Ça sent le roussi pour Mohamed Djibril Dia et ses collègues enseignants. Pour l’affaire de la fraude au Bac à laquelle ils sont mêlés, le Parquet a requis à leur encontre 5 ans de prison ferme, 5 millions de francs d’amende et une interdiction d’exercer leurs droits civiques pendant 10 ans. Le Tribunal se prononcera le 12 juillet.

L’affaire de la fraude au Bac a livré hier tous ses secrets. On en sait plus sur cette rocambolesque tricherie qui a fini de ternir l’image du Baccalauréat 2017 et dont les principaux acteurs sont des professeurs et des élèves en classe de Terminale. Mais le ministère public n’a pas été tendre avec ces derniers. Il a requis des peines allant de 6 mois à 5 ans de prison ferme. Selon lui, c’est une entreprise de fraude jamais aussi masquée, car elle s’est répandue sur le plan national du fait que les sujets ont été répartis entre Tivaouane, Thiès, Diourbel, Kaolack et Dakar. Estimant qu’on ne doit pas permettre à certaines personnes de frauder tandis que d’autres font un travail de dur labeur, il a requis les peines à infliger en répartissant les prévenus en 4 groupes. Il définit le premier groupe, composé de 22 personnes et pour lequel il a requis 6 mois de prison avec sursis pour association de malfaiteurs et fraude au Bac, comme des élèves qui ont choisi la facilité pour réussir l’examen.
Le second groupe est celui des 5 proches parents accusés d’avoir transmis les épreuves aux candidats du Bac. «Leurs actions consistent en une complicité et non une fraude aux examens», dit le parquetier en sollicitant 2 ans ferme et une amende d’un million de francs pour ces mis en cause.
Pour la troisième catégorie composée de 9 personnes, le proviseur de Kahone, de Guiro et Dame Lô, Pape Omar Ndiaye et Saliou Sarr, il a requis 5 ans ferme et 5 millions de francs d’amende. Il a demandé qu’ils soient frappés d’une interdiction de leurs droits civiques pour une durée de 10 ans. Selon le Parquet, ils ont agi dans le cadre de leurs intérêts égoïstes.
A l’encontre de Abdoulaye Ndour, il a sollicité 2 ans ferme et un million de francs d’amende. Contre les élèves Mame Diarra Diakhaté, Pape Oumar Mboup, O. Dieng, Mariétou Ndoye, Binetou Ndiaye, Moha Guèye, Pape Gora Seck, Adji Ndiaye, Mohamed Ndiaye, Djibril Kébé et Adji Ndiaye, il a requis 2 ans de prison assortis du sursis. Et 2 ans ferme et un million d’amende pour Diarra Niang, Fatou Bakhoum, Mohamed Ben Abdallah Baye. A l’encontre de Mohamed Ben Abdallah Mbengue, le procureur Mboup a requis 3 ans ferme et 2 millions d’amende.

«C’est le proviseur qui m’a remis les épreuves moyennant 30 mille et 50 mille francs»
En tout cas, le proviseur du lycée de Kahone n’est pas exempt de tout reproche dans cette histoire. Mohamed Djibril Dia a été mouillé jusqu’au cou par la dame Fatou Bakhoum. «J’ai fait le Bac en 2014 à Kaolack, ça n’avait pas marché. Je l’ai repris en 2015, ça n’avait pas aussi marché. Ainsi, j’ai décidé de changer d’établissement. On m’avait conseillée d’aller à Kahone parce que là-bas les élèves s’entraident dans les travaux de groupe. Après l’épreuve de l’anticipée de philo, j’ai été abordée par le proviseur Mohamed Djibril Dia qui m’a demandé si j’avais le Baccalauréat. Je lui ai répondu par la négative. Il a promis de m’aider à réussir à mon examen en me trouvant les épreuves de français, d’histoire-géographie et d’anglais moyennant la somme de 30 mille francs. Mais comme je ne pouvais trouver seule cette somme, je m’en suis ouverte à mon amie Ndew Badiane. Et nous avons cotisé chacune 15 mille francs. Le proviseur m’a remis ensuite les sujets de la session 2016 à l’issue de laquelle nous étions toutes admises. Mais en 2017, j’ai encore sollicité ses services pour une de mes cousines qui se trouve à Tamba et qui avait passé le Bac à plusieurs reprises sans succès. Et c’est Baye Talla qui m’avait mise en rapport avec Mamadou Moussa qui m’a envoyé la somme de 50 mille francs que j’ai remise intégralement à M. Dia. C’est ainsi qu’il m’a donné un rendez-vous au garage Nioro où il m’a remis les épreuves du Bac 2017», accuse-t-elle.
Invité par le juge à se prononcer sur ces accusations, le proviseur du lycée de Kahone dit reconnaître qu’une partie des faits. Selon lui, c’est par l’intermédiaire de son ami Daouda Diallo qu’il a connu Fatou Bakhoum. Et ce dernier lui avait demandé de trouver les moyens d’aider cette élève qui a fait le Bac à plusieurs reprises sans succès. «Je l’ai vue après les anticipées. Je l’ai abordée et ensuite je l’ai invitée dans mon bureau. J’étais le chef du centre de Kahone en 2016. C’est ainsi que je lui ai promis de l’aider», dit-il. Et le juge n’a pas manqué de lui poser la question de savoir comment il pouvait l’aider. «J’ai un ami à l’Office du Bac. Il s’appelle Mamadou Thiam. Nous nous sommes connus en 2012. Chaque année, je vais déposer des dossiers du Bac à l’Office. C’est quelqu’un de commerce facile. Et depuis lors, nous sommes restés très liés et entretenons de très bons rapports. Quand il m’a parlé d’une possibilité de rentabiliser le taux de réussite, je lui ai dit : ‘’Comment cela peut-il se faire ?’’ Je croyais que c’était par des  textes», répond-il. Le proviseur souligne que c’était dans l’unique but d’apporter son aide à cette élève qui peine à décrocher son sésame. «Je ne sais pas comment expliquer cela. Je suis au crépuscule de ma carrière», regrette-t-il avant de préciser que Fatou Bakhoum lui a remis en 2016 la somme de 30 mille francs et celle de 100 mille francs en 2017. «En 2016, je ne lui ai remis qu’un seul sujet d’histoire-géographie que j’ai reçu de Mamadou Thiam. Et en 2017, je lui ai remis des épreuves de français, d’histoire-géographie et d’anglais», reconnaît-il. Mais si ces épreuves étaient à revendre, il les aurait vendues à quelqu’un de plus riche que la dame Fatou Bakhoum car, d’après lui, M. Thiam lui avait réclamé la somme de 150 mille francs, mais Fatou Bakhoum ne lui a remis que 100 mille francs et il a pris sur lui l’engagement de combler le reste.
Quant à l’encadreur Mbaye Talla, il prétend aussi apporter son aide à Fatou Bakhoum. «Un jour, elle m’a parlé des sujets et m’a demandé de l’aider à les traiter parce qu’ils pourraient sortir à l’examen. Je lui ai dit de me les envoyer, mais elle a refusé en disant qu’elle les vend à 50 mille francs. C’est ainsi que j’en ai parlé à Khady qui m’a envoyé la somme de 45 mille francs que j’ai versée intégralement à Fatou Bakhoum via Orange money», se défend-il.
Installé aussi dans la cause, le professeur d’anglais Saliou Sarr dit avoir reçu le sujet de français de son collègue Pape Omar Mboup qui lui a confié que plusieurs élèves sont venus le solliciter pour le traitement de cette épreuve. A l’en croire, c’était un sujet incomplet parce que la consigne a été découpée. Pourtant, il reconnaît que c’est le même sujet qui est sorti à l’examen. Mais sa faute réside dans le fait qu’il l’a transmis à son élève Aminata Seck qui, malgré tout, a échoué au Bac.
Interpellé sur ces épreuves, le professeur de français Mboup déclare que plusieurs élèves sont venus le voir pour lui demander de leur traiter un sujet de français. Il dit être interpellé en ce sens aussi par ses meilleurs élèves Fallou, Mamadou Ka et Modou Diouf qui avaient copié le même sujet dans leur cahier. Selon toujours lui, la veille de l’examen, l’élève Marie Diatta est venue aussi lui apporter un autre sujet de compte rendu de dissertation, mais il lui a demandé de l’envoyer sur le portable de sa femme. Et c’est la somme de toutes ces sollicitations qui l’a poussé, dit-il, à envoyer le sujet de français à son collègue Saliou Sarr. Mais il jure ne pas savoir que c’étaient des fuites, car s’il le savait il allait porter plainte contre l’élève en question, indique-t-il.

Quand les arnaqueurs s’y mêlent
Tous les élèves incriminés, qui ont comparu devant la barre, ont avoué avoir reçu des épreuves. Mais d’autres parts, cette fraude au Bac était une belle opportunité de se faire de l’argent sur le dos des candidats. Ainsi, Djibril est allé voir Mariétou Sakhir Ndoye pour lui demander la somme de 200 mille francs en échange des épreuves du Bac. Il lui a fait croire qu’il pouvait obtenir les preuves du Bac avec l’aide d’un certain Diallo. Après, Mariétou est venue lui réclamer les épreuves. C’est ainsi qu’il lui a remis le numéro de M. Ndour, professeur à Manshalla. Guiro n’était pas en reste dans cette arnaque. Il a fait croire aussi à Marième S. Ndoye qu’il connaissait M. Diallo. «Je voulais la tromper. Mais c’est après que j’ai su que Diallo n’existe pas», avoue-t-il. Ces deux prévenus seront démentis par Marième S. Ndoye. «Tout ce que Djibril Kébé a dit n’est pas avéré. C’est lui qui s’est approché de moi pour me dire qu’il va me mettre en rapport avec un certain M. Ndour et qu’on devait se rencontrer au rond-point Liberté 6. Par la suite, il m’a parlé de M. Diallo à qui je devais remettre la somme de 200 mille francs. Je lui ai remis 100 mille francs et le reste je devais le verser avant le Bac. Mais à la veille des épreuves, au moment où je révisais, si je l’avais contacté, il allait me mettre en rapport avec M. Diallo», rétablit-elle la vérité.
Pour sa gouverne, Abdoulaye Ndour pense que ses élèves cherchent à l’accuser parce qu’il donne des cours particuliers. «Mansour voulait que je lui donne des cours, parce qu’il voulait faire l’examen en octobre. C’est ainsi qu’il m’a remis 90 mille francs. Mais comme il n’a pas suivi les cours, il m’a demandé de lui rembourser cette somme. Je lui ai remis 50 mille francs, puis 40 mille francs», dément-il en soutenant n’avoir jamais reçu ni vendu des épreuves.
Exprimant son inquiétude pour l’avenir du secteur éducatif, l’Agent judiciaire de l’Etat (Aje) juge que la culpabilité des prévenus ne pose pas problème, car ils ont tous reconnu les faits, sauf M. Ndour qui les avait pourtant reconnus à l’enquête.
Les avocats de la défense ont sollicité la relaxe au bénéfice du doute à titre principal et l’application bienveillante de la loi à titre subsidiaire. La décision sera rendue le 12 juillet.
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