A Mballing, les femmes transformatrices de poissons ne nagent plus dans l’opulence et appréhendent toujours l’avenir avec moins d’assurance à cause de la raréfaction des ressources halieutiques, qui plombent leurs activités.

Située à une vingtaine de kilomètres au large de Mbour, Mballing se développe avec ses fumeries traditionnelles. Calme, cette commune est un el dorado pour 176 professionnelles, regroupées dans 28 groupements, dans l’assurance de leur autonomisation financière malgré la rareté des ressources provoquée par la pêche intensive. Et le combat s’avère difficile. «Il n’y a plus de poissons dans notre mer, l’Etat ne nous soutient pas», se lamente Mame Penda Ndoye, 63 ans, présidente du Gie Bokk ligueye Mballling. Elle transpire sous ce soleil accablant, qui n’altère pas sa détermination à poursuivre cette activité malgré l’appauvrissement continu de la mer. A l’image des pêcheurs, elles sont «avalées» par les flots de l’océan, qui n’est plus aussi abondant. «On se contente des excédents pour avoir quelque chose à transformer», embraie Anta Diouf, qui a du mal à regarder le futur avec beaucoup d’enthousiasme. «Nous pouvons rester trois mois sans rien faire alors qu’à une certaine époque, on transformait durant toute l’année. Il faut mettre en place le plus rapidement possible des aires marines protégées», insiste Mme Diouf, dont le châle s’agite sous l’effet du vent, qui offre quelques bouffées de fraîcheur. Ce changement est arrivé comme claque un vent du large de l’Atlantique. Brutal.
Aujourd’hui, l’exaspération monte à Mballing. Les transformatrices survivent comme elles peuvent, en fumant notamment tous les poissons qui atterrissent sous leurs hangars improvisés à quelques mètres d’une mer agitée. Leurs revenus se sont réduits au moins de moitié depuis une douzaine d’années. Incapables de gagner leur vie ou de nourrir leur famille comme jadis, elles n’envisagent pas néanmoins de changer de métier. La présidente du Gie ne cache pas sa déception. «Rien n’a bougé. Nous ne bénéficions des financements accordés par le gouvernement. Nous sommes sûres que l’exploitation future du pétrole va nous achever parce qu’on a vidé la mer à cause des mauvaises pratiques de pêche. Si les gens continuent, cela entraînera la disparition d’un pan entier de la culture culinaire du pays», glisse amèrement Mme Ndoye, qui réajuste son grand boubou bleu. Elle est une référence dans ce secteur sinistré. Mais, il permet à ces braves dames de continuer à entretenir leur business malgré les problèmes structurels et conjoncturels.

Modernisation de la transformation
Bien que la matière première (poissons frais) reste assujettie à la réalité du marché, elles arrivent à écouler leurs produits transformés à l’intérieur du pays. Où à l’étranger notamment au Togo, au Bénin, au Burkina Faso, au Ghana et Congo. Là aussi, le prix de vente est volatile. «Il nous arrive de vendre un kilo de poisson déjà séché à 2000 F ou le sac à 24 000 F, 23 000 F ou 22 000 F Cfa. Parfois, on le revend moins que ça pour éviter une mévente. Bref, la réalité d’aujourd’hui est différente de celle de demain», détaille Mme Faye. Elle poursuit en ayant en mémoire le faste des temps révolus : «Pourtant, nous achetons une caisse de poisson à 6500, 7000 ou 10 000 F Cfa. Il faudra y ajouter le prix du transport, le paiement de la main d’œuvre et tous les produits qui facilitent le braisage. Ce n’est plus lucratif.» Il leur est surtout difficile de maitriser les coûts à cause surtout de la non-maîtrise du circuit de l’écoulement du produit fini. «Il nous faudrait trouver nos propres camions pour acheminer nos marchandises partout au Sénégal, au lieu d’attendre que les clients viennent vers nous. Comme ça, nous ne serions plus tributaires de leur présence ici pour vendre parce qu’il arrive que des clients venus de loin prennent nos produits à crédit pour ne plus revenir», regrette Khady Gningue, qui a pris le relais de sa maman.
A Mballing, la transformation est une affaire de famille : ses filles hériteront un jour de ses séchoirs, constituant la seule source de revenus de la famille. En revanche, elles seront plus chanceuses et évolueront dans un cadre moins miteux, salubre et très moderne et n’utiliseront plus des techniques de fumage moyenâgeuses. Grâce à la Fondation Albert Schweitzer, Mballing bénéficiera dans quelques mois d’un bloc de saumurage moderne, qui sera doté de 20 salles de traitement, de fours solaires. «Ce bloc nous permettra d’augmenter notre capacité de production et avoir une plus-value. C’est une aubaine», se félicite Mme Faye, témoin du transfert des fumeries de Mbour à Mballing en 2010. «A l’époque, il y avait des résistances parce que nous étions logées aux alentours du Quai de pêche de Mbour. C’était plus pratique et moins onéreux», précise Mame Penda Ndoye, qui regarde l’avenir avec toujours plus d’anxiété en pensant à une destruction du tissu économique de la région de Thiès, qui demeure la principale pourvoyeuse de captures mises à terre, d’après la Direction des pêches maritimes. Elle représente 51% de l’ensemble des débarquements en 2014, suivie de Saint-Louis (16%), Ziguinchor (15%), Dakar (12%) et des autres régions, notamment Fatick, Louga et Kaolack qui ne fournissent que 6%.