C’était une occasion rêvée pour qu’il se prononce sur son dernier long-métrage Sembène ! C’était surtout le moment de l’interpeller sur l’héritage de son «maître». Seulement, après quelques minutes d’échanges, un inconnu est venu poliment mettre un terme à l’entretien, alors même que le réalisateur s’apprêtait à répondre aux questions essentielles. Nous reproduisons verbatim les déclarations de Samba Gadjigo.
Quels sont vos sentiments après la projection de votre film sur Sembène au Fespaco ?
Je suis heureux pour plusieurs raisons. Parce que d’abord, c’est Ouagadougou et je crois que le Fespaco est devenu synonyme de Ousmane Sembène et bien d’autres évidemment. Pendant 17 ans, je l’ai suivi ici comme accompagnateur, comme universitaire et j’ai le privilège de présenter aujourd’hui un travail que j’ai fait sur lui. C’est un sentiment d’humilité bien sûr, de fierté aussi, il faut le dire, et un sentiment de satisfaction d’avoir en tant qu’enseignant, apporté quelque chose au dialogue sur le cinéma africain. Mais là, il y a beaucoup d’émotions qui reviennent. La dernière fois qu’il a sorti Mooladé, j’étais là dans cette salle avec lui (Ndlr, la salle du Ciné Neerwaya). Donc, il y a des images qui circulent dans ma tête et c’est assez fort comme émotion.
Cette année, c’est le 10e anniversaire de Sembène Ousmane. Ne faudrait-il pas enfin montrer ce film à un public plus large au Sénégal ?
Oui ! Au fait, je l’ai déjà montré à Dakar dans certaines institutions, au-delà des circuits officiels et autres. Mais à partir du moment où on est dans la préparation du 10e anniversaire de son décès, nous comptons commémorer ce décès. Non pas pour pleurer sur sa mort mais pour célébrer sa vie. Donc, il y a des initiatives assez heureuses, donc des projections dans les différentes villes du Sénégal : Dakar, Thiès, Saint Louis, Ziguinchor.
Vous vous positionnez dans votre film comme un des porteurs de l’héritage de Sembène mais on se rend compte aujourd’hui que son héritage est presque à l’abandon. Que faut- il faire ?
Ce qu’il faut faire ? Je crois que le travail de Sembène, le travail de Cheikh Anta Diop, de Cheikh Hamidou Kane, c’est notre mémoire collective. Cet héritage ne doit pas être laissé entre les mains d’une personne, ou d’une seule institution. Donc il faudrait que chacun de nous prenne ses responsabilités aussi bien en tant qu’individus, qu’en tant qu’institutions. Mais c’est ce que je suis en train de faire et j’espère que le travail va inspirer d’autres à également faire leur travail. Oui ! Sembène est à l’abandon, c’est vrai en tant qu’homme, il est mort bien sûr. Mais je fais une distinction entre la mort et la mort, c’est-à-dire l’anéantissement, le travail intellectuel. Il est mort il y a 10 ans et je crois que jusqu’à présent, nous parlons de lui. Donc, je pense que ce n’est pas le moment de faire de l’autopsie, de faire le diagnostic, de nous rendre compte qu’il n’y aucune maladie qui est là, et que chacun de nous, selon son expertise s’y adonne.
Certains souhaitent que sa maison, là où il a vécu puisse être transformée en musée où on pourra voir ses œuvres. Est-ce que vous partagez cette vision des choses ?
Mais je crois que ce serait formidable, que la maison de Sembène devienne un phare parmi d’autres, de la culture sénégalaise, africaine et mondiale. Un espace de projection au grand public, des salles d’essais pour les chercheurs. Ce n’est pas seulement la place physique mais le symbolisme de cette place, l’homme qui l’a occupée, les travaux qu’il a faits dans la solitude de sa maison y sont. Je pense, en immortalisant cet espace, ce n’est pas seulement Sembène, c’est tout un symbole. Si vous ouvrez nos presses, regardez nos télévisons, vous écoutez nos radios, nous sommes tout le temps en train de glorifier des hommes qui ne sont pas de chez nous, qui le méritent peut-être, mais pourquoi pas les nôtres finalement. Nous sommes, je crois, dans la sous-région, le pays qui a le plus d’intellectuels et d’artistes. C’est un patrimoine, malheureusement qui n’est valorisé qu’à l’extérieur et il est temps que nous le valorisions aussi. Parce qu’il me semble que l’émergence, ce n’est pas seulement l’infrastructure routière, mais c’est également l’éducation. Quand je parle d’éducation, je ne parle pas seulement d’enseignement, je parle d’éduquer des citoyens de demain, conscients de leur place et de leur rôle. Et je crois que, une telle institution si elle sortait de terre, donnerait un exemple formidable.
Il se dit qu’il y a des universités aux Etats-Unis qui collaborent pour porter un projet autour de l’héritage Sembène ?
Ah si ! Il y a une collaboration. Mais le problème est très compliqué, parce que moi, je suis un héritier intellectuel de Sembène, mais je ne suis pas un Sembène. Il y a tout un problème d’héritage au Sénégal et autres qui sont là. Je crois qu’il faut dire qu’il suffirait que la famille se ressemble, coordonne ses efforts. Il y a beaucoup de fondations qui, aujourd’hui, attendraient avec bonheur de pouvoir participer…
(Ndlr, Un quidam interrompt l’interview et Samba Gadjigo ne terminera sa réponse sur cette question, alors même qu’en coulisse, il se susurre qu’il a en projet, avec l’appui de Alain Sembène, le fils aîné du défunt réalisateur, de faire partir toutes ses œuvres originales vers les Etats-Unis. On aurait pu en savoir plus, si cet entretien n’avait pas été interrompu de façon brusque, mais poliment.)