L’Etat du Sénégal, comme tous les autres pays de l’Uemoa, est bien souvent obligé de se tourner vers le marché obligataire sous-régional pour financer son développement. A la différence des autres pays de la sous-région, qui ont tous des accords de coopération avec le Fonds monétaire international, et par conséquent, ne sont pas privés de la pompe à fric du marché international, le Sénégal est devenu financièrement dépendant des sociétés d’assurance et des banques de la sous-région pour financer ses projets de développement.
Les mêmes banques et compagnies d’assurance qui prêtent au pays à des taux plus ou moins supportables, rechignent à avancer de l’argent aux entrepreneurs locaux dont les projets ont des difficultés à trouver des finances. Et si ces institutions acceptent de financer, elles le font à des conditions si prohibitives qu’elles en deviennent usuraires. D’où le nombre élevé de mortinatalité des petites et moyennes entreprises dans nos horizons. C’est alors bien plus commode de se tourner pour déclarer à haute et intelligible voix que les Africains ne sont pas aptes à l’entreprenariat.

Nombreux sont les blocages à l’investissement et à l’entreprenariat en Afrique. Tous les jours, des structures naissent aussi bien pour financer les jeunes entrepreneurs que pour encadrer ceux qui semblent les plus prometteurs. Mais les raisons les plus triviales qui mènent à l’échec des entrepreneurs en Afrique tiennent le plus souvent à la confiance des institutions de l’Etat. Dans des pays où le taux de bancarisation n’atteint pas 50% de la population, on peut se demander pourquoi on met en place des mécanismes qui repoussent et rebutent ceux qui veulent créer des entreprises, aussi petites soient-elles. L’un des plus courants mécanismes de rejet est le taux du crédit. Les banques ne prêtent pas à moins de 10% d’intérêt, et les institutions de microfinance n’hésitent pas à frôler les 25%. Bien sûr, les institutions parlent de garanties à fournir, se réfugient devant l’informalisation de nos économies, sans compter le faible niveau des emprunts sollicités.

Or, si les clients sont noyés sous les demandes de paperasse, les banques sénégalaises du moins, ne connaissent pas de problèmes de recouvrement des créances, dans leur majorité. La vérité est qu’il est commode, pour les banques, dont la majorité d’entre elles sont détenues par des capitaux étrangers, de prêter de l’argent à l’Etat et à des grandes entreprises, pour une bonne part, des filiales de multinationales. Et si ces pratiques perdurent, la responsabilité en incombe d’abord à la Banque centrale de l’Uemoa, et surtout, à nos Etats dont celui du Sénégal.

On s’en est rendu compte quand le régime du Sénégal a été prise de «frénésie bâtisseuse», notamment dans le Pôle urbain de Diamniadio. De nombreux promoteurs immobiliers, détenteurs de titres fonciers, ont sollicité des banques locales pour financer leurs projets. Les offres qui leur ont été faites ont été prohibitives, même pour ceux d’entre eux qui avaient les reins solides. Au même moment, certains de leurs concurrents étrangers, qui avaient la «chance» d’avoir au Sénégal une chaîne de banques étrangères bien établies sur place, n’ont pas eu de peine à se financer à des taux de 4% ! Une chose inimaginable dans un environnement comme le nôtre ! Mieux encore, leur emprunt était couvert par une maison d’assurance originaire de leur pays. Résultat, au moment où leurs concurrents peinaient à rassembler leur capital, ces promoteurs étrangers entamaient leur campagne de publicité pour vendre leurs appartements et leurs immeubles de bureau !

Tout le monde savait que ces étrangers n’étaient pas plus intelligents que leurs concurrents locaux. Ils ont tout simplement eu plus d’opportunités. Les exemples ne concernent pas que le secteur du bâtiment. Dans tous les Btp, ainsi que d’autres domaines d’activités, on sent que les Sénégalais ne jouissent pas de la faveur des pouvoirs publics.

Pour contourner les manques, le pouvoir de Macky Sall a mis en place plusieurs institutions censées booster le sens de l’entreprenariat des Sénégalais, en particulier des jeunes. Ces structures ont permis à certains de faire éclore leur sens des affaires, mais c’est le cas d’une minorité plus qu’infime. De plus, ces structures, comme les banques de la place, n’ont pas pour vocation de financer des projets d’envergure dont les véritables entrepreneurs ont réellement besoin. Alors, au-delà des pouvoirs publics, ne faudrait-il pas que la Banque centrale y mette du sien et s’implique dans le développement des économies nationales dans l’Union économique ? Sinon, s’il ne s’agit que de stabilité monétaire, besoin de vouloir dépasser le syndrome de la dévaluation de 1994, quel intérêt y a-t-il à mettre en place une union économique et monétaire ? Déjà, de nos jours, tous les acteurs économiques et les observateurs s’inquiètent de ce que la monnaie commune est trop forte par rapport à l’économie qu’elle doit supporter. Et si cela en est ainsi, n’est-ce pas surtout parce que les acteurs économiques sont à bout de ressources ?
Il serait temps que les dirigeants de l’Uemoa et la direction de la Bceao se penchent pour une réforme du secteur bancaire communautaire. La Banque centrale doit pouvoir être en mesure de réguler les banques locales et les encourager à injecter réellement des fonds dans le secteur économique. Il y va de la survie de tout le système.
Par Mohamed GUEYE / mgueye@lequotidien.sn