Abass l’usurpateur

Le gouvernement «Sonko 2» est né le 6 septembre et a été présenté au public après une longue période de gestation. Deux ministres, et pas des moindres (l’Intérieur et la Justice), ont quitté l’attelage gouvernemental, remplacés par des personnalités présentées comme des fidèles du Premier ministre. Lequel a expliqué que le remaniement obéit à un besoin de «redynamiser l’équipe gouvernementale» après une évaluation de son travail suite à la démission du ministre Abass Fall. «(…) Cet exercice a été rendu nécessaire par la conjonction de deux faits. Le premier, c’est la démission de l’un des membres du gouvernement, en l’occurrence Abass Fall, ministre du Travail, qui, après son élection à la mairie de Dakar, a préféré démissionner de ses fonctions ministérielles», a déclaré le Premier ministre Ousmane Sonko, qui ajoute : «Le second fait est lié à l’évaluation, l’appréciation que nous avons faite du fonctionnement du gouvernement et de son organisation après un an et demi de mandat, et des leçons et conclusions qu’on en a tirées (…).» Présidant le Conseil des ministres du mercredi 10 septembre, le président de la République a salué le travail des ministres sortants et rappelé aux nouveaux membres la portée de leur responsabilité : incarner la sacralité de l’Etat, le service public et l’engagement patriotique. Le chef de l’Etat a insisté sur la nécessité d’un gouvernement solidaire, efficace et proche des préoccupations des citoyens. Le Président Faye a fixé comme priorité l’accélération de la mise en œuvre du Plan de redressement économique et social (Pres), et des réformes prévues par l’Agenda national de transformation. Il a demandé au Premier ministre Ousmane Sonko de superviser l’exécution des directives présidentielles et exhorté le ministre des Finances à finaliser le projet de loi de finances 2026, en concertation avec ses homologues. La relance économique, le développement du secteur privé, l’investissement productif et la prise en charge des enjeux sociaux et sécuritaires constituent, selon lui, des urgences nationales. Mais pour le Fdr, «aucune disposition dans ce qui vient d’être fait n’atteste d’une quelconque volonté de trouver des solutions à ces difficultés grandissantes. Bien au contraire, il s’est agi d’un remaniement purement politicien qui s’inscrit dans un projet désormais clairement affiché d’institutionnaliser l’Etat-Sonko sous l’appellation de «parti-Etat»».
Un remaniement dicté, entre autres, par le départ du ministre Abass Fall, désigné maire de Dakar et officiellement installé dans une forme de précipitation qui ne dit pas son nom. En effet, la cérémonie de passation de service entre Ngoné Mbengue, maire intérimaire, et Abass Fall, nouveau maire de Dakar, s’est déroulée le mercredi 10 septembre, dans une salle comble de l’Hôtel de ville. Dans son discours d’investiture, le nouvel édile a exprimé sa volonté de bâtir une capitale «moderne, inclusive et rayonnante», en appelant à l’unité, à la concertation et à la performance pour répondre aux attentes des Dakarois. Abass Fall a salué le travail de son prédécesseur, qui a assuré la stabilité municipale dans un contexte difficile, et s’est engagé à faire de Dakar une municipalité innovante et performante. Ngoné Mbengue, désormais première adjointe, a souhaité plein succès à son successeur et réaffirmé sa disponibilité à œuvrer à ses côtés pour renforcer le service public local.
Abass Fall, maire de Dakar, c’est une escroquerie politique perpétrée par le Préfet de Dakar à plus d’un titre. D’abord, c’est une trahison de l’esprit des concertations politiques qui ont conduit à l’élection des maires et présidents de Conseil départemental au suffrage universel direct. C’est de l’usurpation. En effet, l’argumentaire de l’opposition d’alors, au pouvoir aujourd’hui, était que les électeurs, en allant aux urnes, doivent clairement savoir pour qui voter. Ce qui éviterait les combines et le dévoiement du suffrage des électeurs. C’était sous le magistère de Antoine Diome. Et toute la classe politique y avait souscrit. Durant le magistère de Macky Sall, Ousmane Sonko dénonçait une instrumentalisation de la Justice pour éliminer leur candidat à la mairie de Dakar. Après le renvoi du procès après les Locales, le leader de Pastef accusait Macky Sall, lors d’une manifestation publique, d’utiliser la Justice pour rendre inéligible Dias, afin de lui arracher la mairie que les Dakarois lui ont donnée. «S’il (Macky Sall) arrache la mairie de Dakar des mains de Barthélemy Dias, nous allons lui arracher le Palais», menaçait Sonko. Dans une autre vidéo, le même Sonko mettait en garde Sall par rapport à sa volonté d’«arracher les mandats de Barthélemy Dias en tant que maire de Dakar et député à l’Assemblée nationale, par l’instrumentalisation de la Justice». Il disait que ce sont les Dakarois qui avaient mûrement réfléchi avant de choisir Dias, malgré l’accusation d’assassinat qui pesait sur lui. Donc pour Sonko, dès l’instant que le maire de Dakar est un «choix du peuple de Dakar» qui en a fait son maire et son député, nul n’a autorité pour remettre en cause cela. Pas même la Justice.
Ensuite, comment un nommé par un décret (le Préfet) peut-il démettre quelqu’un qui est élu au suffrage universel direct ? En d’autres termes, le président de la Cour suprême peut-il «constater» la démission du président de la République ? Tous les spécialistes du Droit des collectivités territoriales disent que le Code électoral ne devrait servir de prétexte dans le cas de Barthélemy Dias pour le démettre. En l’espèce, c’est le Code général des collectivités territoriales qui est compétent pour révoquer un maire. Et ce, par décret présidentiel, après rapport du ministre en charge des Collectivités territoriales en cas de fautes graves ou de condamnation pour crime.
Et que dire enfin de l’installation du maire par le Préfet, qui a convoqué une «session extraordinaire» en violation manifeste des dispositions légales régissant la procédure de remplacement du maire, telles que prévues par le Code général des collectivités territoriales (Cgct). En effet, l’élection du maire usurpateur s’est tenue hors session ordinaire, alors que l’article 137 alinéa 2 du Cgct est très précis : «A la session ordinaire suivante, il est procédé au remplacement du maire définitivement empêché.» Il est clair que ce texte prévoit de manière claire que le remplacement du maire doit impérativement avoir lieu lors de la session ordinaire suivant la vacance du poste.
Dès lors, comment comprendre cet empressement à élire et installer Abass Fall alors même qu’un recours introduit par l’ancien édile, Barthélemy Dias, doit être examiné par la Cour suprême le 18 septembre ? Comment ne pas voir dans le tweet du président de la République félicitant l’ancien ministre du Travail, une forme de «pression», un «forcing» sur la Justice ? Dans un Etat de Droit, l’Exécutif doit être le premier à se soumettre au Droit.
La Justice ne doit pas accepter ce forcing du politique quand une procédure judiciaire est en cours. La violence politique de Pastef sera difficile à contenir pacifiquement. L’opposition va en arriver au point où elle finira par se radicaliser comme Pastef pour être sur le même pied. Ce sera alors la voie ouverte aux arguments de la violence, tels que le pays en a subi entre 2021 et 2024. Des politiciens risquent de se poser la question : pourquoi les empêcherait-on de reproduire les méthodes qui ont tant réussi à Pastef ?