pratiques médicales déshumanisantes, généralement sans un consentement éclairé : «Les adolescentes, femmes vivant avec un handicap, migrantes et professionnelles du sexe sont les plus exposées.»

L’urgence de passer à l’action
Même si le Sénégal a officiellement adhéré à l’approche des soins maternels respectueux, en cohérence avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), les Vgo, définies comme «toute forme d’abus (gestes, faits, propos, attitudes, etc.), notamment la pression psychologique, la maltraitance physique, l’acte sexiste, la discrimination, la stigmatisation, la négligence, le manque de respect, le refus arbitraire, etc., occasionnant des dommages et des souffrances durant le suivi gynécologique et obstétrical», ne sont pas reconnues «comme une réalité systémique». L’atelier de ce lundi vise à contribuer à l’intégration effective de la lutte contre les Violences gynécologiques et obstétricales (Vgo) dans le Plan d’action national Vbg/Dh 2024-2028, en cohérence avec l’approche des soins respectueux et fondés sur les droits humains. «Ces violences, qu’elles soient physiques, verbales ou psychologiques, se produisent souvent dans des moments de grande vulnérabilité pour les femmes : lors d’un accouchement, d’une consultation médicale, d’un examen ou d’un suivi gynécologique», reconnaît Dre Rokhaya Diakhaté, directrice de la Famille et des groupes vulnérables. Ces gestes brusques, cette négligence, ces violences subies ont souvent comme conséquence de graves traumatismes, et certaines femmes en sortent avec une phobie des structures de santé ou choisissent d’aller plutôt vers des matrones, souligne le Gestes dans ses conclusions.

Sur l’échelle du territoire, Dakar présente une prévalence plus élevée, avec 33, 79%, suivie de Diourbel (33, 12%), Matam (30, 79%) et Sédhiou (22, 10%). Dans ces régions éloignées, les Vgo sont une réalité, mais elles restent souvent tues. «Seule une action collective alliant éducation, justice, autonomisation, mobilisation citoyenne et transformation culturelle peut nous permettre d’éradiquer ces comportements», souligne Dre Diakhaté. Le ton est donné et l’atelier a déjà permis d’enregistrer les premières mesures fortes pour une matérialisation de la volonté de ces organisations. En effet, l’Association des juristes sénégalaises (Ajs), qui est souvent en première ligne pour entendre ces voix de souffrance, s’engage à intégrer les Vgo dans leurs indicateurs. La Direction de la famille s’achemine également vers une telle prise de responsabilité. De quoi ramener le sourire sur le visage de ces femmes qui, pour donner la vie, auront enduré d’extrêmes souffrances. «Que nous faut-il faire aujourd’hui ? Les femmes ont toujours parlé de ce qu’elles vivaient dans les structures de soins. Elles ne se sont jamais tues. Mais qu’est-ce que nous allons faire de toutes ces paroles libérées, comment allons-nous politiser leurs voix et transformer nos manières de faire ?», c’est l’interrogation que la chargée de programme à Equipop, Dre Ndèye Khady Babou, pose.
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