Le Sénégal accueille du 30 octobre au 3 novembre des intellectuels africains et de la diaspora pour penser la vulnérabilité du monde depuis l’Afrique.

«Basculement des mondes et pratiques de dévulnérabilisation», voilà qu’en termes complexes ces choses-là sont dites, mais les Ateliers de la pensée, troisième édition, ne se coulent pas facilement dans les moules. Ils s’efforcent bien plutôt d’inventer depuis deux éditions déjà (2016, 2017) leurs propres chemins pour «scruter le présent et le futur de notre monde à partir de l’Afrique». Cette troisième série de débats aura pour nouveau décor le Musée des civilisations noires, à moins d’un an de son ouverture, et l’Institut français pour la désormais rituelle «Nuit de la pensée», à suivre en direct de Dakar.
Vulnérabilités ? Les ateliers les considèrent dans leur ensemble, «sécuritaires, économiques, politiques, juridiques, symboliques, psychologiques, environnementales et spirituelles», expliquent Achille Mbembe et Felwine Sarr, le duo fondateur de la manifestation qui entend bien y récolter ce qui justement est mis en pratique ici et là pour contrer ces menaces et agressions. Le but est d’inventorier cette «gamme d’actions entreprises par des sujets individuels en situation pour réactiver et relancer les potentiels de vie». Il sera question de soin, de réparation, post-génocide, notamment de restitution bien sûr, en présence des auteurs du rap­port commandé par Emmanuel Macron sur ce thème.
Le deuxième axe des rencontres explore celui du basculement des projets «de fraternité et de sororité», en tout l’inverse, raidissements, populismes et autres guerres. Comment retrouver les chemins de ce que le duo d’intellectuels nomme «l’en-commun» ? En dehors des participants-piliers (dont les philosophes et politologues Nadia Yala Kisukidi, Françoise Vergès et Souleymane Bachir Diagne), les Ateliers verront se succéder les communications de nombreux chercheurs et universitaires, sociologues, anthropologues du continent, qu’ils enseignent au Togo ou au Maroc, mais aussi des citoyens engagés, qu’il s’agisse de Fadel Barro (Y‘en a marre) ou de la Burundaise Aline Ndenzako. Enfin, le «casting» de cette troisième édition est marqué par la participation de figures médiatiques et politiques de la diaspora telles Christiane Taubira, Rama Yade, Lilian Thuram, Rokhaya Diallo. Ou encore l’artiste Kader Attia, puisqu’aux Ateliers, on pense avec les arts : en poésie haïtienne, Rodney Saint-Eloi, en musique, Rokia Traoré, au théâtre, Etienne Minigou et l’acteur rwandais Dorcy Rogamba, mais encore le photographe Sammy Balloji, et la cinéaste Mati Diop, primée à Cannes pour son film Atlantique.
Comme pour les éditions précédentes dont les causeries gardent la mémoire, Le Point suivra cette troisième édition, alors qu’en librairie paraissent les Actes des journées de 2017 : on y lira avec attention les contributions de Souleymane Bachir Diagne sur la nécessaire invention d’un «sens africain du pluralisme religieux» et aussi culturel. Celle du juriste Abdoul Aziz Diouf sur les modèles juridiques occidentaux comme le mariage homosexuel, vu de l’intérieur du continent africain. Mais encore de Nadia Yala Kisukidi sur le rapport de la diaspora à son pays d’origine, ainsi que le Sahara comme lien d’avenir par Benaouda Lebdai, et dans un tout autre ordre, les pratiques d’éducation décoloniales qui font l’objet d’ateliers, par Françoise Vergès. Pour ne citer que ces auteurs, en n’oubliant pas surtout le texte sur la compassion de Nadine Machikou, où se lisaient déjà les ferments du thème de la vulnérabilité, ni celui de Lionel Manga sur la fragilité de l’univers si poétiquement envisagé sous le signe de «la détresse des rainettes».
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