Le Technopôle, ce n’est plus de l’eau, des arbres, des fleurs et des espèces végétales. C’est devenu un fourre-tout. A côté des eaux, des périmètres sont aménagés pour des maçons. Sacs de ciment vides et brisures de fer placés n’importe où et n’importe comment. Des rangées de briques sont posées à côté de la latérite submergée d’eau. Il faut tact, subterfuge et surtout vigilance pour franchir les étapes debout. Le sol est noirci par les sacs d’engrais jetés, abandonnés loin des plants. Les sentiers sinueux et couverts par des berges sales forcent les visiteurs à faire demi-tour. Certains troncs d’arbre sont déjà à terre. Plusieurs jeunes sont debout devant leur véhicule de travail. Ce sont de gros camions stationnés sur un vaste espace. Tout cela dans un «poumon». Le maraîcher Baïdy Dia regrette cet état de fait. Il est d’avis que ce site doit être entretenu et protégé. Il dit : «Les agents du ministère en charge de l’Environ­nement font souvent des visites de terrain, mais cela ne suffit pas. Ils doivent prendre les mesures idoines pour que ce milieu naturel ne disparaisse pas. Dakar et ses populations en ont besoin.»
L’environnementaliste Mouhamad Al Amine Guèye abonde dans le même sens. Pour lui, il n’y a pas assez de rigueur dans la gestion de poumon vert de la capitale. «Un site comme celui-ci doit être préservé. Le Technopôle subit aujourd’hui des agressions de toutes sortes. Des bâtiments sortent de terre, l’eau s’évapore, des charretiers et des camions vendent des charges de sable dehors», révèle-t-il, tout en dénonçant l’absence de mesures sécuritaires : «Il n’y a personne qui veille sur la propreté ou la protection des végétaux. On y entre, on y sort comme on veut.»
Son partenaire Mamadou A. Ba contemple la nature et les dunes remplies d’ordures, puis livre son constat : «Ce milieu naturel est bien menacé», dit-il furtivement. Le chargé de programme de Nature communauté et développement liste les difficultés : «Aujourd’hui, les poissons sont rares, voire inexistants. Il y a certes des phénomènes naturels, mais le facteur humain y est aussi pour quelque chose.» Il est pessimiste quant à la survie du «poumon vert» de Dakar : «Les eaux versées à longueur de journée sont nocives. Certains plantent tendent à disparaître. Ce parc est de plus en plus menacés.» Les végétaux ne sont pas les seules victimes de cette situation. Les oiseaux en souffrent. Ils ne fréquentent plus le site comme avant. «Les pélicans ne sont plus aussi fréquents. Les eaux polluées font des ravages.»

Le ministère de tutelle conscient du danger
Pourtant il y a moins d’un mois, le ministre Mame Thierno Dieng tirait la sonnette d’alarme via un communiqué daté du 6 août 2018. Il dénonçait «une intensification d’activités illicites de remblaiements clandestins de surfaces comprises dans les plans d’eau. Ces activités ont pour but de la part des auteurs d’étendre l’assiette foncière de certains titres limitrophes, au passage non considérés comme acquis, au regard de la réglementation environnementale». A cette occasion, il rappelait également l’importance de cette zone qui, selon lui, participe au maintien de la biodiversité en servant d’habitat à des espèces floristiques et faunistiques menacées, un lieu de reproduction et d’étapes migratoires pour 223 espèces d’oiseaux, un endroit qui contribue de manière «non inestimable à l’atténuation des inondations, à l’amélioration de la qualité des eaux par le recyclage, à l’épuration bactériologique, à l’interception des matières en suspension, au stockage du carbone atmosphérique par séquestration, à la production d’oxygène et à la dépollution de l’air».
A travers ce communiqué, les services du ministère avertissaient les pilleurs en ces termes : «Le Centre de gestion des urgences environnementales du ministère et la Section environnement de la Gendarmerie nationale sont à l’œuvre sur le terrain pour constater et donner suite à toute tentative d’agression de cette zone humide protégée.» Vendredi matin, après plusieurs heures de collecte d’informations, il n’y a eu l’ombre d’un agent de la Gendarmerie nationale.