Le Président Macky Sall avait demandé au gouvernement de finaliser le projet de Code pétrolier avant fin septembre. Mais pour Abdou Aziz Diop, président de l’antenne régionale «Publiez ce que vous payez» à Thiès, «cela pose problème parce que jusqu’à présent, la société civile n’a pas reçu la dernière mouture de l’avant-projet du Code pétrolier». Prenant le chef de l’Etat au mot, M. Diop et ses camarades, qui tenaient hier un atelier sur le Projet d’appui à la dissémination et au suivi des contrats miniers, gaziers et pétroliers, l’interpellent pour qu’il donne des instructions fermes au ministère du Pétrole pour qu’il puisse partager l’avant-projet avant qu’il ne passe à l’Assemblée nationale.
Quelle est la pertinence de l’organisation d’un atelier sur le Projet d’appui à la dissémination et au suivi des contrats miniers, gaziers et pétroliers ?
Nous sommes à Thiès pour ce premier atelier décentralisé de dissémination des conventions minières, pétrolières et gazières. D’abord, il faut rappeler le contexte. Dans l’ancien Code minier, il y avait l’article 66 qui garantissait les clauses de confidentialité. Donc, les conventions n’étaient pas accessibles. Mais la société civile s’est battue avec toutes les parties prenantes pour qu’elles puissent être levées parce que le Sénégal a adhéré à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie) qui est une norme internationale qui garantit la transparence. Malheureusement, dans le cadre des normes de l’Itie, il y avait des limites. La norme encourage la publication des contrats, mais elle n’est pas obligatoire. Une polémique s’était donc installée entre les politiques et nous avons saisi cette opportunité pour demander à l’Etat de publier toutes les conventions. Ce qui a été codifié dans le nouveau Code minier qui est récemment adopté. Maintenant, ces contrats sont accessibles. Mieux, le dernier Référendum stipule que les ressources naturelles appartiennent au Peuple sénégalais ; donc elles sont la propriété du Peuple. Malheureusement, faute d’informations, les populations ne peuvent pas exercer ce droit constitutionnel.
Que faut-il faire alors ?
A travers cette étude du Projet d’appui à la dissémination et au suivi des contrats miniers, gaziers et pétroliers qui est d’abord une revue critique de toutes les conventions minières, gazières et pétrolières, mais également une étude indépendante et objective et assortie de recommandations et de propositions de réformes, nous sommes dans le cadre de la réforme du Code pétrolier, parce que celui que nous avons est très obsolète et que le Sénégal a changé de paradigme. Nous sommes passés de pays demandeur à pays convoité. Ce qui fait que tout ce qui n’est pas dans le Code n’est pas applicable dans les conventions. Maintenant, la grande problématique, c’est le Code minier. Le président de la République a récemment appelé à de larges concertations autour de cette question, mais sur le dernier maillon de la chaîne de valeurs : «La répartition des revenus.» Alors que le premier maillon sur lequel nous réfléchissons ce matin, c’est l’octroi des licences et des contrats. Mais le cadre institutionnel du Sénégal, les contrats miniers sont gérés par le ministère des Mines et de la géologie qui demande l’avis du ministère des Finances sur les dispositions fiscales et douanières et en dernier ressort le président de la République approuve, contresigné par le Premier ministre. Donc l’Assemblée nationale, censée représenter le Peuple, n’est pas incluse dans ce dispositif, de même que le Comité national de l’Itie. Alors que dans les missions de ce dernier, l’octroi des contrats et licences fait partie de ces attributions. Malheureusement, tous ces acteurs ne sont pas dans ce cercle, ce qui fait que c’est un cercle un peu fermé. L’autre élément, c’est que le président de la République a appelé, dans le cadre de la révision du Code pétrolier, les Sénégalais à de larges concertations. Mieux, il a promis de faire des consultations décentralisées, ce qui suppose que toutes les 14 régions du Sénégal devraient être ciblées, parce que ce sont des ressources encore nationales qui ne sont pas des compétences transférées. Mais ce qu’on a entendu récemment, le Président dit que d’ici fin septembre, il veut que tout le processus soit bouclé. Cela pose problème parce que jusqu’à présent la société civile n’a pas reçu la dernière mouture de l’avant-projet du Code pétrolier. Et là, nous interpellons directement le président de la République, nous le prenons au mot pour qu’il donne des instructions fermes au ministère du Pétrole, pour qu’il puisse partager l’avant-projet avant que ça ne passe à l’Assemblée nationale, parce qu’on sait que c’est une Assemblée avec une majorité mécanique. Si la loi passe devant l’Assemblée, elle sera votée les yeux fermées, alors que ce sont des ressources qui appartiennent au Peuple. Tous les Sénégalais ont un droit de regard. Et les propositions de l’étude que Agis a bien faite sur ces contrats doivent être prises en compte, parce que ce sont des propositions de réformes très pertinentes.
Quelles sont ces propositions ?
L’une, c’est la disposition sur la propriété réelle, c‘est-à-dire les contrats sont rendus publics. Mais qui sont derrières ces contrats ? Qui sont les personnes physiques qui sont derrières ces entreprises à qui appartiennent ces contrats ? L’autre élément extrêmement important, si nous prenons le cas de Thiès, le contrat ou la convention qui lie l’Etat depuis 1958 à Taïba, actuelles Industries chimiques du Sénégal (Ics). En 1996, il y a la fusion entre Taïba et les Ics. La première convention qui a été signée, c’était sous le régime du Président Abdou Diouf en 1999. C’était une convention de 25 ans qui devrait expirer en 2024. Les Indiens sont revenus, ils ont renégocié sous le régime du Président Wade, en 2008, un autre contrat qui devrait expirer en 2033. Ce qui fait que les Ics seront présentes jusqu’à 2033. Et pis, elles ne payent aucune redevance à l’Etat du Sénégal ni aux collectivités impactées. Si vous faites le cumul, 98% sont des impôts d’Etat et 2% d’impôts locaux. Nous demandons la renégociation non seulement des Ics, mais de tous les contrats et conventions minières, gazières et pétrolières qui ne sont pas à l’avantage ni au profit des populations sénégalaises parce que le diagnostic a montré que la quasi-totalité des contrats sont à l’avantage des entreprises extractives et les populations sont lésées. Pis, elles vivent le paradoxe de l’abondance des entreprises qui gagnent des milliards de francs Cfa à côté des populations qui vivent dans l’extrême pauvreté. Et l’Etat du Sénégal qui n’en gagne pas grand-chose parce que nous ne sommes pas encore un pays minier. Même si on parle de découverte du gaz et du pétrole, le Sénégal n’est pas encore un pays minier, parce que le taux est très faible, c’est presque 2% du Pib, 6 271 emplois créés, 116 milliards de francs Cfa dans le budget de l’Etat. Alors que ces entreprises, si nous prenons simplement le cas de Ics, ont fait un chiffre d’affaires de 142 milliards de francs Cfa en 2016, Sabadola fait un chiffre d’affaires presque similaire, Gco (Grande côte operation : Ndlr), Dangote n’en parlons pas. Il faut donc que toutes les réformes pertinentes proposées dans le cadre du Code minier en cours soient prises en compte pour l’intérêt supérieur de la Nation parce que nous tendons à être un pays minier, gazier et pétrolier et ces ressources minérales peuvent être des leviers de développement durable, mais si elles sont bien gérées.
Quelles sont aujourd’hui les recommandations de votre coalition «Publiez ce que vous payez» ?
C’est le suivi des obligations contractuelles, c’est le vrai travail maintenant, après que les contrats ont été publiés et une revue critique faite. Et à ce niveau, nous avons une faiblesse majeure. Les structures dédiées pour le suivi sont dépourvues de ressources humaines et logistiques. Si je prends par exemple le cas des mines, Thiès est la première région minière du Sénégal avec plus de huit entreprises. Mais le chef du Service régional des mines, quelle que soit sa volonté, n’a pas les leviers ou les ressources nécessaires pour pouvoir faire ce travail de terrain et de contrôle systématique et inopiné de ces entreprises minières. Les citoyens peuvent également faire des suivis, mais ils ont des limites, ils ne peuvent pas accéder à ces entreprises. Les autorités aussi, la même chose. Et pour le pétrole, ce sera encore pire, parce que ce sera au niveau des plateformes. Et à ce niveau, il faut être un agent assermenté et avoir les ressources nécessaires pour pouvoir assurer le suivi, parce que ce qu’on remarque, c’est l’asymétrie de l’information à ce niveau. L’entreprise peut déclarer par exemple une production de 100 mille barils par jour avec un mode de répartition bien défini. Mais est-ce qu’on a au niveau du Sénégal aujourd’hui des personnes ressources qui sont aptes à pouvoir évaluer tout cela quotidiennement ? Ce sont des faiblesses qu’il faut corriger. Il faut que l’Etat puisse avoir les moyens nécessaires pour renforcer le personnel et les moyens logistiques de ses services, notamment les directions des Hydrocarbures, des Mines, du Contrôle et même les services régionaux déconcentrés.