Elle s’appelle Angela Davis

Voici la grande Angela Davis. Cette grande dame noire à la coiffure Afro, passionaria de la lutte contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis, militante du mouvement des droits civiques proche des Black Panthers, fut emprisonnée en 1971 pendant seize mois après être accusée de complicité dans la tentative d’évasion de trois prisonniers qui s’est soldée par la mort d’un juge. C’était l’époque où la pilosité symbolisait l’esthétique de la rébellion.
Après une rude bataille judiciaire, elle fut acquittée, échappant de justesse à la peine capitale. Un épisode particulièrement important qui a marqué les esprits militants de l’époque. Recherchée et traquée par les forces de sécurité, elle devient la troisième femme la plus recherchée de l’histoire du Fbi. Les péripéties de son arrestation et sa confrontation à la peine de mort provoquèrent une vive sympathie à travers les Usa et l’Europe. C’était l’époque du grand militantisme.
Lorsque l’on vous dit aujourd’hui que les jeunes de l’époque portaient des tee-shirts à l’effigie de Angela Davis, réclamant sa libération, vous n’en croirez pas vos oreilles. De grands intellectuels de renom comme Jean Paul Sartre et des milliers de manifestants l’ont soutenue dans son combat. Une grande histoire à raconter, un bref hommage à faire, un rappel historique pour les hommes et femmes d’aujourd’hui vivant à l’époque d’internet. L’une des figures de proue du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, membre des Black Panthers, son courage physique et intellectuel confine à la témérité pour les esprits mous d’aujourd’hui. Elle n’a certainement pas manqué de faire des erreurs et regrette à coup sûr certaines décisions prises par elle-même dans le cours de sa vie militante et intellectuelle, mais «nous avons raison d’avoir eu tort», comme diraient les trotskistes.
Née le 26 janvier 1944 en Alabama, dans un sud des Etats-Unis ultra-raciste et profondément marqué par les stigmates de la pire des infamies qu’est l’esclavage, Angela Davis a très tôt fait montre d’un tempérament de tigresse face à l’insupportable et l’inqualifiable. La ségrégation raciale sévissait alors, les brimades, les coups, les privations abusives de liberté et les humiliations étaient le lot quotidien des Africains-américains. Encore aujourd’hui, ils constituent la majorité de la population carcérale pour une communauté minoritaire. Enfant, elle a habité avec ses parents à «Dynamite Hill», ce quartier ainsi malheureusement nommé où les attentats contre les Noirs provoquaient la terreur quotidienne. Bien des années plus tard, elle fera face à la peine de mort. Et comme toujours, elle l’a échappé belle. Cette dame a beaucoup de baraka. Elle appartient peut-être aux grandes âmes qui n’ont pas encore fini leur course et qui cherchent la mort, la peur, le danger, la terreur et la confrontation pour s’améliorer. C’est le destin de tous les mutants qui sont conscients de leur état évolutif.
Chez Angela Davis, le militantisme est aussi une question familiale. Ses deux parents sont membres de la National association for the advancement of colored people (Naacp). Ses voyages successifs à New York, la ville la plus cosmopolite du monde, où elle a passé souvent ses vacances d’été, provoqueront un contraste violent avec le sud raciste et vont exacerber sa conscience d’être humiliée, ségréguée et parquée. Son radicalisme politique l’a poussée à adhérer au communisme après une longue hésitation : suprême péché dans une Amérique en pleine guerre froide où la moindre idée de gauche est considérée comme antipatriotique. L’Amérique a connu le Maccarthysme, est-il besoin de le rappeler, l’une des pratiques politiques les plus ignobles et les plus intolérantes. Cette femme atypique, au courage exceptionnel, a plus d’une fois défié l’establishment politique américain en se présentant à deux reprises à la vice-Présidence des Etats-Unis sous la bannière du Parti communiste américain. Lorsqu’elle lit «Le manifeste du parti communiste», elle en arrive «à replacer les problèmes du Peuple noir dans le contexte plus large d’un mouvement de la classe ouvrière». Elle s’est toujours opposée au courant séparatiste qui voulait créer une société à part «pour les Noirs», mais aussi à l’intégrationnisme prôné par le célèbre pasteur noir Martin Luther King. Sa lucidité politique proche de la méthode du juste milieu est pour le moins étonnante pour une «ancienne» rebelle proche de la condamnation à mort.
Philosophe formée par Herbert Marcuse et Théodore Adorno, elle a enseigné dans plusieurs universités américaines. Ses réflexions produites dans beaucoup d’ouvrages autour de la philosophie féministe, les études africaines-américaines, la théorie critique et surtout le système carcéral en font une philosophe de la liberté. Aujourd’hui, Angela Davis enseigne «l’histoire de la prise de conscience» à l’Université de Californie (campus de Santa Cruz).