«Depuis les temps originels, je porte en moi des crépuscules violets»
Tel est le chant originel et zénithal de cette poétesse majeure, cette écrivaine étrange, cette auteure qui a offert aux lettres nordiques ses plus belles pages poétiques. Edith Södergran est passée comme un météore. Trente et un an seulement, dirait-on, mais la vie est longue, l’odyssée de l’âme est longue. Edith Södergran est morte un soir de Solstice d’été le 24 juin 1923 à Raivola au fin fond de la Finlande. Une mort presque baudelairienne «La mort nous étreint sous le signe pompeux de l’été», disait le poète. Le japonais Mishima a écrit Mort en été. Quoi qu’il en soit la grande poétesse est partie à l’âge de 31 ans. Elle est née le 4 avril 1892 à Saint-Pétersbourg… Annonçant son décès, sa mère a écrit : «Le soleil brillait pour elle pour sa dernière journée sur terre». Un témoignage qui vient en échos à ces vers pleins de stoïcisme : «Celui qui de ses ongles sanglants ne brave pas /sa marque dans le mur du quotidien/- et en dehors de ça tout peut périr-/ n’est pas digne de regarder le soleil.» Edith Södergran est une initiée qui s’ignore. Elle savait déjà qu’elle fut avant que le monde ne soit. Un souvenir puissant, une plongée vertigineuse non pas dans le passé, l’âme n’a ni début ni fin, le passé et l’avenir n‘existe en ce monde spirituel, mais d’où le pays qui n’est pas, le poème éponyme du fameux recueil. «Je languis après le pays qui n’est pas, car tout ce qui est, je suis lasse de le vouloir», écrit-elle, c’est la quête, le départ le partir vers le lieu où il n’y a pas d’arrivée, point d’atterrissage. Le pays qui n’est pas ce n’est pas la fin, puisque le flux de la vie est continue «le pays où chacun de nos souhaits/se trouve miraculeusement exaucé». C’est ici la pointe acérée de la poésie de Edith Södergran, la fine fleur.
Le soleil, elle l’a regardé pendant 31 longues années (la vie est toujours longue) sans se brûler les yeux. Voilà toute l’audace et la hardiesse qui ont fait la réputation de Edith Södergran. Elle évoque sa préexistence lointaine et ancienne dans le poème mystique : Crépuscules violets. «Depuis les temps originels, je porte en moi des crépuscules violets», écrit-elle. Elle n’était peut-être pas loin de savoir qui elle est véritablement. Ce qui est un niveau de conscience spirituel supérieur. N’oublions pas que Victor Hugo a dit : «Je m’ignore, je suis pour moi-même voilé, Dieu seul sait qui je suis et comment je me nomme.» C’est un poème de l’existence antérieure, lorsque nous étions avant que nous soyons dans cette vie là. Les mystiques l’appellent «Euzeul», la préexistence. C’est à la page 39. Un autre poème terrible à la page 55 «Une strie de mer», c’est une parole une simple parole, mais un sentiment puissant. La poésie de Edith est aujourd’hui considérée comme une révolution «hardie». Elle trouve sa source de vie dans les effluves de la nature, la nature externe, le paysage extérieur composé par les éléments et la nature interne, profonde «divine». Son esthétique est nimbée de mélancolie et de mysticisme. C’est une poétesse exigeante et positivement angoissée. Une poésie symbolique aux résonnances infinies. Elle a dès son premier recueil scandalisé ses contemporains : Lisez le poème «Dieu», elle nous montre l’existence même, l’existence c’est Dieu, Dieu est : «Dieu est ce que le désir peut forcer à descendre sur terre», écrit-elle, un poème mystique. Aujourd’hui, elle est considérée comme l’une des sources de la poésie moderne nordique.
Edith est une poétesse qui a des visions, une poétesse qui voit des choses : Cf le poème «J’ai vu un arbre», elle voit des images et des réalités fuyantes. Dans «La journée qui fraîchit», un poème de la finitude, un poème crépusculaire, on sent une résilience royale chez la poétesse qui mêle amour et souffrance. «Tu cherchais une fleur et tu trouves un fruit», dit-elle, voilà le paradoxe poétique, la poétesse qui cherche le calme et la mesure dans un art qui se veut surtout dionysiaque et démesuré. La poésie est chant, musique si l’on veut, un chant dionysiaque. On dirait que pour elle la surabondance est nuisible à la poésie.
Edith Södergran appartient à la grande littérature nordique. Une grande littérature est surtout un long processus de création littéraire qui aboutit (finalement si l’on peut dire) à une identité littéraire nationale ou régionale. Cette écriture particulière qui se construit au fil du temps et qui fait le lien entre différents auteurs partageant le même espace littéraire finit tôt ou tard par conquérir le monde. La littérature est un langage universel. Le genre le plus symbolique de la littérature scandinave c’est la Saga islandaise que tout le monde connaît et qui est repris même par les cinéastes. En l’occurrence la littérature scandinave est l’une des plus riches et des plus importantes contributions artistiques au patrimoine culturel mondial. La littérature nordique (ou scandinave) possède un espace de créativité assez large : Le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande et l’Islande. Qu’est-ce qui fait une grande littérature ? C’est de grands auteurs, des écrivains au vrai sens du mot, qui possèdent une écriture et qui ont réussi à créer un monde littéraire. Nous avons d’abord les Norvégiens Henrik Ibsen, l’un des plus grands écrivains de tous les temps si l’on peut dire, un grand penseur, un dramaturge rigoureux, sa pièce Rosmersholm est l’un des chefs-d’œuvre de la littérature mondiale, il s’agit aussi de Knut Hamsun, le plus célèbre parmi les modernes, mondialement connu, prix Nobel de littérature en 1920, auteur du fameux La faim, le grand romancier Tarjei Vesaas qui a écrit Les oiseaux, une prose presque poétique, une histoire touchante. En 1955, Halldór Laxness (1902-1998) devient le premier (et à ce jour le seul) islandais lauréat du prix Nobel de littérature, le poète suédois Tomas Transtörmer obtient le prix Nobel en 2011, le dramaturge et peintre suédois August Strindberg est l’un des pères fondateurs du théâtre moderne, le poète finlandais Ludvig Runeberg, l’un des talentueux forgerons de l’identité nationale finlandaise. Les récits de l’enseigne Stål, écrits entre 1848 et 1860, sont considérés comme le plus grand poème épique finlandais, la célèbre danoise Karen Blixen, auteure de La ferme africaine, le romancier, le conteur et poète Christian Andersen qui a littéralement influencé la culture mondiale par la richesse, l’audace et l’exubérance qui caractérisent ses contes.