Il est remarquable de voir comme cette formule de Marcel Mauss s’accorderait avec l’idéal d’un vivre commun où les normes d’une civilisation, en se définissant, ne perdraient pas de vue la richesse que peuvent s’entre-procurer les différentes cultures, lesquelles contribuent à former avec elle un universalisme pluriel. C’est ce que formule admirablement Marcel Mauss qui reconnaît que «la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence». C’est seulement à ce prix que les différentes cultures pourraient être reconnues dans leur valeur propre. D’où la pertinence de la mondialisation, conçue sous l’angle d’un espace consacrant un Etat–civilisation qui intègre une infinie pluralité.
Lorsqu’on jette un regard sur les civilisations contemporaines, spécialement celle que symbolise la Chine, ce qui suscite surtout notre intérêt, c’est cette admirable propension à diffuser un modèle économique savamment exprimé à travers un trait d’union commercial entre l’Orient et l’Occident, verrouillant au passage l’ensemble de l’Asie, pour atteindre l’Europe par la mer ou le rail. C’est ce qu’on a appelé la  nouvelle route de la soie, laquelle répond à un besoin : celui de nourrir une forte population, de s’assurer ainsi une nourriture et une énergie face à une demande de plus en plus renouvelée. Pour cette raison, la Chine a besoin de marquer sa présence partout où elle a des intérêts. On le voit bien donc, la Chine est devenue conquérante de nos jours, et ce, dans plusieurs domaines : économique, avec les projets de construction de voies ferrées, de route maritime, en Europe par exemple.
Sur le plan culturel, l’exception de l’identité chinoise trouve ses fondements à travers l’ancrage dans les valeurs confucéennes, lesquelles prônent l’éthique. Même si elle bloque chez elle toute tentative de démocratisation, même si l’égalitarisme fait défaut, il n’en demeure pas moins que le dirigeant, même s’il a l’autorité suprême, est tenu dans l’obligation morale de traiter le Peuple avec respect.
Il faut tout de même souligner que depuis le temps des empereurs, les Chinois sont restés attachés aux valeurs confucéennes, et qui empêchent qu’on néglige le petit peuple.
C’est ainsi que Hu Jintao, en parlant d’une «société harmonieuse» aux membres de son parti, lors d’un discours en 2005, faisait explicitement référence aux valeurs confucéennes, qui seront sollicitées par Xi Jinping au nom de la lutte contre la corruption. Ce qui nous permet d’établir un lien entre le retour de Confucius et la puissance chinoise de nos jours. Et c’est parce que la philosophie confucéenne stipule que les dirigeants doivent être tenus par l’obligation morale dans leurs actions internationales, que les rapports entre la Chine et les autres parties du monde ne peuvent plus être vus sous l’angle d’une stricte domination. En effet, la «route de la soie» ne décrit pas une prétention hégémonique de la Chine, en matière de relations internationales, mais inscrit ce pays au cœur d’une mondialisation qui tend à accorder aux autres Etats les mêmes chances de parvenir à son niveau de développement, qui l’a propulsé au-devant de la scène économique mondiale. Et on mesure, à cet effet, l’exemple que représente la Chine pour l’Afrique en termes d’enjeu. Une Afrique longtemps arrimée à l’économie européenne, en termes monétaires, et qui gagnerait à faire sienne cette morale de Confucius : «Exige beaucoup de toi-même et attends peu des autres. Ainsi beaucoup d’ennuis te seront épargnés.»
Il serait donc grand temps pour l’Afrique de se réinventer, en prenant exemple sur la Chine contemporaine, en s’inspirant d’elle, en puisant dans ses propres valeurs, héritées d’une philosophie ancestrale, à l’image de cette référence soutenue à Confucius qui représente le socle de la politique chinoise. Il ne s’agit pas seulement de proclamer des slogans entonnés dans des discours tenus depuis le Quartier Latin, il y a plus d’un demi-siècle, ni de revendiquer la dignité d’une conscience africaine qui déjà a conduit à la fin de l’Apartheid, par l’extraordinaire aura d’un personnage qui a fini de construire sa légende en s’imposant en modèle qui a ouvert la voie à la «renaissance africaine» : Nelson Mandela, mais il nous faudrait encore, sans gommer notre page d’histoire, réussir à nous cristalliser dans cette identité africaine, sans restriction aucune.
Il nous faudrait, pour cela, enlever les barrières sournoisement imposées par les colonisateurs et qui délimitent nos frontières en alimentant des crispations identitaires qu’entretiennent les conflits et génocides auxquels nous avons assisté ces dernières années.
L’Afrique est déjà riche de sa population et de l’immensité de ses terres, qui peuvent contenir plus d’un milliard de population. Il est évident que si la Chine a réussi à se frayer cette place de choix qu’elle occupe dans l’arsenal des grandes nations qui font la politique du monde aujourd’hui, c’est bien parce que sa forte population a d’abord constitué un enjeu majeur pour son émergence économique et culturelle.
Nous pouvons bien, en Afrique, réussir cette conversion opérée par la Chine à travers une réinvention ancrée dans une identité nationale, sans perdre de vue la nécessité de nous élever aux valeurs de la modernité, en aspirant aux progrès technologiques.
Il nous importe ainsi de jouer notre partition dans le concert des cultures du monde, riche d’une population très jeune et qui a tout le potentiel pour réussir, malgré le fait que la pauvreté et l’insécurité la poussent parfois à émigrer, au péril de sa vie, vers une Europe de plus en plus incertaine.