Les mots et autres phrasés alambiqués peuvent pavoiser. Soro, cet obsédé textuel n’est plus là pour les traquer jusque dans leurs derniers retranchements. Maniaque de la perfection, pointilleux jusqu’au bout des doigts, rigoureux comme jamais, j’ai souffert à mes débuts en 2003, quand Soro et Ibrahima Sakho (Paix à leur âme), du desk politique du Quotidien, m’avaient pris sous leur aile. J’en ai bavé. Je devais faire face à des iconoclastes, des profs libérés de tout complexe. De Toute vanité. Mes textes étaient rudes, sans fantaisie, dépourvus d’artifices et il fallait que Soro, qui pianotait sur son ordinateur comme on tapait des clous sur une chaise, touche le texte pour que la magie opère. Encore et encore. Mes textes devenaient potables, denses et tout simplement succulents. Soro ne se contentait pas simplement de corriger mes papiers, il me filait des secrets, partageait des astuces… s’inquiétait de mes retards, de mes absences, de mes égarements… Il se comportait en grand frère. Soro Diop ne lésinait pas sur ses moyens pour faire plaisir aux autres. Il lui arrivait de se faire mal pour faire briller les autres. Jamais, il ne traînait cela comme un boulet. C’était naturel chez lui de faire plaisir. Il était esprit vif, âme généreuse…
Il y aurait aujourd’hui quelque chose de désagréable au royaume de la presse écrite. Soro Diop, plume affûtée, touchant obsédé textuel, parti, la presse écrite ne serait plus la presse écrite. Tant son lyrisme, son amour des mots sont uniques en leur genre. C’est vrai que chez nous, la vie cohabite avec la mort. Mais sa disparition brutale nous rappelle méchamment qu’on ne s’habitue jamais à la mort, parce qu’elle frappe toujours par surprise. Au moment où l’on s’y attend le moins… Ce samedi, au petit matin, le réveil fut brutal quand je l’aperçus me fixer en haut de page de couverture de la Une de L’Observateur. Je me pinçais pour voir si c’était vrai que Soro était parti à jamais. Quelle douleur ! Quelle affreuse nouvelle ! Mais tel est le destin funeste qui est promis à chacun d’entre nous. Le Coran le rappelle majestueusement : «La course aux richesses vous distrait jusqu’à ce que vous visitiez les tombes. Mais non ! vous saurez bientôt !» (sourate 102, versets1, 2, 3)
Soro, c’est aussi ce copain de cordée qui ne vous lâche jamais dans les moments difficiles. Un homme avec qui il fait bon de partir en guerre, car il ne vous laissera jamais tomber. C’est déjà une éternité, je me souviens encore de l’épisode de l’emprisonnement de Madiambal Diagne. Cette épreuve avait dopé sa capacité de travail, décuplé son énergie. C’est que l’homme Soro, «Zorro» du journalisme, avait horreur de l’injustice. Il venait au travail avec une mine des jours heureux et un sourire goguenard contagieux dont il avait seul le secret. Et quand il répondait au téléphone, on avait l’impression que les murs du Quotidien, sis à l’époque à la Sodida, tremblaient. Sa voix caverneuse régentait les couloirs, sermonnait les murs qui goûtaient ses paroles… et devant sa machine, il ne levait la tête qu’après avoir bouclé ses pages. Son style va nous manquer, sa gouaille joyeuse aussi. Mais maigre consolation, Soro Diop n’est pas dans sa tombe à Kanel, mais bien dans nos cœurs. A Dieu grand Zo !
Par Mor Talla GAYE