Notre pays le Sénégal, a connu depuis l’indépendance une trajectoire apaisée, malgré quelques soubresauts tels que les querelles politiques majeures dont les effets pouvaient être catastrophiques mais rapidement circonscrits par notre capacité de dépassement et nos régulateurs sociaux, dont l’autorité morale a souvent garanti notre obéissance à leurs sages recommandations. Souvenons-nous de la mort de six policiers sur le boulevard du Centenaire suite à une manifestation de l’opposition. Feu Djibo Ka, le ministre de l’Intérieur d’alors, avait dit : «Vous imaginez ce qui se serait passé si nous avions donné l’ordre de tirer.» Parmi ces soubresauts majeurs, il faut aussi mentionner les différentes vicissitudes de la rébellion casamançaise.
Rappelons-nous aussi du climat lourd d’inquiétudes, de douleur teintée de désespoir, qui a suivi le deuil de plus de 2 000 morts avec le naufrage du bateau Le Joola. Rappelons combien désemparé a été notre Peuple au lendemain de l’assassinat de Maitre Babacar Sèye.
J’ai été ministre du Président Abdoulaye Wade et je suis resté à ses côtés jusqu’au bout. Bien plus tard, d’un commun accord avec des Sénégalais engagés dans le combat citoyen du développement de notre pays, j’ai formé un parti politique : L’Alliance pour la paix et le développement (Apd). Nous sommes ensuite venus rejoindre Benno bokk yaakaar sans monnayer notre soutien. Aujourd’hui, nous ne comptons aucun président de Conseil d’administration, aucun ministre-conseiller, aucun conseiller économique social et environnemental, aucun membre du Haut conseil des collectivités territoriales. Nous ne recevons pas de cachets de fin du mois. Loin de moi l’idée de vouloir critiquer ceux qui en ont. Il est temps d’arrêter l’hypocrisie qui ne trompe personne et qui ne sert personne.
M. le président de la République dispose de beaucoup de prérogatives et de privilèges, parmi lesquels une caisse d’avance, de laquelle il peut très bien appuyer un parti politique allié. Ceci n’est ni illégal ni politiquement illogique. Arrêtons certaines contradictions qui semblent découler d’incohérences entre notre morale et nos lois. Si le fait que M. le Président appuie financièrement un parti choque notre morale comportementale et citoyenne, non seulement nous devons le rendre impossible en légiférant des limites d’actions à cette caisse d’avance, mais nous devons régler définitivement la question du financement des partis.
Malgré la situation signalée plus haut, nous sommes dans Benno bokk yaakaar et nous soutenons le président de la République Macky Sall. Dans Benno bokk Yaakaar, beaucoup se demandent si vraiment nous soutenons le Président ou si nous le soutenons à moitié. Qu’ils se tranquillisent. Nous le soutenons, mais autant nous le soutenons sans exiger un quelconque retour d’ascenseur, autant nous nous sentons libres de contribuer à notre façon au débat politique.
Il est normal que le Président Maky Sall partage d’abord son pouvoir avec ceux à qui il avait dit : «Gagnons ensemble et gouvernons ensemble.» Puisqu’à l’époque de cette promesse, j’étais avec Maitre Abdoulaye Wade, il est normal que mon parti aie moins de responsabilités que les autres éléments de Benno bokk yaakaar, qui étaient en campagne pour l’élection de Macky Sall. C’est cette même situation qui me donne le devoir de défendre le bilan de Maitre Wade dès qu’on l’attaque de façon politicienne, parce que j’en suis tributaire. Et cela étonne certains.
Ces groupes qui s’étonnent que l’on puisse faire preuve d’un minimum d’objectivité, qui ne se sentent à l’aise que dans les clivages profonds, qui pensent que dès qu’un membre de Benno bokk yaakaar dit du bien de Maitre Wade, son soutien au Président Macky Sall n’est plus fiable et ces autres groupes qui pensent que toute appréciation positive de l’action gouvernementale signifie tourner le dos à Maitre Wade, ces groupes-là ne soutiennent ni le Président Macky Sall, ni Maitre Abdoulaye Wade, ni le Sénégal et ne gèrent que des intérêts très particuliers. Leur pire cauchemar, c’est l’apaisement des tensions et les retrouvailles entre celui qui de toutes façons ne cessera jamais d’être le père et celui qui ne cessera jamais d’être son fils. Ce serait pour eux une véritable catastrophe.
Il n’y a pas de peuples bénis, de peuple exceptionnel. Des peuples qui ont reçu des prophètes ont vécu des drames bien après. N’oublions pas que l’histoire nous enseigne qu’Abraham, sentant sa fin approcher, avait confié à ses enfants que son peuple sera réduit en esclavage pendant 2 générations, mais qu’à la 3ème génération, Dieu enverra un libérateur.
Nous avons des saints, de très grands saints qui ont déversé leur baraka sur cette chère terre du Sénégal, mais combien d’entres nous vivons ne serait-ce que quelques de leurs recommandations dans notre vie de tous les jours. Et pourtant, tout en vivant souvent comme nous le voulons, y compris la belle vie dans le sens le plus moderne du terme, nous disons qu’à cause d’eux rien de grave ne peut nous arriver.
Cependant, méfions-nous de la politique, qui peut être source de tous les dangers. L’élection présidentielle de 2012 était porteuse de gros dangers potentiels. Celle 2019 ne l’est pas moins. Nos pays sont en construction : il faut éviter la déconstruction et les conflits, qui peuvent créer des ruptures qui se panseront difficilement. Et, au Sénégal les composantes de la classe politique jouent à se faire peur parce que chacun veut se montrer plus rusé et plus osé que l’autre.

Aussi j’interpelle Le Président Macky Sall
Monsieur le Président, je vous soutiens et mon plus grand souhait est que vous ayez un deuxième mandat pour avoir le temps de parachever la plus part des initiatives que vous avez mises en œuvre dans le cadre du Pse. D’abord, parce que c’est l’intérêt du citoyen qu’un régime parachève ses actions au lieu d’un éternel recommencement pour une jeune nation comme la nôtre. Mais pour cela, vous avez plus besoin d’addition que de soustraction. Les faucons, les va-t-en-guerre autour de vous, doivent savoir qu’un Président, on lui cherche des amis et non des ennemis. Il n’est nullement question de désolidifier la base électorale de Benno bokk yaakaar, mais le consensus au sein de la classe politique d’un pays, comme ce qui s’est passé chez nos voisins du Cap-Vert, vaut bien des arrangements. Les appels au dialogue doivent être soutenus par la définition d’objectifs précis, précédés et suivis d’actions concrètes.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’un Président libéral qui s’allie à un parti d’obédience socialiste et à d’autres d’obédiences communiste et centriste, ne peut pas en même temps se réconcilier avec le père spirituel du libéralisme sénégalais. Mais cela demande beaucoup de dépassement, à savoir fermer le dossier de la Crei ! Amnistier les parties déjà condamnées dans ce cadre, apaiser le front social en faisant des efforts presque hors de la portée de notre budget pour les revendications corporatistes de toutes sortes, en trouvant une solution convenable à notre justice mais acceptable pour Khalifa Sall et ses partisans, se réconcilier et sublimer Maitre Wade de son vivant et ne pas attendre sa mort que l’on souhaite le plus tard possible, pour se réclamer de son héritage.
Le dialogue peut s’enclencher par le règlement définitif du statut du chef de l’opposition qui, de facto sera le leader du Pds. Et poursuivre par un dialogue inclusif dont le but sera non pas l’unanimisme mais la disparition des tensions des menaces feutrées de part et d’autre. Je sais que la politique n’est ni le domaine des sentiments ni celui de la religion mais celui des rapports de force et aussi des intérêts maquillés par la morale ou la courtoisie diplomatique. Je n’interviens donc pas en idéaliste.
Nous devons rapidement chercher à établir un climat sain entre les différentes composantes politiques du pays car il y a danger, il y a un bouleversement de nos socles de valeurs, les contraintes sociales font naitre des anti-modèles et l’injure devient la chose la mieux partagée.
Les 18 mois qui nous séparent de l’élection présidentielle permettent encore cette décrispation. Certains hommes politiques, qui s’amusent à se faire peur, qui parlent d’éthnicisme et de confréries, quelle que soit la nature des causes qu’ils défendent, n’aiment pas ce pays. On entend certains politiciens menacer le Président et ses alliés.
Ils savent pas qu’il n’y à rien de plus dangereux pour un pays qu’un homme au pouvoir, qui se sent ou qui sent sa famille ou ses proches menacés. C’est ce qui a brulé beaucoup de pays au monde. Et en Russie, ce type de menace rapporté par les services de renseignement a abouti au couple politique Président-Premier ministre Poutine-Medvedev qui, en permutant, gouverne la Russie depuis presque 20 ans maintenant. Le pouvoir est basé sur la force et cette dernière est matérialisée par les forces militaires et de sécurité. Mais de toute façon, toutes ces forces sont basées sur l’organisation et l’argent. La démocratie n’est jamais un bien définitivement acquis. Qui aurait pu penser que dans certaines vieilles démocraties occidentales, certaines choses pourraient se passer au 21ème siècle. Comble de paradoxe, lorsqu’on soupçonne un Président élu américain d’avoir obtenu un coup de pouce cybernétique de l’Union soviétique.

J’interpelle l’opposition
La posture citoyenne, républicaine, voudrait que l’on évite la philosophie du «Monsieur vous occupez la chaise que je convoitais donc vous ne ferez rien de bon à mes yeux, quels que soient vos efforts, et quelle que soit votre volonté de bien faire. Moi je ne vous reconnaitrais rien de positif. Le mieux que vous avez à faire, c’est de vous ôter de la pour que je m’y mette». Cet opposant fait systématiquement un travail de sape pour noircir le tableau du régime le plus possible et cela ne sert à rien pour 2 raisons :
Les Sénégalais ne sont pas dupes du tout, et c’est dommage que dans nos voitures climatisées aux vitres teintées, avec comme contacts sociaux nos seuls amis, parents et partisans qui nous informent rarement de la réalité, nous n’entendons pas les populations qui réclament un débat de programmes alternatifs à la place des invectives et des combats de biceps. Le citoyen à la longue, se dit : «Même si je ne suis pas entièrement content du Président Macky, ils ne sont pas mieux que lui parce que tout ce qu’ils veulent c’est le pouvoir. Ce n’est pas pour nous qu’ils se battent.»

La deuxième raison :
Quand la politique devient comme un jeu de poker où tout le monde triche, tout le monde sait que tout le monde triche mais on s’assied à la table et on fait semblant de jouer avec sérieux, le sommet du triangle qui est cette élite d’un pays n’a plus d’emprise sur la base. Et dans ces cas précis, sauf incident critique majeur, les citoyens perdent toute motivation. Le taux d’abstention est tellement élevé que seuls les partisans votent et dans ces situations, c’est le Président en place qui est reconduit.
Le débat doit être programmatique et stratégique sur le développement. Mais, raconter certaines contre-vérités auxquelles on ne croit pas soi-même, simplement parce qu’on est à l’antenne, ou résumer le tout à des injures, le citoyen ordinaire le ressent comme un manque de respect, comme une insulte à son intelligence.
Quand une opposition attaque frontalement, même les observateurs internationaux, simplement parce que leur avis n’est pas dans le sens souhaité, c’est que la capacité d’écoute et de conciliation avec le pouvoir est plus basse que le seuil minimum critique, et c’est grave. Alors Décrispons, c’est urgent
L’opposition sera le pouvoir de demain et subira toute désacralisation de l’institution présidentielle à laquelle elle aura aujourd’hui contribué.

J’interpelle Maitre Abdoulaye Wade
C’est un pléonasme que de citer vos apports et contributions à la vie politique et le développement de ce pays. Aujourd’hui, les 40 ans de gouvernance libérale que vous aviez prévus sont plus que possibles. Beaucoup d’acteurs majeurs de la vie politique du pays sont soit des ex-Pds soit sont passés à votre école. La décrispation est possible et tout le monde y gagne. La seule demande que l’on vous a faite est de répondre à l’appel au dialogue. Un agenda et des parties garantes et notre pays pourraient permettre des accords gagnant-gagnant.

J’interpelle la Société civile
Elle intervient souvent dans le débat comme un garde-fou, un antidote du pouvoir. Le seul antidote d’un pouvoir c’est un contre-pouvoir. Mon humble sentiment est que les organisations de notre Société civile doivent être plus équidistantes entre le pouvoir et l’opposition, pour pouvoir disposer d’une capacité d’écoute qui leur permet de concilier les deux parties a chaque fois que le point de rupture est proche. Autant le rôle de sentinelle de la démocratie est important, autant l’est le rôle de contact et de conciliation des différents segments de la société. Agissons.
Thierno LO  – Ancien ministre Président du parti Apd