Le 9 avril 2021, la matière grisâtre, que dis-je ?, la matière grise kédovine débarque sur la Terre des hommes pour, dit-elle, battre le macadam pour exiger le recrutement des jeunes dans les entreprises minières et dans la fonction publique… A entendre parler les étudiants de l’Aeerk, l’on est tenté de se dire sans risque de se tromper que cette belle et riche région du sud-est du Sénégal ne sortira pas sitôt de l’auberge. D’autant plus que ces réactionnaires ne savent même pas où le bât blesse. Alors que : «Celui qui ne connaît pas où se situe son retard ne saura jamais où se trouve son avancement», prêchait Elhadji Ibrahima Sakho.
Toutefois, cette attitude n’est pas surprenante du tout de la part d’un produit de l’école française. Le premier président de l’Assemblée nationale du Sénégal, Lamine Guèye, d’après Amadou Ali Dieng, disait se battre pour une indépendance individuelle. En 1918, après sa sortie au vitriol sur la situation des tirailleurs sénégalais, dénonçant la transformation de ces derniers en chair à canon dans les tranchées, Blaise Diagne bénéficia d’une promotion individuelle. Flanqué de ses nouveaux attributs de Commissaire général au recrutement indigène, le député du Sénégal débarque dans l’Aof pour convaincre ses parents africains de venir à la rescousse de leurs «frères français», devant le refus catégorique de Van Vollenhoven, gouverneur général d’alors, de s’adonner à cette sale besogne. Vu que les Africains étaient déjà exsangues et démunis par l’effort de guerre déjà consenti.
De surcroît, du moment où on vit dans une Nation unique et indivisible, ayant un commun vouloir de vie commune, le Sénégalais est libre de travailler partout au Sénégal, pour le Sénégal et au nom du Sénégal. Parce que détenteur de la nationalité sénégalaise, il est autochtone de partout et allogène de nulle part dans le pays de la Téranga. Quant aux difficultés de la région de Kédougou, toutes les régions du Sénégal vivent presque la même chose, comme en témoigne l’avènement du Mouvement Fouta tampi.
Que faire ? avait demandé Lénine. En fait, après plus de 60 ans d’indépendance, les richesses de l’Afrique en général et du Sénégal en particulier sont pillées en faveur des capitalistes étrangers, en complicité avec des Etats rentiers et de la bourgeoisie compradore. Ainsi, pour que la donne change, il faut impérativement une libération totale des forces productives de la Nation. Le recrutement dans la fonction publique et celui dans les sociétés minières ne sont que des mesures conjoncturelles à un moment où le coût de la vie augmente plus vite que le salaire. Au moment où le nombre de jeunes arrivant chaque année sur le marché du travail dépasse très largement le nombre d’emplois créés par l’Etat dans la fonction publique. L’accent doit être mis plutôt sur des mesures structurelles, c’est-à-dire la mise en place de start-up et d’unités de transformation de pointe pour permettre à cette jeunesse dynamique, mais désespérée au point de prendre la mer et ces femmes entreprenantes excellant dans la transformation malgré le caractère rudimentaire des moyens du bord, de créer de la plus-value.
D’ailleurs l’«extractionnisme» n’est pas viable. Il peut éviter le pire, mais il n’écarte pas le danger, d’autant plus qu’il n’est rien d’autre qu’une marchandisation de la force du travailleur qui évolue dans de très difficiles conditions de travail. Alors qu’il ne bénéficie même pas de jours de repos durant les fêtes religieuses, à cause de la cupidité d’un employeur étranger sans foi ni loi. Pis, au rythme où l’or est exploité à Kédougou, en plus de la découverte d’autres mines et d’autres minerais, la région risque de se transformer en un cratère béant à ciel ouvert où l’agriculture et l’habitat seront impossibles dans un avenir proche.
Avant d’en arriver là, il faut impérativement protéger les terres arables, aussi riches en or soient-elles, encourager la culture du coton et financer sa transformation au sein de la région pour créer de la plus-value et des emplois stables. L’or étant une source épuisable, aussi précieuse soit-elle, ses rentes doivent être réinvesties dans l’augmentation considérable de la production halieutique du Dac de Itato et de sa transformation en produits industriels exportables dans l’intérieur du Sénégal et la sous-région. Le développement de l’agriculture hors saison est à la limite un acquis, avec le fleuve Gambie qui irrigue la région. En effet, l’autosuffisance en riz mettrait fin à toute cette spéculation à laquelle s’adonnent des commerçants véreux tout en prétextant la distance. Un Malinké qui a suffisamment de kino et du yego en abondance chez lui n’aura pas besoin de se retrancher à Dakar ou à Saint-Louis pour du ceebou jen. Ces mesures doivent être érigées en conditions sine qua non par la jeunesse de Kédougou, car en elles se trouve le salut de la terre et des hommes dans la Terre des hommes.
Ps : Ayant refusé de réquisitionner davantage les Africains qui sortaient à peine d’une longue sécheresse, Van Vollen­hoven démissionna de son poste de gouverneur général pour rejoindre les troupes françaises en Asie où il perdit la vie. Le lycée dont il était le parrain porte aujourd’hui le nom d’un suppôt de la France, alors que l’ex-commissaire général au recrutement indigène d’alors parraine fièrement le lycée Blaise Diagne. Injustice quand tu nous tiens !
Elimane BARRY
Professeur d’anglais au lycée Maciré Ba de Kédougou,
eltonbarry87@gmail.com