Déclarée en sursis il y a quelques mois, l’Ecole des sables prévoit du 19 février au 3 mars, un stage exceptionnel avec 4 grandes dames des danses d’Afrique : à savoir Germaine Acogny, Irène Tassembédo, Flora Théfaine et Elsa Walliastion. Mais au moment où Toubab Dialaw s’apprête à accueillir des stagiaires, une question se pose. L’Ecole des sables est-elle vraiment sortie de l’auberge ? Patrick Acogny, qui a pris la relève de sa mère Germaine, donne pour Le Quotidien quelques éléments de réponses.

Vous êtes directeur artistique de l’Ecole des sables depuis maintenant 3 ans. Comment s’est faite la transition avec Germaine Acogny ?
Je vivais en France et je venais seulement pour des activités ponctuelles de formation. Je faisais la plupart de mon temps en France et je travaillais là-bas. C’est en prenant le poste de directeur artistique que je me suis installé à Dakar pour remplacer à plein temps Germaine Acogny à l’Ecole des sables, qui est un centre international de formation en danse traditionnelle, en danse contemporaine d’Afrique.

Vous êtes aussi, tout comme Germaine Acogny votre mère, danseur, chorégraphe, professeur de danse. Vous a-t-elle influencé dans vos choix de carrière ?
Indubitablement elle m’a influencé, elle m’a inspiré. Elle ne m’a pas forcé. Ça été un choix tardif parce que quand j’ai décidé de vraiment faire ce métier, suivre la voie de ma mère, j’avais déjà 23 ans, ce qui pour un danseur, est tard. C’est venu tardivement non pas que je n’avais pas cette passion de la danse. Mais simplement que je n’avais pas décidé de devenir danseur. Oui, elle m’a influencé, j’ai voulu faire comme elle mais différemment. Elle m’a formé à sa technique et j’ai complété cette formation en suivant des stages en danses traditionnelles au Sénégal et au Mali. Et pour ce qui est des danses contemporaines en Europe. Aujourd’hui je suis assez content de ne pas être un clone de ma mère.
L’Ecole des sables organise à partir du 19 février un stage international de danse, qu’elle intitule : «Les grandes dames des danses d’Afrique.» Pourriez-vous nous en parler un peu plus ?
C’est un stage international de danse qu’on organise du 19 février au 3 mars et qui sera animé par 4 grandes dames de la danse africaine (Germaine Acogny, Irène Tassembedo​, Elsa Walliaston et Flora Thefaine). Ce stage va durer 2 semaines. La première semaine, les cours seront donnés par Elsa Wolliaston et Irène Tassembedo et du 26 février au 3 mars : Flora Thèfaine et Germaine Acogny prendront la relève. La restitution se fera le 3 mars à l’Institut français de Dakar.

Qu’est-ce qui pousse l’Ecole des sables à organiser ce stage ?
Ce stage il faut comprendre, intervient dans un contexte où l’Ecole des sables est en mode survie, elle croule sous le poids des difficultés financières et l’accompagnement des institutions ne se fait plus. On s’est retrouvé le couteau sous la gorge, on s’est donc dit que jusqu’à présent, on reposait sur des subventions pour pouvoir mener nos projets, il va falloir assurer davantage des rentrées économiques et financières. Com­ment faire ça, sinon en organisant des évènements qui nous rapportent de l’argent. Qu’est-ce qu’on fait mieux ? On forme des gens. On va former des gens, mais il faut les attirer. Pour les attirer, il faut des gens exceptionnels, et les mettre dans des endroits exceptionnels qu’est l’Ecole des sables et réunir des gens exceptionnels, pour que les gens aient envie de venir.

Qu’est-ce que ça vous a couté de faire venir ces 3 grandes dames de la danse ? Etait-ce facile ?
Ce n’est pas facile, ces femmes sont très occupées, ont beaucoup de choses à faire mais elles ont répondu oui tout de suite. Quand on prend une bonne décision je crois, les énergies se mettent en route et ça se réalise. Toutes ces femmes étaient disponibles. Elles ont offert leur cachet gracieusement et ne nous coutent que le transport, l’hébergement et c’est leur désir d’apporter leur aide, leur soutien à l’Ecole des sables. Elles viennent gracieusement et c’est extraordinaire.

Une restitution se fera à l’Institut français le 3 mars. Pourquoi pas à l’Ecole des sables ?
C’est parce que la directrice de l’Institut français, Anne Potier, a voulu faire le rapprochement avec la Journée internationale des femmes le 8 mars. Elle s’est dit voilà une opportunité d’avoir ces femmes qui sont, elles une opportunité pour l’Afrique, un exemple pour d’autres femmes. Parce que ce sont toutes des femmes fortes, indépendantes qui ont su mener leur carrière. On va donc rapprocher l’événement de la journée des femmes et en profiter pour raconter l’histoire de ces femmes et de leur travail. J’espère que le public va venir suivre la restitution. C’est gratuit. Il faut venir découvrir ces femmes parce que ce n’est pas chaque jour qu’on a l’occasion de les voir. Aujourd’hui on parle beaucoup de harcèlement des femmes ; C’est très négatif. Il faut dénoncer cela. Quand aussi on a des femmes fortes, des femmes qui sont des modèles, des exemples, il faut en profiter parce que ça peut inspirer des femmes sénégalaises. Ça peut inspirer nos artistes sénégalaises, nos danseuses sénégalaises qui sont parfois un peu timides, timorées. Elles ont leur place dans l’espace public, il faut qu’elles la prennent et je pense que ces femmes peuvent les inspirer.
L’Ecole des sables a failli fermer ses portes il y a quelques mois, mais heureusement elle tient toujours et envisage de s’inscrire dans une nouvelle dynamique en organisant de plus en plus de stages et grands événements comme le dernier pour voler de vos propres ailes. Est-ce que ce stage est plus couteux que les précédents ?
L’Ecole des sables fonctionne de façon cyclique. De durée plus ou moins différente. La formation la plus importante c’est la formation des Africains, qui dure 3 mois pratiquement. Qui consiste à former sur 3 ans, pendant 3 mois chaque année, des Africains à devenir des interprètes et éventuellement des chorégraphes. Ce que l’on sait moins, c’est que ce stage de formation des Africains est couteux. Dans la mesure où les Africains ne payent pas leur stage. Ils viennent de toute l’Afrique mais ils payent rarement leur transport, leur logement, leur nourriture et leur formation. C’est l’école qui trouve elle-même des fonds, des subventions pour les former. Ces danseurs sont généralement des boursiers de l’Ecole des sables, et ne sont pas pris en charge par leurs Etats respectifs. C’est l’Ecole des sables qui le fait. C’est énormément de travail et d’argent. Quand on n’a pas d’argent, on ne peut plus les former. Or la mission première de l’Ecole des sables c’est de former des Africains. On est dans une situation où sans subvention, pas de formation d’Africains. Et l’Ecole des sables, c’est aussi une structure avec des gens qui travaillent, des employés payés mensuellement, des bâtiments qu’il faut maintenir. Bref c’est un coût annuel d’entretien entre 150 000 et 200 000 euros. C’est lourd. Nous menons alors des activités qui doivent ramener de l’argent pour pouvoir maintenir le bateau. En même temps, continuer notre mission. L’école, c’est comme un paquebot qu’il faut maintenir pour qu’il puisse avancer. On devrait demander à nos Etats d’aider les Africains. Sur les 46 personnes qui vont venir, il y aura 10 Africains invités qui ne vont pas payer. Les autres payent le stage et avec cet argent, les bénéfices vont rentrer dans le fonctionnement de l’école et une partie va être prise pour la formation des Africains. Plus on a des formations comme cela qui marchent, plus on permet au bateau d’être maintenu sur le flot et d’avancer.

Qui subventionnait l’Ecole des sables ? Et pourquoi ces subventions ne viennent plus ?
L’école existe depuis presque 20 ans. Les institutions quand elles acceptent de vous accompagner c’est généralement sur 3, 4 ans. Et après elles vont vers d’autres compagnies ou activités. Elles essayent de toucher un peu à tout pour justifier que l’argent est bien dépensé. Quand elles vous accompagnent trop longtemps, ça pose problème au niveau de leur politique. Les institutions qui nous accompagnaient n’étaient pas des institutions sénégalaises, c’étaient des institutions étrangères, la coopération étrangère. C’est la France à travers l’Institut français et essentiellement les Pays-Bas à travers des fondations. Ces institutions nous ont accompagnés pendant 9 ans. C’est énorme ! C’est extrêmement rare de voir une institution vous accompagner pendant aussi longtemps. Donc ils ont fait des efforts. Mais ces aident s’arrêtent en un moment donné. On a évidemment essayé de trouver d’autres institutions qui pouvaient nous accompagner. Sauf que si on comprend le contexte global, 2008, la crise immobilière. Ça a entrainé une baisse des subventions dans la culture. Aujourd’hui les pays européens subventionnent beaucoup moins. La politique de l’Institut français aujourd’hui, on ne parle plus de culture mais de coopération. Cela veut dire qu’avec une petite enveloppe, ils essayent d’accompagner. Mais ils se trouvent réduits. Ils sont courageux d’essayer de faire de leur mieux. Mais ils sont limités parce qu’ils n’ont plus d’argent.

Donc depuis qu’elle existe l’école n’a jamais bénéficié de soutien de l’Etat du Sénégal ?
Nous avons eu plusieurs fois des promesses de subventions de l’Etat du Sénégal. Une fois nous avons reçu 3 millions du ministère de la Culture. On faisait partie de 24 associations qui ont reçu de l’argent du ministère de la Culture pour le fonctionnement. Une petite aide en attendant d’autres qui suivraient. Pour nous c’était un beau geste, il faut le reconnaitre, mais un geste petit, qui évidemment n’est pas suffisant. Quand l’Europe soutient la culture africaine, il faut se poser la question que font nos pays. Ils soutiennent une culture qui n’est pas la leur, avec l’argent du contribuable dont ce n’est pas la culture. Celui qui paye les impôts en France, au Pays-Bas, soutient la culture en France. Est-ce que c’est normal ? On peut trouver plein de justifications. Mais concrètement le premier à devoir soutenir notre culture, c’est notre gouvernement. Ce n’est pas l’étranger.
C’est quand même étonnant que l’école n’ait jamais bénéficié de subvention de l’Etat ni même de particuliers sénégalais depuis qu’elle existe ?
On a souvent eu des promesses, il y a eu de la volonté, mais l’argent n’arrivait pas. Le soutien manque de consistance à vrai dire. Il n’y a pas de vraie volonté politique, de vraies visions culturelles. Aujourd’hui le cinéma reçoit une subvention de 2 milliards, les cultures urbaines ont leurs 300 millions. Donc il y a des choses qui se mettent en place et on attend pour la danse. Un dossier a été déposé pour que la danse puisse elle aussi bénéficier d’un fonds. On nous a dit d’être patients, parce que ça se négocie à différents niveaux. Mais quand ton bateau est en train de couler, il est difficile de patienter. Peut-être que le tour de la danse arrivera bientôt !

Combien faut-il concrètement à l’Ecole des sables pour sortir définitivement de l’ornière ?
Aujourd’hui ce dont on a besoin c’est d’une vraie aide, une aide consistante. Si on recevait par an entre 80 000 euros et 120 000 ce serait très bien. Cela veut dire que le reste des revenus pourrait nous permettre d’envisager le futur sur 3, 4, 5 ans. Il faut savoir que nous sommes une entreprise culturelle. Et toute entreprise culturelle a besoin d’avoir une vision sur le moyen et le long termes. On ne peut pas vivre sur du court terme. Si on est sur le court terme, c’est qu’on est juste occupé à gagner de l’argent pour payer les gens, faire de petits projets. Or ce qui fait la réputation de l’Ecole des sables, c’est sa capacité à voir sur le long terme. Voir jusqu’où on peut accompagner un danseur. Parce qu’un danseur, sa formation ne se termine pas à l’Ecole des sables. Il va continuer à travailler avec des gens, à se développer. Il lui faut une formation en gestion, comptabilité. Parce qu’un danseur c’est un entrepreneur, un freelance qui doit gérer sa carrière. Or il faut savoir lire les contrats, les signer… Et tout ça manque. Nous notre capacité à voir sur le long terme nous permet d’anticiper jusqu’où on peut aller dans l’accompagnement du danseur. Si on est sur du court terme en ne sachant pas que sur les 6 mois on va pouvoir continuer, il est évident que cela nous empêche de nous projeter dans le futur.