L’ex-autocrate, à la tête de son pays de 1987 à 2011, est mort jeudi 19 septembre à l’âge de 83 ans en Arabie Saoudite, où il vivait en exil depuis la révolution de 2011.

Le Président déchu de Tunisie, Zine El-Abidine Ben Ali, est mort jeudi 19 septembre à l’âge de 83 ans en Arabie Saoudite, où il vivait en exil depuis la révolution de 2011, a indiqué à l’Afp le ministère tunisien des Affaires étrangères. «Nous avons eu la confirmation de sa mort il y a trente minutes», a ajouté le ministère, sans plus de détails.
Après plus de deux décennies d’un pouvoir répressif, Ben Ali avait été renversé début 2011 par un mouvement populaire, point de départ d’une vague de révoltes dans la région connue sous le nom de «printemps arabe».

Tigre de papier
Il aura tenu vingt-trois ans au pouvoir, mais sera tombé en moins d’un mois. De Zine El-Abidine Ben Ali, les Tunisiens garderont sans doute le souvenir de sa dernière apparition télévisée le 13 janvier 2011 : l’homme qui les a fait trembler pendant presque un quart de siècle semble défait, presque apeuré. «Je n’étais pas au courant», «on m’a trompé», «je vous ai compris», dit-il, presque suppliant.
Mais c’est déjà trop tard : ce troisième discours en une semaine sonne comme un aveu de faiblesse. La rue ne veut plus d’un homme dont elle sait qu’il ne tient jamais ses promesses. Elle continue d’exiger sa démission. Vingt-quatre heures plus tard, Ben Ali quitte le pays pour Riyad, en Arabie Saoudite, dans des conditions piteuses, en compagnie de tout son clan en pleine débandade.
Ce départ a l’allure d’une fuite et achève de ruiner son image. L’ex-autocrate apparaît soudain comme un tigre de papier. Il n’inspire plus que des sarcasmes, mais cette fois, les Tunisiens peuvent clamer haut et fort ce qu’ils disent tout bas depuis des années : ils haïssent cet homme dont l’Europe, France en tête, s’obstine à chanter les mérites pour trois raisons au moins : sa lutte contre l’islamisme, le statut de la femme tunisienne – inégalé dans le monde arabe depuis Bourguiba – et enfin la prospérité économique de la Tunisie, petit pays dénué de ressources en hydrocarbures, à l’inverse de ses puissants voisins.
Des trois dirigeants du Maghreb, le Président Ben Ali aura sans doute été le plus exécré par son Peuple. Même ceux qui profitaient du système qu’il avait instauré le détestaient. Rares sont ceux qui se souviennent aujourd’hui que lors de son arrivée au pouvoir, le 7 novembre 1987, le tombeur du Président Habib Bourguiba avait soulevé un immense espoir.
En destituant en douceur le père de la Nation devenu sénile, celui qui est alors Premier ministre libère les Tunisiens de trente ans de «bourguibisme» et d’une fin de règne chao­ti­que. «L’époque que nous vivons ne peut plus souffrir ni présidence à vie ni succession automatique à la tête de l’Etat qui excluraient le Peuple», annonce le nouvel homme fort du pays, dans sa première allocution à la radio nationale, ce qui provoque un enthousiasme presque incrédule.
De ce militaire de formation, par ailleurs diplômé d’électronique – son hobby – on ne sait cependant pas grand-chose à l’époque. Le nouveau venu a 51 ans. Il est silencieux et cultive même le mystère.

«Il a toujours été fragile»
Tout au long de sa carrière, Ben Ali va faire preuve d’habileté et même de rouerie. De 1958 à 1974, il est directeur de la Sécurité militaire. Après l’échec de l’union tuniso-libyenne auquel il est soupçonné d’avoir été mêlé, il est envoyé en exil comme attaché militaire à Rabat, au Maroc. Il revient trois ans plus tard à Tunis, à la direction de la Sûreté. C’est sans état d’âme qu’il mate des manifestations en janvier 1978.
Nouvel exil en avril 1980 : sous la pression de Wassila Bourguiba, l’épouse du vieux Président, il est écarté de son poste de directeur de la Sûreté. «En apprenant la nouvelle, il est tombé inanimé de sa chaise, dans le bureau du ministre de l’Intérieur. C’est alors que j’ai mesuré sa fragilité psychologique. Il a toujours été fragile, contrairement aux appa­rences», raconte un témoin de la scène.
Ben Ali est alors envoyé à Varsovie comme ambassadeur. Quatre ans plus tard, il est rappelé à Tunis. Les «émeutes du pain» viennent de se produire. On a besoin de cet homme d’ordre. En octobre 1984, il est nommé secrétaire d’Etat à la Sécurité nationale. «A un militaire qui le félicitait, il a riposté : “Cette fois-ci, ce sera difficile de me faire quitter le ministère de l’Intérieur”», se souvient l’un de ses anciens collègues. C’est à partir de ce moment que Ben Ali tisse sa toile sur le pays.
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