J’ai découvert Nicholas Carr en lisant son livre Internet nous rend-il bêtes ? Je crois que le titre original en anglais – The shallows : what the internet is doing to our brain (la superficialité : comment internet est en train de changer notre cerveau) – exprime plus le contenu du livre que celui en français. Nous sommes envahis par les écrans – smartphones, tablettes, ordinateurs. Nous les traînons constamment avec nous. Cela a un impact sur notre cerveau.
Auparavant, il était établi que le cerveau était statique une fois que nous parvenons à l’âge adulte. La neuroscience a démontré le contraire, notre cerveau est plastique, c’est-à-dire qu’il change continuellement notre mode de vie, nos activités le façonnent.
Aujourd’hui, avec l’omniprésence des écrans, notre cerveau est en train d’être changé ou l’est déjà. Combien de temps passons-nous à regarder les écrans ? Observons notre attitude, au lieu d’entretenir une conversation avec une personne proche, nous préférons envoyer des messages sur WhatsApp à une autre à l’autre bout du monde. Para­doxalement, la solitude augmente. J’ai observé que plus je passe du temps sur internet, plus je me sens seul. Par contre, je peux me plonger dans un livre, seul dans ma chambre, de longues heures sans ressentir aucune solitude.
Nicholas Carr était l’essayiste du Saturday essay du 07/10/2017 du Wall Street Journal (https://www.wsj.com/articles/how-smartphones-hijack-our-minds-1507307811?mod=e2fb). Dans cet essai How smartphones hijack our minds, il cite des résultats de recherche effrayants : les possesseurs d’IPhone consultent leur téléphone plus de 80 fois dans la journée – 30 mille fois dans l’année -, la proximité d’un smartphone, même sans son utilisation, diminue les résultats aux examens.
A chaque interruption, le cerveau doit fournir un plus grand effort pour se reconcentrer. A la longue, il sera altéré, perdra la faculté de se concentrer, ne recherchant que la nouveauté qui devient vieille quelques instants plus tard.
J’écrivais plus haut que cela crée un impact sur notre vie sociale. Nous sortons moins, nous entretenons moins de relation profonde. Paradoxalement, à l’heure où le monde est très connecté, la solitude augmente. Nous disposons de toute sorte d’outils pour entrer en contact avec autrui, ce qui aurait dû diminuer la solitude. Comme le montre cet article du Harvard business work and the loneliness epidemic (https://hbr.org/cover-story/2017/09/work-and-the-loneliness-epidemic), cela n’est pas le cas. Certains me diront que parce que ces recherches qui ne concernent que des citoyens américains sont peu représentatifs, mais le monde est de plus en plus uniformisé – nous passons autant de temps qu’eux sur les réseaux sociaux. 40% des Américains ressentent de la solitude – loneliness – et le pourcentage de ceux qui ont un confident a tendance à décliner.
Les smartphones et autres tablettes sont utiles. Je les utilise souvent pour trouver ce que je cherche plus rapidement. Cependant, cette facilité qu’ils me procurent me nuit à terme. Je peux avoir l’impression que je n’ai plus besoin de mémoriser quelque chose, que je maîtrise des choses, ce qui n’est pas le cas. J’ai aussi évoqué la diminution de notre capacité à nous concentrer. Le cerveau est naturellement distrait, il aime la nouveauté. Il faut s’imposer une discipline pour lui inculquer la concentration. Il perçoit la nouveauté comme étant plus intéressante que les choses en cours. Dans son livre Influence et manipulation, Roberto Cialdini appelle ce culte de la nouveauté «une perte potentielle».
L’essence de la vie est de pouvoir accomplir des choses, pouvoir se concentrer sur une tâche ardue, persévérer pour la réussir. La plupart des succès ne citent-ils pas la persévérance comme la principale cause de leurs réussites.
Nous devons recréer un monde où nous pourrons retrouver les vertus de la conversation, être capable de laisser notre téléphone de côté et nous parler. C’est ainsi que nous parviendrons à combattre la solitude. Quand des amis passent à la maison, je confisque leur téléphone pour que nous puissions parler. Je me rends compte qu’ainsi, la profondeur de la discussion augmente, et nous apprécions davantage le temps que nous passons ensemble.
Nous ne pouvons plus revenir au temps ante-écran. Il y eut un moment où j’avais supprimé mon compte Facebook et désactivé mon WhatsApp. J’ai fini par revenir sur deux actions, parce que je voulais être en contact avec mes proches dispersés partout dans le monde. Cependant, cela ne doit pas être une raison pour y passer la majeure partie de notre temps. Nous devons créer ces moments de solitude, où nous nous plongeons dans des activités exigeantes que nous ne pouvons réussir que par la concentration. Cela passe par dire non aux écrans, lire un livre, nous promener dans un parc, passer du temps avec nos proches sans téléphone, méditer. C’est ainsi que nous pourrons contrôler notre cerveau et le reprogrammer pour la concentration.
Dans son roman La planète des singes, Pierre Boulle explique comment les singes se sont élevés et les hommes sont tombés dans la déchéance sur la planète Soror : «Ce qui nous arrive était prévisible. Une paresse cérébrale s’est emparée de nous. Plus de livres (…) Pendant ce temps, les singes méditent en silence. Leur cerveau se développe dans la réflexion solitaire… et ils parlent.»
Ce roman est une allégorie de comment nous pouvons tomber dans la déchéance. Nous devons nous réapproprier notre cerveau : le reprogrammer à se concentrer et à aimer la solitude. Pour cela, nous devons dire halte aux écrans, choisir quand nous les utilisons et quand nous devons les laisser de côté. Ainsi, nous entreverrons d’autres résultats positifs : nous connecter davantage avec nos proches, diminuer la solitude et nous donner de plus grandes chances de réussite. Le cerveau étant plastique – il peut être reprogrammé -, nous pouvons y parvenir, et cela, dès maintenant, en abandonnant écran et en nous attelant à d’autres activités.
 Moussa SYLLA
moussasylla.com

*Solitude, en anglais, décrit une personne qui choisit délibérément d’être seul, alors que loneliness désigne le sentiment négatif d’être seul