A propos de la «suppression du Concours d’entrée en sixième»

Le compte rendu de la réunion interministérielle du 30 mai 2025 fait état de la décision de supprimer le Concours d’entrée en sixième. Depuis cette annonce, des commentaires sont partagés sur la pertinence de ce projet et sur son ancrage dans nos textes administratifs. A mon avis, le problème de fond n’est pas lié à des questions de légalité ou de faisabilité. Il faut, avant tout, se demander si tous les élèves du Cours moyen deuxième année (Cm2) doivent être admis en sixième. Quel(s) avantage(s) et quel(s) inconvénient(s) pour eux-mêmes et pour leurs parents d’être admis en 6ème ? Quel viatique indispensable pour eux ?
Il faut rappeler que l’Entrée en 6ème n’est pas un concours organisé avec son espace temporel propre, ses épreuves propres, ses jurys de correction et de délibération spécifiques. Dans les dispositions du décret n°2013-738 du 07 juin 2013 portant création et organisation du Certificat de fin d’études élémentaires (Cfee), les conditions d’admission en classe de sixième de l’Enseignement moyen général sont fixées. L’examen du Cfee permet, en même temps, de sélectionner «…des candidats pour l’admission en classe de sixième en fonction du nombre de places disponibles».
Cette forme cumulée réduit à néant d’éventuels coûts pour l’entrée en 6ème.
Au nombre des arguments sur lesquels on s’appuie pour justifier la suppression du Concours d’entrée en 6ème, on peut citer deux.
D’abord, la nécessité de se conformer à la loi d’orientation 91-22 du 16 février 1991, qui rend obligatoire la scolarisation de tous les enfants de 6 à 16 ans ; laquelle a été modifiée et complétée par la loi 2004-37 du 15 décembre 2004 qui précise que si, pour une raison ou une autre, l’enfant ne peut rester dans l’enseignement général jusqu’à 16 ans, l’Etat a l’obligation de l’orienter vers la formation professionnelle.
Ensuite, l’obligation de trouver les moyens de se conformer aux valeurs d’équité et de justice sociales, pour la démocratisation de l’accès à l’enseignement moyen.
Une «suppression», de fait, a été observée depuis les années 2010, par une augmentation démentielle du nombre de places disponibles. Voici quelques exemples :
En 2010, le taux d’admission en 6ème était de 95, 18%, alors que le Cfee enregistrait un taux de 68, 38% ; soit un écart de presque 27%.
En 2013, le taux d’admission en 6ème était de 91, 31%, alors que le Cfee enregistrait un taux de 33, 89% ; soit un écart de presque 58%.
En 2014, le taux d’admission en 6ème était de 92, 74%, alors que le Cfee enregistrait un taux de 34, 40% ; soit un écart de presque 59%.
Quelques constats
Personne n’a jamais cherché à fournir des explications quant à ces écarts énormes consécutifs à l’envoi au collège d’élèves n’ayant pas pu réussir au Certificat de fin d’études élémentaires.
Aucun chercheur n’a réalisé un suivi de cohorte rigoureux pour déterminer la poursuite des études de ces élèves.
Des observateurs avaient constaté, en revanche, que certains professeurs de collège ont été dans l’obligation d’écrire les résumés au tableau (comme à l’élémentaire) parce qu’ils avaient des élèves incapables de les prendre sous la dictée.
Enfin, on avait créé de faux espoirs chez des parents analphabètes fiers d’accompagner leurs enfants ayant «réussi» au Concours d’entrée en 6ème, jadis très sélectif.
L’argument selon lequel le recours à l’Intelligence artificielle et au numérique permettra d’amoindrir les difficultés, pose justement des problèmes d’équité et de justice sociales, quand on connaît le niveau de couverture de la technologie dans les différents familles et établissements scolaires. L’on a peut-être oublié que l’exemple du Covid est difficile à généraliser dans la mesure où seules les classes d’examen fonctionnaient, mobilisant à elles seules, toutes les équipes pédagogiques.
A l’heure actuelle, beaucoup d’élèves qui ne maîtrisent pas bien la lecture perdent un temps précieux au collège. Les 2 ou 3 ans qu’ils y passent avant d’avoir la «chance» d’être exclus pouvaient suffire pour apprendre un métier. N’oublions pas, de plus, les classes de sixième avec des effectifs de près de 100 élèves, dans lesquelles les professeurs se démènent à longueur de journées. Dans les autres classes, du reste, les ratios élèves/salles de classe sont très préoccupants : ils sont, pour exemple, de 89 points dans les quatrièmes, selon la dernière étude du Pisa-D au Sénégal.
A mon avis, la suppression du Concours d’entrée en 6ème doit nécessairement être accompagnée de mesures fortes, si elle devait être d’actualité.
D’abord, il est indispensable de se doter de moyens d’identifier les lacunes susceptibles de rendre impossible la progression des élèves. Dans beaucoup de pays, des évaluations nationales sont généralisées, permettant aux enseignants de mieux adapter leurs enseignements et au pouvoir politique d’adapter sa politique éducative. «Le but ne sera pas d’éliminer des candidats, mais plutôt d’en identifier les moins aptes afin de les réorienter dans d’autres filières. Il ne sera pas question de supprimer un concours ou un examen, mais d’élargir «les mailles du filet» pour que ne soient retenus vraiment que les plus faibles, dans les domaines de l’apprentissage théorique. Ce dernier lot pourra être reversé dans l’apprentissage de métiers. Identifier et non éliminer, réorienter et non supprimer…» (Lamine Ndiaye Aysa Fall, Expert et Consultant en Education et Formation).
Ensuite, il est urgent de «secouer le cocotier» pour ce qu’on appelle aujourd’hui la «crise de l’apprentissage» que d’aucuns assimilent à une «crise de l’enseignement». Il faut avoir le courage de jeter un regard objectif, sans complaisance, sur ce qui se passe dans les classes. Cela est d’autant plus important qu’on s’accorde de plus en plus sur le rôle crucial de l’enseignant dans l’amélioration de la qualité des apprentissages. Déjà en 2005, le rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’education, la science et la culture (UNESCO) sur «l’Education pour tous» identifiait le maître comme le principal facteur de la qualité parce que capable d’agir positivement sur l’approche pédagogique, le temps d’apprentissage, la pertinence des contenus et la motivation des apprenants. Voilà la raison pour laquelle ce qu’on appelle «effet maître» a intéressé les chercheurs depuis les années 1950. L’effet maître, c’est l’ensemble des effets que peut avoir l’enseignant. En plus d’une bonne formation, il doit faire preuve de dévouement et d’empathie. Une réflexion approfondie, courageuse et lucide doit être menée sur cette problématique.
Pour ne pas conclure
Le plus important, à l’heure actuelle, c’est moins une «suppression du Concours d’entrée en sixième» qui, au demeurant, n’existe plus si on jette un coup d’œil sur les écarts énormes avec les taux d’admission au Cfee, mais de se donner les moyens d’améliorer la qualité de l’éducation et de disposer d’une évaluation sérieuse pour identifier les lacunes et y remédier, afin de mieux préparer chaque élève selon son potentiel. D’ailleurs, le bilan de compétence, obtenu à partir d’évaluations rigoureusement menées à la fin de chaque étape du cycle élémentaire, doit être valorisé pour constituer un repère pour la remédiation, le renforcement et la refondation. Les questions d’éducation sont trop sérieuses et n’autorisent pas une négligence des éclairages scientifiques.
Kaba DIAKHATE
Inspecteur de l’éducation à la retraite
Kabadiakhate2@gmail.com