Dans le paysage médiatique sénégalais actuel, rare sont les journaux qui se consacrent à la satire. Le journaliste et écrivain Pape Samba Kane, lors du colloque sur Mame Less Dia (Une figure de proue de la satire au Sénégal), soulignait cette quasi-inexistence de la satire au Sénégal. «C’est une grande interrogation», disait-il. Il ajoute : «Ce que je constate et qui est incontestable, c’est que durant le régime de Abdoulaye Wade, ce qui restait de la presse satirique est mort, y compris les plus solides comme le Cafard Libéré». «Mes tentatives avec Vive la République et le quotidien Taxi Le Journal n’ont pas marché. Je ne sais pas pourquoi. Mais ce dont je suis sûr, c’est qu’un journal satirique est nécessaire à l’environnement», a-t-il dit. Ibrahima Khalil Wade, directeur de publication du journal Enquête, Ibou Fall, fondateur du journal satirique Petit Railleur et le dessinateur de presse Omar Diakité (Odia) se prononcent sur la question.

Diplômé en communication graphique à l’Ecole des beaux-arts de Dakar depuis 1988, Omar Diakité alias Odia est un dessinateur de presse, de Bd, illustrateur et infographiste très connu au Sénégal. Il a fait beaucoup de journaux : le Cafard Libéré, le Matin, Info Sud, Le Quotidien, le Populaire et il constate avec désolation, à l’instar du journaliste et écrivain Pape Samba Kane, l’absence de la presse satirique dans les kiosques sénégalais. «On aurait voulu que chaque journal puisse avoir son propre dessinateur. Ce n’est pas le talent qui manque, il y a beaucoup de dessinateurs de presse qui sont là et qui ne demandent qu’à écrire dans les journaux. Au Soleil, et à Lamb-ji, ils ont leurs illustrateurs de talent et moi aussi j’ai eu cette chance d’évoluer dans le journal la Tribune, mais c’est très peu par rapport au nombre de journaux qu’il y a au Sénégal. J’aimerais que ça se multiplie», affirme-t-il.
Mais ce n’est pas l’avis de Ibrahima Khalil Wade, dirpub du journal l’Enquête. Lui pense que ce sont les ressources humaines qui font défaut. «On avait des journaux satiriques comme le Cafard Libéré, Cocorico, mais actuellement à part le journal de Ibou Fall, Le Petit Railleur, je ne vois pas de journaux satiriques dans les kiosques.» Il ajoute : «A part Odia, je ne connais pas de très grands caricaturistes. Odia est en train de faire de très belles choses avec la Tribune. De temps à autres, on voit certaines planches, mais la satire n’est plus ce qu’elle était. C’est peut-être dû à un manque de ressources humaines.» Poussant son analyse, M. Wade note que la satire requiert surtout du talent. «Est-ce que ça existe sur le marché ?», s’interroge-t-il. Ajoutant : «Ce n’est pas trop ancré dans nos mœurs et dans notre quotidien. Souvent la caricature est mal vue par certains. Beaucoup de journaux n’en font pas usage. La preuve, l’affaire Oulèye Mané.»
De son côté, Ibou Fall, l’actuel «roi de la satire», porte sa vision un peu plus loin. «En Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et même au Bénin, il y a des journaux satiriques. Des journaux qui ont du succès. En Côte d’Ivoire, il y en a même deux : L’éléphant Déchaîné… Pourquoi donc au Sénégal, le pays pionnier dans la presse satirique au niveau de la sous-région, il n’y a plus de presse-satire ?» Cela s’explique à son avis par le fait qu’en un moment donné les promoteurs de la presse satirique sont allés faire autre chose. «Mame Less Dia qui a créé le Politicien est allé à Abidjan pour créer un journal. Laye Bamba Diallo et Chams Aïdara qui étaient à l’origine du Cafard Libéré sont partis faire autre chose. Laye Bamba Diallo a créé Nouvelle Horizon et Chams Aïdara est parti au Mali. Ils ont abandonné la satire. Pape Samba Kane a pris le relais, mais on lui a proposé de créer un quotidien, le Matin et il est parti…». Pour Ibou Fall, «ceux qui investissaient le créneau de la satire ont préféré aller faire autre chose».
A cela s’ajoutent les problèmes d’ordre économique. «Il y a eu des tentatives : Odia a essayé. Il y a eu Cocorico, mais ça n’a pas fait long feu. Moi j’ai connu des déboires avec Le Petit Railleur qui continue de paraître.» Malgré tout, M. Fall garde une note d’espoir. La satire n’a pas complètement disparu : «Ce qui a disparu c’est la presse satirique. Mais dans le paysage médiatique, la satire existe toujours. Le succès de Koutia, de Sa Ndiogou, du journal rappé, de Tonton Ada et Sylla Mounial illustrent cette culture de la satire sociale et de la satire politique», conclut-il.

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