(Envoyé spécial à Banjul) – La mairie de Banjul a un budget de 47 millions de dalasi soit 625 millions F Cfa. Elle compte 14 conseillers dont deux femmes, un jeune  et un catholique pour huiler les relations entre les catholiques et les musulmans. Les 4 sont nommés par le maire, qui touche un salaire de 28 mille dalasi et dispose d’une dotation en carburant de 20 mille dalasi. Les autres conseillers reçoivent eux aussi une indemnité mensuelle de 6 mille dalasi et une indemnité de logement de 3 mille dalasi. La municipalité emploie 400 personnes dont 255 permanents.  Le reste est constitué de contractuels payés suivant le nombre de jours de travail. La masse salariale est de 1,6 million de dalasi soit 21 millions F Cfa. Cette municipalité, qui se trouve dans une vieille bâtisse qui menace de s’écrouler est dirigée depuis 2013 par Abdoullah Ba. Agé de 77 ans, l’actuel maire, qui s’était refugié au Sénégal avec une partie de sa famille durant la crise politique, revient dans cet entretien accordé en exclusivité au journal Le Quotidien sur les difficultés de sa commune, ses relations avec le défunt régime, ses chantiers etc.

Comment êtes-vous devenu maire de Banjul ?
Je suis maire depuis le 4 avril 2013. Je suis élu pour 5 ans. Ici, les maires sont élus au suffrage universel direct. J’ai été conseiller pendant 7 ans durant le régime de Diawara. C’est avec le coup d’Etat de Yahya Jammeh en 1994 que j’ai perdu mon mandat. Je suis na­tif de cette ville, de père et de mère. Même mes grands-parents sont de cette ville. Je suis un leader communautaire, qui a toujours cultivé et entretenu de bons rapports avec les populations. j’étais un ravailleur social, donc en contact permanent avec les personnes. Après le coup d’Etat, j’ai cessé toute activité  politique parce que je ne pouvais concilier mon travail d’agent du port autonome à celui de mem­bre d’un parti politique. Si je devais  le faire, il fallait que je milite dans le parti de Jammeh alors que je ne voulais pas.
Les responsables  du parti de Jammeh (Aprc) étaient même venus me contacter  mais par des astuces, j’ai, après avoir consulté ma famille, décliné poliment. C’est bien après que mes amis et mes parents m’ont demandé de revenir dans le champ politique. Ce que j’ai fait en 2013 avec une liste indépendante pour s’opposer  au maire d’alors candidat de l’Aprc. J’avais fait un constat après ma retraite que beaucoup de choses manquaient dans cette ville qui ressemble à un village. Je devais jouer ma partition. Je ne devais baisser les bras et rester statique. Voyez-vous même à quoi ressemble cet hôtel de ville. Les mairies de Kaolack, de Foun­diougne, de Ouakam sont plus belles que cette  mairie qui ressemble à un taudis.  Rien n’est fait ici. La politique avait tout gâté ici. J’étais fâché et je me suis engagé et avec l’aide de dieu, j’ai pu remporter les élections. Ma colère a été grande lorsque le maire d’alors a détruit notre grand- place. Et à partir de ce jour, j’avais dit à samba Fall qui était le maire que j’al­­lais le défaire. J’ai mis en place une liste indépendante et j’ai gagné finalement par 1368 voix. Je suis le seul opposant parmi les 9 conseillers élus.

Après votre élection, est-ce-que le Président vous a reçu ?
Oui mais devant tous les responsables de Banjul. Il avait dit ce jour qu’il voulait que je travaille avec le maire sortant pour développer la ville. J’ai accepté parce que connaissant l’homme si, je ne le faisais pas, il allait contrecarrer tous mes projets. Il m’a in­vité à Kanilai et à Banjul mais jamais nous n’avons eu un tête-à-tête.  J’ai pu réaliser trois routes bitumées, mais sachant que je n’avais pas les moyens de faire de cette ville, une métropole digne de son nom, j’ai fait des projets que j’ai envoyés au Président. Parmi les pro­jets, il y avait un centre d’excellence et un projet d’autoroute qui devait coûter un milliard de dalasi.  Lorsque les experts m’ont dit la contrepartie à payer, je devais le soumettre à Yahya parce qu’il é­tait omnipotent, omniscient, donc, il fallait le persuader de l’importance du projet. Je n’avais pas oublié que lorsque j’avais envisagé de mettre en place un garage devant accueillir les gros porteurs, le Président Jammeh s’était opposé disant que cette partie lui appartenait. C’est comme cela qu’il avait fait pour l’abattoir. A ce jour, Banjul n’a pas d’abattoir sinon, l’abattoir de State house.

Où est-ce-que la mairie tire ses recettes ?
C’est avec les taxes recouvrées au niveau des boutiques, du marché, des maisons, des véhicules. C’est trop infime. D’ailleurs, la plupart des maisons ne paient plus parce que les propriétaires de ces maisons sont décédés.  Au temps de Diawara, on parvenait à collecter environ 6.000.000 de dalasi par année. Mais lorsque nous som­­mes venus, nous avons trouvé que l’Etat avait presque tout changé. Nous ne parvenons qu’à collecter 250.000 dalasi. Même pour ester en justice contre les mauvais payeurs, on ne pouvait pas le faire. Les règles étaient changées.

Avec ce visage peu reluisant de Banjul, qu’est-ce-que vous avez comme projets pour moderniser la ville  afin qu’elle soit une capitale digne de son nom ?
J’ai signé un contrat  avec l’Agetip pour construire des bâtiments modernes, des routes bitumées au nombre de 5. Rien n’a été fait pour Banjul.  C’est une ville coloniale. Même les colons pourraient circuler ici sans se perdre. A part l’As­sem­blée nationale et quelques bâtiments de prestige, rien n’a été fait. Regardez ce bâtiment dans lequel, vous vous trouvez, il n’est pas digne de son nom. La mairie a été construite dans cette partie où vous m’avez trouvé en 1965 mais les autres bâtiments qui menacent de s’écrouler datent de l’époque coloniale. Nous n’avons que deux corbillards et c’est pour toute la Gambie.

La mairie dispose de combien de travailleurs ?
Ils sont au nombre de 400.

Qu’attendez-vous du régime de Barrow ?
Qu’il instaure une ère nouvelle où les droits humains sont respectés. Que la mairie de Banjul ait des moyens conséquents. Ici, tout est urgence.

Est-ce qu’il est facile d’être maire de Banjul ?
Non, ce n’est pas facile. Le maire est presque une œuvre sociale ambulante. Pour renforcer la capacité de nos agents, nous avons octroyé pour le moment quatre bourses à des jeunes pour qu’ils aillent étudier à l’extérieur.

Etes-vous candidat à votre propre succession ?
Pour être candidat à ma succession, il faudrait que je fasse des réalisations. Si vous êtes élu sur la base des promesses, si vous ne les réalisez pas, vous devez avoir l’honnêteté morale et intellectuelle de ne pas essayer de briguer un autre mandat.

Souhaitez-vous que Jammeh réponde de ses actes ?
Diawara était accusé à tort et de tous les pêchés d’Israël. Il avait tout perdu avec Jammeh. Yahya (Jammeh) pensait qu’il était Dieu sur terre. Il doit répondre de ses actes. La Cour pénale internationale (Cpi) doit s’autosaisir et statuer sur le cas Jammeh. S’il a commis des actes répréhensibles, il doit être condamné. Je souhaite que le Sénégal et la Gambie renouent comme, ils l’avaient fait naguère. C’est un seul Peuple. Rien ne doit les opposer.