Je ne voudrais pas jouer les oiseaux de mauvais augure, mais j’ai comme l’impression que nous allons tout droit vers une autre année Covid-19. Devrions-nous encore l’appeler comme ça ?! Depuis le temps qu’il nous suit, qu’il nous colle au train (c’est dans l’air du temps que de parler de train) celui-là, il a dû prendre des galons, pensez-vous ! Par décence, on devrait peut-être l’appeler Covid-22, l’adapter au temps qui passe. Si quelqu’un pouvait lui demander…
Quoi qu’il en soit, ce sera toujours mieux que «cronavriss» (faut le faire hein), prononciation locale parfaitement maîtrisée, assumée pour ne pas dire institutionnalisée, de coronavirus ; sans aucune forme de respect pour cet ennemi invisible, qui a les mains baladeuses. Mais chut, je n’ai rien dit.
Je me souviens aussi de la formule quasi solennelle, en mai 2020, d’un tonton Macky apparemment fatigué de confiner la populace : entre les doutes, craintes et incertitudes, nous devions «apprendre à vivre en présence du virus», n’est-ce pas…
Qu’on le veuille ou pas, la maladie, pour ne pas dire la pandémie, a forcément changé quelque chose à nos façons de faire, de nous exprimer, jusqu’à nos relations avec les autres.
Par exemple, nous avons eu droit à ce débat de haute portée philosophique, pour savoir s’il fallait dire le ou la Covid, comme si cela changeait quelque chose dans le fond, nous imposant presque de choisir un camp. Masculin ou féminin, vous ne pouviez (deviez) pas être neutres. Les plus embêtés ? Les journalistes de la radio ou de la télévision hésitant à l’antenne entre «le» et «la», comme si leur vie en dépendait. Si je devais choisir un slogan, ce serait cette rengaine : «Restez chez vous» (ou restez chez wou, si vous tenez à prononcer comme le président de l’Assemblée nationale), répétée, ressassée et rabâchée comme si, à elle seule, elle nous sortirait de là.
Sans oublier qu’elle faisait forcément la distinction entre les uns, mesdames et messieurs les nantis, les privilégiés, au frigo bien garni, et les autres, ceux qui avaient la peur au ventre et des lendemains incertains. Jusqu’à ce que «Restez chez vous» se fasse éclipser par le très ndeyssanant «Prenez soin de vous», qui rajoutait une couche d’empathie, ou faisait au moins comme si.
L’autre mot de la «saison»? Le confinement, et ses confinés, les pour et les contre, ceux qui se sont sentis opprimés, embastillés, et les autres, appelons-les les volontaires, comme il y en a dans toutes les guerres, celles et ceux qui ont trouvé le moyen de s’en réjouir, de faire une pause salutaire, «plus que nécessaire», comme dirait Youssou Ndour, de se recentrer, se retrouver, et même roucouler.
Quand quelqu’un vous dit «dama confiner sama bopp», c’est qu’il y trouve son compte : la misanthrope de service qui en avait marre de voir du monde, l’asociale, qui n’en pouvait plus de donner le change, le jeune couple qui n’en pouvait plus des visites inopportunes de mère goro, le solitaire, allergique aux salamalecs, ça lui donne de l’urticaire à ce qu’il paraît, l’écrivain, qui devait raconter à son éditeur ses élucubrations de confiné, le père de famille nombreuse, qui arrive enfin à mettre un nom sur chacun de ses 35 gosses : Mamy, Doudou, Ngagne Demba…
Et s’il y a un mot qui va désormais faire partie de votre vocabulaire, c’est bien celui de télétravail. Plus «télé que travail», comme dirait mon amie d’enfance (la sagesse personnifiée celle-là) ; plutôt pyjama pour la tenue du parfait télétravailleur, ou sër ak musoor (on ne peut pas faire plus décontracté) ; des dossiers à traiter, entre le ñulug et le seppi.
Quand on y pense, le coronavirus a changé jusqu’à notre façon de saluer, de dire bonjour. Même votre grand-tante, qui a dû vivre au Moyen Âge, vous fait un «check», poing contre poing ; quant à sa version coude contre coude, le geste est si lent qu’on dirait une chorégraphie. Sans parler de ces situations incertaines où vous ne savez pas vraiment comment vous y prendre, et qui finissent par un geste en l’air, confus…
Dans cette histoire, il nous en reste encore, des inconditionnels de la traditionnelle poignée de mains, franche et ferme. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que l’on se rue sur le gel hydro-alcoolique après, mais chut, il ne faut pas leur dire. Le gel, aujourd’hui, c’est un peu notre saafara, notre eau bénite 2.0 : on en met par réflexe, par habitude, ou pour se donner bonne conscience, pour muslu ci corona seytané rajim…
Et puis, vous avez nos spécialistes maison, ceux qui sont devenus incollables, que ce soit sur le virus, ou ses variants, qui les appellent même par leur prénom, Delta bi, Omicron bi, et ceux qui pensent avoir trouvé le remède, la formule magique…Un breuvage soigne-tout, mélange de miel, gingembre, citron et clou de girofle ; une soupe de poisson juste assez relevée pour vous arracher la moitié du palais, sans parler de ceux qui sont allés jusqu’à faire pousser un plant d’Artémisia dans un coin du jardin… Leurs infusions, on en redemande, pareil pour les explications de l’expert : «Non…Artémisia bi dafa baax quoi !»
Nos gamins dans tout cela ? Ils ont développé une addiction au gel hydro-alcoolique, parlent sans sourciller de virus, microbe, et corona… J’en connais même quelques-uns qui sont restés très attentifs aux discours du président de la République : «Qu’est-ce que Macky Sall a dit sur le coup de feu ?», comprenez «couvre-feu». Autant vous dire que c’était violent…
Mais enfin, ça nous en fera des histoires à raconter : il était une fois, le bébé de la voisine, né l’année du corona ; à l’époque ndeysaan, Abdoulaye Diouf Sarr était trop occupé pour faire griller des cacahuètes, pour saaf gerte…
Allez, à l’année prochaine.
P.-S. : Qui garde les clés lorsqu’un pays ferme ses frontières ?