A messieurs Moundiaye Cissé, Birahim Seck et compagnie : Nous ne sommes pas vos enfants !

Les temps semblent moroses pour la Société civile, les élections sont derrière nous, il n’y a pas de débats purement politiques qui les mobilisent. Les marchands de solutions en période de crise sont au chômage, leur gagne-pain pour mobiliser des financements à l’extérieur est en berne. Lorsqu’on n’a plus de la graine à moudre pour justifier des programmes de bonne gouvernance douteux, on s’accroche à un rapport de la Cour des comptes pour exister et pour montrer des gages de représentativité en tant que défenseurs de la transparence à des bailleurs tapis dans l’ombre. Ceux qui vivent de la crise et de scandales s’accrochent à tout pour faire rouler le business et comme le rappelle Henry David Thoreau : «Le chercheur de tare en trouvera même au paradis.»
Messieurs
Vous contribuez par votre posture à cette propension bien sénégalaise à juger et à condamner les gens avant l’heure. Cette tendance à jeter en pâture et à montrer du doigt les agneaux du sacrifice contre les enfants d’autrui, développe dans notre société le mensonge et la manipulation à outrance par méchanceté ou partisanerie. En faisant la promotion de la diffamation, vous oubliez que «qui diffame autrui révèle ses propres tares». D’un autre côté, on se lève en bouclier quand les «intouchables» politiques journalistes ou marabouts sont accusés de viol, de détournements ou délits liés à la diffusion de fausses nouvelles pour parler d’acharnement. Mais lorsqu’il s’agit de conduire des agents de l’Etat à la guillotine, la présomption de culpabilité disparaît. Vous ne nous connaissez pas, vous n’avez pas le droit de nous juger. Je vous rappelle que les lois sont les mêmes et leurs applications ne sauraient connaître une indulgence sélective puisque cette dernière est «le lien de la Société civile, et que le droit donné par la loi est le même pour tous, il n’y a plus de droits ni de règles dans une société dont les membres ne sont pas égaux». Vous n’avez ni le monopole de la probité ni l’exclusivité du patriotisme, car les personnes citées sont au service de l’Etat depuis des décennies et servent dignement sans tambour ni trompette toute la Nation. Les personnes citées dans le rapport de la Cour des comptes ont le droit à la dignité d’autant plus qu’aucun jugement les condamnant n’est encore prononcé et qu’il s’agit de faits présumés comme indiqué dans le rapport. En croyant contribuer à cette entreprise de transparence et de reddition des comptes, vous participez volontairement ou de manière involontaire à creuser le déficit de confiance entre les agents de l’Etat et les administrés.
Messieurs
Savez-vous le risque que ces personnes prennent au quotidien pour faire fonctionner la machine étatique pour vous permettre vous et vos semblables d’avoir un service public de qualité ? Savez-vous le nombre d’heures que ces gens consacrent à l’Administration, sacrifiant familles et loisirs ? Je me permets de vous dire que si un de vos enfants, épouses, frères ou sœurs était dans le lot, auriez-vous eu la même attitude ? La complexité de la gestion publique ne se limite pas à la publication du rapport et de ses recommandations. Vous vous trompez en voyant partout la malversation. Cette schizophrénie décèle en vous une haine envers les gestionnaires, cette haine se ressent dans vos propos à vouloir mettre la pression sur la Justice pour enclencher des poursuites. Elle révèle une certaine revanche qui se traduit par la calomnie, qui «est la plus maladroite de toutes les vengeances». Dans le rapport, il est bon de le rappeler, il n’est nulle part mentionné qu’il y a détournement de derniers publics. Lorsque vous citez les faits dans le rapport, ayez l’honnêteté de les reprendre comme décrits, ainsi que les réponses apportées par les personnes visées. Au nom de quoi n’est-il pas permis de critiquer le rapport ou les personnes qui l’ont produit ? Le rapport est-il la Bible ou le Coran ? Les magistrats de la Cour sont-ils des dieux qui ne se trompent pas ? Ils sont autant que les personnes citées, des êtres humains qui peuvent se tromper dans leur jugement ou dans l’interprétation des textes. Accepter que les gestionnaires aient fauté avant même le jugement et défendre le rapport et ses producteurs ne sont pas conformes à la posture de la Société civile. Votre rôle doit être dans l’équilibre. Lisez le rapport d’une manière critique et vous verrez qu’il n’est pas exempt de reproches tant dans la forme que dans le fond.
Avez-vous constaté que dans le rapport, le principe du contradictoire est biaisé, car la Cour a choisi des réponses partielles et a oublié de publier l’intégralité des réponses des personnes citées en annexe comme dans ses rapports précédents ? Avez-vous pris connaissance de la totalité des réponses des personnes visées ? Je comprends que tout cela ne vous intéresse pas, car nous ne sommes pas vos enfants et nous ne faisons pas de la politique. Je comprends aussi que le rapport est un bon prétexte pour concevoir des requêtes de financement dans les jours et mois à venir.
Messieurs,
Il y a un paradoxe dans votre posture de défenseurs de la reddition des comptes. Vos actions sont financées par des bailleurs au profit de la société que vous prétendez représenter. Au nom de cette société, du principe de redevabilité et d’imputabilité, vous devez justifier vos ressources et vos activités à vos financeurs, mais aussi à toute la société au nom de laquelle vous mobilisez des ressources. Dites aux Sénégalais combien vous gagnez mensuellement ? Comment sont financées vos activités ? Quelles sont les facilités que vous avez avec votre casquette de Société civile ? Dites aux Sénégalais sur les dix dernières années, combien avez-vous mobilisé en termes de ressources ? Publiez la liste de vos employés et dites-nous vos liens de parenté et d’amitié ? Dites-nous quelles sont les procédures que vous utilisez pour recruter vos employés et vos prestataires ?
Messieurs,
Pour terminer, je vous dirais que nous ne sommes pas vos enfants, donc nous sommes bons pour la calomnie et la prison. En vous décrétant prophètes de la morale et de la vertu, je vous demande de méditer et de penser à cette citation de Friedrich Nietzsche : «Il n’y a peut-être pas aujourd’hui de préjugés mieux enracinés que celui-ci : s’imaginer que l’on sait en quoi consiste exactement ce qui est moral.»
George DIOP
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