L’approvisionnement en eau potable constitue l’une des principales préoccupations des pays du monde. Dans les pays en développement, le problème revêt une importance toute particulière à cause du déficit chronique en eau et des problèmes de qualité auxquels sont confrontées les populations. Les besoins en eau sont estimés par l’Organisation mondiale de la santé (Oms) à 50 litres par jour et par habitant. Au Sénégal, à peine 72,7% des habitants ont accès à l’eau potable. Ce taux montre que ces besoins restent non couverts dans beaucoup de localités du pays du fait de l’insuffisance des ouvrages d’approvisionnement en eau, de leur état défectueux, de l’insuffisance des moyens pour une extension des réseaux de distribution et enfin du manque d’entretien des infrastructures existantes. Cette situation est particulièrement marquée à Touba, lieu de pèlerinage et siège de la communauté mouride.
Touba est alimentée en eau par des forages motorisés. C’est la seule ville du Sénégal où l’eau est gratuite pour tout le monde, même pour les gros consommateurs que sont les boulangeries, les stations d’essence et les usines productrices de glace. Dans cette ville qui connaît une augmentation démographique fulgurante, le déficit en eau y est permanent. Face à celui-ci, les populations ont recours aux bassins publics et privés qui sont des ouvrages de stockage d’eau. Dans les quartiers périphériques où le réseau de distribution est insuffisant voire inexistant, la construction de bassins de réserve est systématique dans les concessions. Malheureusement, ils ne sont pas régulièrement entretenus posant un problème de santé publique, car susceptibles d’être à l’origine de la fréquence des maladies diarrhéiques et du paludisme. La fréquence de ces maladies constitue une raison suffisante pour explorer les systèmes d’approvisionnement en eau potable et de santé. Le problème L’explosion urbaine est un évènement majeur de l’histoire contemporaine. Par sa rapidité et son ampleur, elle risque de remettre en question les efforts de développement de l’humanité. Cette explosion n’est pas sans conséquence sur les conditions de vie de la population mondiale. A cet effet, la pauvreté augmente de plus en plus en milieu urbain avec la prolifération de quartiers précaires surtout à la périphérie des villes. Ainsi que Touba ville sainte où l’accroissement urbain se fait à grande vitesse ; d‘où les nombreux problèmes urbains. Dans cette ville, en dehors des considérations politiques et économiques, d’autres convergent, à savoir celles d’ordre social, mais également religieux. Malgré ses 25 forages, Touba qui est la deuxième ville du Sénégal et qui voit sa population tripler pour atteindre 3 millions de pèlerins à l’occasion du Magal mérite une réflexion profonde. De plus, tous les projets qui ont été initiés se heurtent à certains problèmes dans leur mise en œuvre. L’équipement et la viabilisation posent une équation, surtout lors des fortes concentrations constatées périodiquement à Touba (Magal, Gamou). Les pouvoirs publics et locaux ont entrepris de vastes programmes (Projet de travaux de densification et Extension de réseau d’eau potable au niveau des quartiers de la ville de Touba) pour faire sortir Touba de ce goulot d’étranglement. Mais pour le moment, en dehors des problèmes de gestion de l’existant, les réalités sociales et pesanteurs religieuses jouent un rôle important sur les comportements et attitudes des individus. Ainsi, la gestion de l’environnement sur le plan de l’hygiène et de l’assainissement pose problème. En plus, au-delà des questions foncières vient s’ajouter la desserte des infrastructures (électrification, santé,) due à la taille de la ville. A ces problèmes infrastructurels vient se greffer la question de l’eau. Perçue comme une «zone franche», les populations sont réfractaires à tout paiement de l’eau. D’une population de 130 mille habitants en 1977, Touba compte de nos jours plus d’1 million d’âmes. Ce qui génère des problèmes liés à son urbanisation, son assainissement et à l’approvisionnement en eau potable des populations. La gratuité de l’eau a été une donnée constante. Avec le développement fulgurant de la localité, la distribution de l’eau ne peut plus être assurée de manière correcte par des forages. Des centaines de millions de francs Cfa sont dépensés annuellement par la haute hiérarchie mouride pour la maintenance de ces forages. Une commission (le Comité d’initiative pour l’eau de Touba) a été créée en 2007 par Serigne Saliou pour réfléchir sur le comment faire payer l’eau aux résidents de la cité de Bamba. A l’époque, Serigne Saliou n’avait pas manqué de souligner la nécessaire mutation que devait subir la ville sainte : «Touba devra désormais être gérée autrement.» Ce qui suppose une plus grande implication des pouvoirs publics. Serigne Bara, de son côté, voulait changer la donne. Cette concentration urbaine et les nombreux rassemblements humains surtout le Magal font que la question de l’eau demeure toujours une équation. Cette problématique est plus visible dans les zones périphériques où la pauvreté est très fréquente. En définitive, les problèmes liés à la gestion de l’eau à Touba sont multiples et leurs conséquences sur la vie quotidienne des populations ne cessent de s’aggraver. Cependant, ces problèmes impliquent plusieurs facteurs dont les plus saillants sont : l‘insuffisance de moyens matériels du dispositif de gestion de l’eau, la vétusté de certains équipements hydrauliques (forages, conduites, châteaux d’eau), les interventions clandestines et non réglementaires sur le réseau Aep, le problème de prise de conscience des usagers de l’eau pour une gestion rationnelle (le gaspillage), usages multiples de l’eau par les gros consommateurs (boulangeries, stations-services, usines de glace), l‘absence de réseaux d’assainissement et d’adduction d’eau conçu dans un programme global et cohérent de planification urbaine, la non maîtrise ou le non contrôle de l’extension de la ville et le statut hybride de la commune. «Touba, c’est deux millions de personnes. Logiquement, peut-on laisser une ville de deux millions de personnes au Sénégal ne pas payer l’eau ? Est-ce tenable économiquement ? Ensuite, c’est une question de santé publique. Différer le paiement de l’eau à Touba, c’est différer un problème de santé publique. Allez à Salémata : les gens sont très pauvres, mais ils paient le mètre cube d’eau à 400 francs Cfa. Il faut juste trouver la bonne architecture. Je pense qu’il y a un travail de communication et d’information très important à faire auprès du khalife général des mourides», dixit le directeur général de l’Ofor. Et Lassana Sakho de poursuivre : «Nous avons commencé ce travail de communication, mais je pense que c’est même pris en charge par les plus hautes autorités du pays. Cette situation n’est pas tenable. On est en train de construire l’autoroute Ila Touba. Quand elle sera terminée, Touba peut même devenir la première ville du pays. L’Etat du Sénégal n’a pas les ressources financières pour cela.» Qualité de l’eau «Aujourd’hui, on dit qu’on ne paie pas l’eau à Touba, mais en réalité on paie l’eau parce que quand vous allez à Touba, vous ne buvez pas l’eau du forage, vous achetez de l’eau. 90% des gens achètent l’eau à Touba. Cela veut dire qu’une personne peut développer une activité industrielle à Touba, mais qu’elle ne paie pas l’eau. On peut comprendre qu’autour de la grande mosquée on trouve des artifices pour mettre de l’eau potable, de l’eau zam-zam. Mais en dehors de cela, il est temps qu’on réfléchisse sur cette problématique parce que cette situation n’est pas tenable. Je pense que tout le monde en est conscient. Il faut un travail de communication et d’information très important. C’est seulement dans ce cadre qu’on pourra faire payer l’eau à Touba, en tenant compte de la spécificité de la ville, avec une démarche inclusive», notait Lassana Sakho. Pour une bonne qualité de l’eau, l’Etat avait envisagé le projet de transfert de l’eau à partir de Touba Bogo. Un projet presque mort-né. Investissement de l’État A Touba, confiait Mamadou Diokh de l’Ofor, «l’Etat du Sénégal a pris à bras-le-corps les problèmes d’approvisionnement en eau. Tout ce qui a été fait autour de la régénération des forages, de la réalisation de nouvelles infrastructures, de la surveillance du réseau, du traitement de l’eau, du dispositif additionnel en termes de camions citernes et de bâches à eau qui va être déployé et ce présent chantier d’expansion de réseau sur 40 km qui est en train d’être fait, est à mettre à l’actif de l’Etat du Sénégal à travers l’Office des forages ruraux». Paiement de l’eau Pour Mansour Faye, la gratuite de l’eau mérite réflexion : «A Touba, toutes les structures privées ne payent pas l’eau. Donc, il faut une réflexion pour y apporter des solutions. Cela va permettre aux populations d’avoir une eau de qualité ainsi qu’une production suffisante.» Plan directeur d’urbanisme : des interrogations En visite à Touba l’année dernière, le ministre du Renouveau urbain, de l’habitat et du cadre de vie, Diène Farba Sarr, avait indiqué que toutes les conditions sont réunies pour finaliser le plan directeur d’urbanisme de Touba. Selon le ministre «l’adjudicataire est connu et les moyens sont disponibles pour finaliser ce plan». L’élaboration de ce plan devrait s’élever à 700 milliards de francs Cfa. 112 milliards de francs Cfa de ce montant ont été injectés pendant les quatre premières années, dont 7 milliards 800 millions de francs Cfa à Touba pour la réhabilitation de stations de pompage et la mise en place de 19 km de réseau. A ce jour, ce plan n’est pas terminé. Et dire qu’il était annoncé pour 2016. badiallo@lequotidien.sn