Nous sommes tous les jours sollicités par les évènements de la vie sociale. Heureux ou malheureux. Baptême, mariage, décès, «dahira». Ces activités entraînent souvent des dépenses symboliques, mais qui, accumulées dans le temps, peuvent atteindre des sommes colossales. Tout ce que ces manifestations sociales demande en termes de dépenses sous forme de «ndawtal» peuvent, à l’échelle nationale, financer l’émergence du Sénégal. Il n’y a pas d’études sérieuses là-dessus, du moins pas à ma connaissance. Et je sais que les économistes de la Banque mondiale ne s’intéressent pas à ces pratiques.
Mais la masse financière qui circule lors des cérémonies familiales, sous les froufrous des basins riches, les liasses de billets «battrées» lors des «khawarés», peut être difficilement évaluée. En plus, qui peut raisonnable prédire la manne qu’il peut dégainer de sa poche quand le griot secoue l’arbre généalogique et réveille les exploits guerriers des ancêtres ? C’est un geste tout à fait imprévisible, «incalculé». C’est pourquoi il est difficile de l’appréhender de façon rationnelle. Mais je le répète le «ndawtal» et les autres dons sociaux doivent faire l’objet d’études sérieuses. Voire de thèse. Nos écoles doctorales doivent se pencher sur cette pratique socio-économique, surtout à l’heure où l’économie solidaire est en vogue.
Si nous voulons faire changer ce pays, il faut d’abord le comprendre. Et pour cela, nos chercheurs doivent se concentrer sans complexe aucun sur la connaissance de nos réalités profondes qui affectent notre vie sociale et économique. Je formule un exemple de sujet de thèse pour les doctorants intéressés : «Déterminant et impact du ‘’ndawtal’’ sur la croissance économique au Sénégal». Un chercheur qui soutiendrait cette thèse inédite et originale serait un expert en «ndawtal» et viendrait tous les soirs sur les plateaux de télé éclairer de son expertise sur un sujet d’une haute importance.
Je ne désespère pas de voir une thèse publiée en ouvrage sur les rayons de librairie. Le «ndawtal» mérite une plus grande attention. Le conte a acquis ses lettres de noblesse et enseigné dans les plus prestigieuses universités. Aujourd’hui, des scientifiques de renom consacrent des séminaires, des bouquins au conte. Je ne dénigre pas la fonction sociale du conte. Sa capacité à éveiller l’imaginaire des enfants. Mais c’est quoi au fond ? Un vieux barbu qui raconte des blagues à des mômes ébahis.
La structure de notre société est favorable à ces largesses (souvent intéressées) envers nos proches, amis, voisins, collègues etc. Nous avons une population jeune et féconde. Ce que les experts appellent «dividende démographique» impacte notre pouvoir d’achat. Nos poches sont quotidiennement fouillées par les nécessitées des dépenses de mariage, de baptême. Ces événements familiaux génèrent un business florissant qui profitent par exemple aux vendeurs de couches. La population du Sénégal double tous les 25 ans. En 2050, nous serons 35 millions environ. Que de «guenté» en perspective. L’espérance de vie d’un Sénégalais ne dépasse pas 65 ans. Nos cimetières seront aussi surchargés que les Tatas dans quelques années. Les loueurs de chaises et de tentes se frottent déjà les mains.
Au Sénégal, un cadre moyen, tout au long de sa carrière, pourrait dépenser, d’après mes estimations personnelles, le quart de ses revenues entre «jaaxal», «yellou mame» (tibia de grand-mère) et «ndayalé», forme suspecte de «marrainage». La liste n’est pas exhaustive. Cette manne que nous employons à organiser des cérémonies sociales pourrait être réinvestie au service du développement.
Le pacte social induit par ces dons divers (téranga) et foncièrement pervers. Celui qui reçoit peut être contraint à donner dix fois plus que ce qu’il a reçu. Ce qui peut ruiner une famille entière en un après-midi. Et mettre à la poubelle tous les impacts de la politique contre la pauvreté.
D’après mes propres estimations, mais chacun peut vérifier ça, un griot Vip reçoit en moyenne chaque année l’équivalent du salaire annuel d’un haut cadre d’une grosse entreprise. Il roule en 4×4, porte des habits de luxe et vit dans des appartements haut standing. Pourtant, leurs honoraires ne souffrent d’aucune imposition. Cette exonération fiscale n’a plus sa raison d’être.
Les candidats à la Présidentielle devraient se pencher sur la question pour rationaliser cette pratique et en faire une source de financement pour l’émergence. Je voterai bien pour ce candidat qui, une fois élu, nommerait des inspecteurs des Impôts chargés de collecter des taxes sur les diverses formes de «téranga» dans les cérémonies familiales. A mon avis, la révolution commence par-là…