La jeune fille regarde par la fenêtre, laisse retomber le rideau, se retourne et s’éloigne de la fenêtre… Les «écoules» s’écoulent. Plus le temps passe, plus l’on sent le désir tendre vers moins l’infini. Avec les années, la libido devient une courbe dont l’asymptote est l’axe des abscisses (x=0). Mais dans ce repère orthogonal, l’abscisse de nos sentiments, l’ordonnée de nos désirs ont formé les repères de notre point sentimental. La droite S qui passe par là, est sécante à bien d’autres lignes de vie.
Chacun est libre de donner son avis sur la situation actuelle du pays. De ces visions personnelles, subjectives émerge une situation virtuelle qui correspond plus à des réalités possibles qu’à des possibilités réelles. Le Sénégal dont nous rêvons, ce pays que nous voulons n’existe pas. C’est un grand miroir brisé en 15 millions de morceaux, chacun d’entre nous en tient un. La représentation que nous faisons du pays est fonction de nos trajectoires de notre situation sociale de notre niveau intellectuel etc. On avance vers un horizon incertain. On avance tous vers un avenir incertain. Mais, chacun avance vers sa propre finitude.
Il y a des jours où l’on éprouve des envies de fuite. Ça vous démange. Partir. Tout quitter. Boulot, famille, amis. Se quitter soi-même, s’abandonner au midi de sa vie pour se retrouver dans le crépuscule de ses fantasmes inavoués. Mais on sent que cette liberté, aussi tentante soit elle, n’est plus pour nous. Elle reste un mirage que même nos rêves les plus fous n’effleurent pas. La limite qui tend vers plus l’infini est riche de promesses d’inconnus. Nous sommes ce prof de maths qui, par convenance, emprisonne l’infini, le noue dans un tableau noir, dans un huit couché à la manière de menottes jointes. C’est en classe de maths qu’on nous présente l’infini, l’intégrale, l’exponentielle, l’inconnue comme si on nous offrait la possibilité de toiser l’absolu.
A défaut de vivre pleinement la plénitude de l’instant, nous trouvons refuge dans nos années d’enfance. Allez feuilleter l’album souvenir. Revoir sur les clichés jaunis le gamin s’amusant avec sa peluche. Les images que nous prenons avec nos téléphones portables nous donnent le sentiment d’être les scénaristes de notre propre vie, car nous ouvrons chaque jour les pages d’un album sans jamais savoir l’image d’après.
Nous sommes le passé face à un avenir globalement imprévisible. Et quand viendra le moment de nous installer dans notre propre réalité et de sous-titrer notre propre trajectoire, que faudra-t-il écrire ? Quand on devra légender le long générique de fin qui faudra-t-il mentionner ?
Une longue liste de noms. Je me suis retrouvé hier parmi une petite foule d’hommes et de femmes attendant de se faire délivrer un casier judiciaire. Nous étions amassés devant une fenêtre vitrée. A l’intérieur de la pièce un homme d’une quarantaine d’années, derrière un bureau chargé de paperasse verte appelait les noms. La liste. L’attente aussi banale soit elle génère une certaine angoisse, celle de l’incertitude. Quand on les appelle, les gens crient «Présent». Comme à l’école primaire. Pour donner les résultats de l’essai en classe de Cm2, Bathie Fall (paix à son âme) appelait les admis.
J’ai retrouvé ce même sentiment de fierté et de délivrance quand ces valeureux de citoyens criaient à l’appel de leur nom «Présent». Finalement, la preuve d’appartenance à ce pays passe par une pile de papiers : extrait de naissance, certificat de nationalité, carte d’identité… Ces documents dûment signés par des gens parfaitement étrangers à notre propre vie. Ce sont les autres qui signent notre propre identité.
Serait-il possible de passer entre les mailles du filet, de rester invisible à tous ces capteurs de traces. N’être sur aucun registre, sortir de tous ces casiers. Passer par la porte qui mène vers l’infini sans montrer patte blanche. L’important est de bien vivre.