La Casamance est ma muse. Je ne peux rester longtemps sans aller voir ma muse. Je reviens de Ziguinchor plein d’inspirations, mais aussi avec de bonnes nouvelles. A l’atterrissage à l’aéroport de Ziguinchor, l’image de deux avions (Transair et Air Sénégal) sur le tarmac est la première bonne nouvelle. La Casamance est la seule région à avoir ce privilège d’avoir deux vols par jour, en plus des trois bateaux. La Casamance n’a jamais été aussi proche et l’idée séparatiste n’a jamais été aussi loin enfouie dans les poubelles de l’histoire. De l’aéroport, je me suis rendu au Kandiandoumagne où j’ai mes habitudes. Une fois n’est pas coutume ! L’hôtel est rempli. Pas un lit de disponible. Je me rabats sur leur voisin, l’hôtel le Perroquet : pas une chambre de disponible. Je quitte alors les hôtels de la zone du fleuve pour le Flamboyant, avec le même résultat. Il me restait alors que le Néma Kadior, où je suis tombé sur la dernière chambre disponible que la réception de l’hôtel ne voulait pas me donner, parce que la chambre 14 avait des problèmes de «revêtement du sol». Ce qui n’était pas en soi un grand problème vu la situation. En toutes choses malheur est bon, j’ai découvert les charmes du Néma Kadior, une forêt dans la ville. N’eut été la piscine et les chambres, on se croirait en pleine forêt. L’hôtel a des airs de la résidence de la baronne Karen Blixen dans Out of Africa ; ce film qui retrace la vie de l’écrivaine danoise au Kenya et incarnée par Meryl Streep.
C’est près de la piscine de forêt urbaine du Néma Kadior qu’arrive l’autre bonne nouvelle. Un jeune technicien avec qui je discutais autour d’un café m’apprend que le lendemain, il a un aller-retour sur Effok. Ce village qui faisait frémir dans les années 90, quand la guerre battait son plein. Evidemment, je lui demande ce qu’il va faire à Effok. Le plus naturellement au monde, il m’informe qu’il y va pour installer des panneaux solaires pour alimenter l’antenne de la Sonatel pour qu’Effok et les villages voisins puissent accéder à la 3G et à la 4G. On n’a jamais été aussi loin de la guerre et aussi proche de la paix. De bonnes nouvelles qui montrent que la marche vers la paix est irréversible. La seule question est le temps.
Est-ce que le Président Macky Sall va prendre l’option «autoroute à péage», c’est-à-dire accélérer la marche vers la paix en offrant lui-même une porte de sortie honorable au Mfdc ou il va prendre l’option des «embouteillages de la nationale» en laissant le conflit dépérir et mourir de sa belle mort ? Si Macky Sall opte pour le «péage», nous avons la paix dans les semaines qui viennent, mais si c’est l’autre option, posez-moi la question dans 10 ans et le conflit aura survécu à 4 Présidents du Sénégal qui n’auront pas été capables de gagner la paix, alors que l’Armée a gagné la guerre depuis les années 90.
Anachronismes démocratiques
Dans la Rome antique, la Grande Rome antique, on tenait toujours à ce qu’il y ait une nette séparation entre la poussière du Colisée (les gladiateurs) et le marbre du Senat (le débat public civilisé). La bataille rangée au Conseil constitutionnel qui a impliqué un ancien Premier ministre et un ancien ministre est une profanation de notre démocratie, qui n’honore pas ses auteurs. Comment peut-on se comporter en gladiateurs dans un temple du Droit ? La démocratie, depuis sa naissance, a toujours été une «aristocratie d’orateurs», mais jamais de gladiateurs. La poussière du Colisée ne doit jamais souiller le marbre du Senat. Après avoir parcouru le pugilat au Conseil constitutionnel sur le web, je suis tombé à la télé sur le débat sur le Brexit au Parlement britannique. Et là, on mesure toute la différence. En Angleterre, dans l’un des plus vieux Parlements au monde, l’opposition et la majorité sont séparées par une table. Les débats sont acharnés, mais toujours courtois, les positions fermes, mais toujours défendues de façon convenable. La démocratie est une affaire de gentlemen. Et au Sénégal, nous avons peu de gentleman dans l’espace politique. Nous avons des gladiateurs ; d’où la prépondérance des invectives et des attaques personnelles sur le débat d’idées. Nous sommes à moins de 100 jours de la Présidentielle et nous n’avons aucun débat sérieux sur les vraies questions du pays (paix en Casamance, comment sauver l’école en lieu et place des années scolaires, est-ce que l’Etat a vocation à orienter dans le privé et à payer, la question du terrorisme, la politique extérieure avec le splendide isolement du Sénégal…). Tout le débat au Sénégal, depuis les années 80, se résume au fichier électoral. La démocratie se divise en deux phases. Dans la première qui est la phase infantile, le débat est dominé par les questions de participation et des règles du jeu. Dans la seconde, le débat doit porter sur les questions économiques et de société. Le charme de notre démocratie est que nous y dansons en permanence le tango. Parfois, on fait un grand bond en avant pour être au niveau de l’Angleterre, comme quand il y a alternance politique et qu’en moins de 10 jours, le pouvoir passe d’un régime à un autre sans couac et sans violence, mais après on fait de grands bonds en arrière pour revenir au niveau du Congo, avec le retour dans la phase infantile avec les questions de participation et de règles du jeu qui empoisonnent la vie politique depuis près de 40 ans.