Je sais que je n’aurai jamais l’occasion de vous le dire en face en tant que citoyen ordinaire. Je sais que je ne serai pas lu parce que le chemin est long et la procédure compliquée ! Cependant je profite de cette tribune pour m’adresser à vous, le premier des Sénégalais. Peut-être qu’un proche me lira, et vous transmettra fidèlement le message.
Je m’adresse à vous Monsieur le Président de tous les Séné­galais, celui des opposants et des partisans, des riches et des pauvres, du Sénégal des quatre points cardinaux, du Sénégal de l’extérieur. Le Président Abdou Diouf disait, «Dis-moi quelle jeunesse as-tu ? Je te dirai quel pays tu seras». A partir de cette assertion, on comprend tout le sens et toute l’importance qu’il avait accordés à la jeunesse à la manière de son prédécesseur. Cet intérêt pour cette frange de la population est-il devenu révolu ? En effet, force est de constater que depuis quelque temps, celle-ci s’implique de moins en moins dans les activités de développement. Dès lors, on peut se demander qu’est-ce que nous jeunes, sommes en train de devenir.
Nous buvons beaucoup de thé, nous connaissons les patronymes et le plan de carrière de tous les joueurs de foot et chanteurs du monde, mais nous ne connaissons qu’un seul ministre de la République. En plus, nous sommes les grands absents des instances de décision, car notre place se trouve dans les concerts publics et populaires auxquels nous sommes plus conviés. On pourrait même dire que le Grand théâtre est devenu le Haut Conseil ou l’Assemblée des jeunes. Nous sommes environ 90.000 étudiants dans les universités et des milliers de jeunes diplômés dans la rue. Les moins chanceux et moins nantis retourneront à la campagne après trois années à l’université ou après un «essai» dans l’armée. Dans un contexte de chômage, où les produits de l’enseignement supérieur peinent à s’insérer dans un marché du travail inexistant, une réforme universitaire a-t-elle un sens? Peut-on continuer de compter sur un pays qui ne sait que recycler des vieux au crépuscule de leur vie ? N’est-il pas budgétivore de maintenir un ministre de la jeunesse saisonnier ?
Monsieur le Président nous sommes en marge de toutes les pages de l’actualité. Pourtant, vous savez combien votre dette à l’égard du mouvement du 23 juin est grande. Ce mouvement porté majoritairement par les jeunes a facilité votre accession au pouvoir. Les qualités intrinsèques à la jeunesse comme la bravoure, la force, la fougue, l’intelligence, etc. ont été d’un apport sans commune mesure dans la mise en marche de ce mouvement social. La presse en est témoin. En faisant le tour du Sénégal, de la région de Saint-Louis à Ziguinchor, de Dakar à Tam­bacounda rares sont les jeunes qui ont été promus à des postes de responsabilité. Dans nos collectivités locales, nous sommes spectateurs plutôt qu’acteurs. Nous représentons 70% de la population, mais absents de toutes les instances de décisions (conseils municipaux, débats interministériels, Assemblée nationale, Conseil économique, social et environnemental, Haut conseil des collectivités locales). Sommes-nous incapables ? Au Sénégal quand vous êtes jeunes, vous êtes plus attendu sur les terrains de football, à la plage, dans les sports populaires (les Navétanes, la lutte, les championnats) ou dans les agences de sécurité. Qu’allons-nous devenir, si nous ne nous sommes pas frottés très tôt à la gestion des affaires de la cité ?
Devons-nous continuer à jouer les seconds rôles, à faire de la police politique derrière les politiciens. Lorsque nous nous retrouvons dans les stades de foot ou autour du thé, je me demande quel sera l’avenir de ce Sénégal émergent sans la culture du travail civique, sans une jeunesse informée et imprégnée. Monsieur le Président, responsabilisez la jeunesse comme l’a fait son Excellence Léopold Sédar Senghor en confiant à Abdou Diouf des postes de responsabilité malgré son jeune âge. Celui-ci a appliqué le même exemple avec Tanor Dieng. Les grand hommes à la tête des hautes instances sont les fruits d’une formation anticipée et rigoureuse. Nous ne voulons pas être en reste dans un Sénégal qui fera l’objet d’ici peu de convoitises étrangères. Il faudrait alors former des jeunes qui, sans peur ni crainte, auront les outils intellectuels et matériels pour gérer un pays. Pour ce faire, il s’agit non seulement d’accumuler des bagages intellectuels, mais aussi de fréquenter les antichambres du pouvoir avant d’en être pilote.
J’ai bien à l’œil ces jeunes comme Modou Diagne Fada, le docteur Aliou Sow, deux produits de l’école publique. Je n’oublie nullement votre parcours bien atypique : directeur général de Pétrosen, ministre de l’Intérieur, Président de l’Assemblée nationale et enfin président de la Répu­blique.
Aliou Badara KHANTA
Conseil communal de la jeunesse de Bakel