Cette année encore Gorée a ouvert ses portes pendant 3 jours aux plasticiens, sculpteurs, photographes, designers, souwerristes, vidéastes, céramistes, architectes, bijoutiers… bref artistes de tous bords et de toute origine. Au nombre d’une soixantaine, ces derniers ont fait parler leur talent et fait défiler leur imagination lors de la 12e édition de «Regards sur cours» qui du 29 au 31 mars a abordé le thème : «Contre vents et marées.» Parmi ces artistes, deux grands noms se sont approprié le Centre socio culturel Joseph Ndiaye : Soly Cissé et Camara Guèye.
Contre vents et marées, c’est le thème de la 12e édition de Gorée regards sur cours qui a été clôturée ce 31 mars. Réunissant plusieurs expositions de divers artistes, ce thème a été pour les organisateurs une manière de faire allusion au marin bravant marées et vents pour faire avancer son bateau. «Cette métaphore est particulièrement adaptée au statut insulaire de Gorée. Elle est à l’image de l’homme debout surmontant les obstacles de la vie, ce qui est le fondement même de la condition humaine», lit-on dans le dossier de presse décrivant l’évènement. Au-delà de la condition humaine, ce thème renvoie à l’image de l’artiste face à sa création, face aux défis du monde de l’art et au défi de la mondialisation. Aussi inspire-t-il beaucoup à l’instar de Camara Guèye qui, sur les cimaises du Centre socio-culturel Joseph Ndiaye, a accroché une dizaine de toiles peintes selon différentes techniques. Acrylique et huile sur toile, encre de Chine et acrylique sur du papier marouflé sur de la toile, Camara Guèye se sert de différentes techniques pour peindre ses personnages ou ses figures abstraites. «Cette toile est intitulée Diaar-diaar. Je parle des différents passages d’une personne de la naissance à maintenant. Il y a de bons comme de mauvais souvenirs… Ici vous voyez le portrait d’un jeune homme que je nomme Waa dji, l’homme quelconque», explique-t-il. Ailleurs c’est tout simplement des dessins de rue qui inspirent ce peintre qui aussi éprouve une grande satisfaction à participer à l’exposition phare de Regards sur cours. «La toute première exposition, c’est nous qui l’avions faite. Je suis revenu 4 fois après. Mais il y a 10 ans que je ne suis pas venu. Je suis fier et ému d’exposer à Gorée.»
Au rez-de-jardin du Centre socio-culturel Joseph Ndiaye, Soly Cissé suscite lui une grande admiration du public à travers son installation qui regroupe plusieurs seaux (récipient) noirs dont des rangés renversés et d’autres déposés tels quels avec au-dessus, un miroir épousant les contours du seau. Comme une invite de l’artiste à son public de s’y mirer, d’y chercher son reflet.
34 photographies de la Fondation Dapper
Mais au Regards sur cours, il n’y a pas que ces deux artistes qui ont fait parler d’eux à travers leurs créations. Jetant son dévolue sur la place de l’église, la Fondation Dapper a attiré l’attention en exposant à ciel ouvert 34 photographies de 15 jeunes artistes qui interrogent chacun leur monde et tissent une histoire à travers leurs clichés. Intitulée Vivre, photographie de la résilience, l’exposition de la fondation Dapper a été axée sur 4 approches : environnement, questionnement, sociale, exil. Sur ce dernier point, les clichés de Sandrin Athele dit Saan glacent le sang. Dans sa série nommée O’ndzia, celui qui vient d’ailleurs, le Gabonais traite du deuil dans l’émigration clandestine africaine à travers l’histoire d’un jeune homme qui a survécu à une traversée tragique au cours de laquelle il a perdu un proche. Sur les photos en noir et blanc de Saan, on voit ce jeune homme sous un ciel sombre, devant un mort étalé sur la plage et enrobé de papier aluminium. Devant, à côté, accroupie, toujours est-il que cette personne laisse finalement ce mort derrière lui. «Chaque position, chaque élément qui compose les photographies a été méticuleusement travaillé et anticipé pour nous renvoyer avec effroi à l’indifférence du monde face à la mort tragique de milliers d’individus», décrit-on
Et pourtant les jeunes, à l’instar de celui que Romario Lukau dit Rolook présente à l’exposition de la fondation Dapper, continuent à braver la mer, contre vents et marées pour partir en Europe. Positionné au dos de l’objectif, on voit justement sur une photo, ce jeune tenant un sac à la main, marchant torse et pieds nus sur des rochers. Se dresse devant lui, la mer. Romario Lukau dit Rolook met ainsi en scène à Kinshasa sur les rivages du fleuve Congo ce jeune homme. Il espère ainsi détruire le mythe de l’exil et pousser les jeunes à réfléchir sur leur rêve d’ailleurs et leur vision erronée de l’Europe.
La question que Frédérique Binet tient à aborder contre vents et marrées, c’est la pollution à Bargny. Au centre de santé de Gorée, qui s’est mué le temps de Regard sur cours en une galerie accueillant des toiles de Madior Dieng et photographies de Frédérique Binet, il est justement question de Bargny, la ville qui résiste aux multiples assauts. «Cette petite ville située à 30 km de Dakar touchée par la pollution et l’érosion côtière voit aussi son avenir transformé entre cimenterie, centrale à charbon, port minéralier… Bargny résiste», selon l’exposant.
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