Alassane Dramane Ouattara et la Côte d’Ivoire peuvent avoir le sourire. Les services du Fonds monétaire international (Fmi) ont validé, pour les autorités ivoiriennes, un accord au niveau des services sur la cinquième revue des accords au titre du Mécanisme élargi de crédit (Medc) et de la Facilité élargie de crédit (Fec), ainsi que sur la quatrième revue du Fonds pour la résilience et la durabilité (Frd). Cette avancée devrait permettre au pays de bénéficier, une fois les revues validées par le Conseil d’administration du Fmi, de deux décaissements d’un montant total d’environ 843, 9 millions de dollars dont 509, 5 millions de dollars pour les accords Medc/Fec et 334, 4 millions de dollars au titre du Frd. Soit environ 471 milliards F Cfa. Ce décaissement, la Côte d’Ivoire l’a obtenu parce que l’institution de Bretton Woods a salué les performances économiques remarquables enregistrées par le pays depuis le lancement du programme gouvernemental en 2023. Notamment une inflation maîtrisée autour de 1% en 2025, un déficit budgétaire réduit à 3% du Pib, soit la moitié de son niveau initial, et un déficit du compte courant estimé à seulement 1, 6% du Pib, contre plus de 8% en début de programme. La croissance économique, quant à elle, reste soutenue, avec une moyenne supérieure à 6% depuis deux ans. Le Fmi salue également la solidité des fondamentaux économiques ivoiriens et la résilience du pays face aux chocs externes. Pour les représentants du Fmi, ces résultats témoignent de l’efficacité des réformes engagées par le gouvernement, qui ont permis de renforcer la stabilité macroéconomique et d’améliorer la soutenabilité budgétaire du pays. De son côté, le gouvernement ivoirien a réaffirmé sa volonté de maintenir le cap des réformes économiques structurelles, en vue d’un développement plus inclusif et durable.
Pendant ce temps, au Sénégal, nous devons encore patienter pour espérer un accord avec le Fmi. En effet, le Sénégal rumine sa colère après que le Fmi a retardé le vote crucial d’un nouveau programme pour le pays. D’après l’agence Reuters, alors que Dakar espérait un dénouement rapide pour relancer son accès aux financements internationaux, le Fonds monétaire international (Fmi) a confirmé qu’aucun vote ne serait organisé ce vendredi sur la dérogation permettant de lever le gel des fonds. Si aucune décision immédiate n’est attendue, les sources citées par Reuters soulignent que les discussions progressent et qu’une dérogation pourrait être validée avant la fin de l’année. Cependant, une réunion formelle du Conseil reste indispensable. Un porte-parole du Fmi a précisé que la rencontre tenue ce vendredi 3 octobre 2025 «vise à informer les administrateurs sur la situation du Sénégal et sur les prochaines étapes de l’engagement, y compris le lancement imminent des discussions sur un nouveau programme soutenu par le Fonds».
Pourtant, le Sénégal a tout fait pour faire accepter au Fmi la situation dans laquelle les déclarations des plus hautes autorités, particulièrement le Premier ministre, ont fini de gripper une collaboration fluide. D’abord, le président de la République, le 26 septembre dernier, mettait la pression sur le Fmi, sans succès. «Nous poursuivons notre trajectoire, mais nous voulons que le Fmi presse […] le pas, pour que nous sachions sur quel pied danser avec lui, afin que les partenaires qui attendent son signal pour continuer à travailler avec le Sénégal sachent aussi à quoi s’en tenir», a déclaré le chef de l’Etat à New York, en marge de la 80e Assemblée générale des Nations unies, sur France 24.
Quelques jours après, l’ancien Président du Sénégal, Macky Sall, avait balayé d’un revers de main les accusations de «dette cachée». Lors d’une conversation avec Julian Pecquet pour «ACFrontPage» sur les perspectives économiques et sécuritaires de l’Afrique, Macky Sall a estimé que «c’est un sujet qui n’a pas de sens». «Une dette publique, on ne peut pas la cacher par définition. En effet, elle suppose un engagement de l’Etat vis-à-vis du bailleur. C’est un avis de la Cour suprême qui est requis pour chaque convention de dette internationale», dit-il.
Ce à quoi le ministre de l’Economie, du plan et de la coopération, Abdourahmane Sarr, a rappelé que le Fonds monétaire international devra présenter à son Conseil d’administration un cadrage macroéconomique rectifié. L’enjeu était de montrer la cohérence des données avant et après correction, et d’expliquer comment certains paiements effectués directement à l’étranger ou certains décaissements sur ressources extérieures ont pu être omis des statistiques officielles. Pour le ministre, la question de fond n’est pas de savoir si la dette existe ou non, mais d’affirmer que, malgré les anomalies constatées, la soutenabilité de la dette reste intacte. «Le service de la dette s’est toujours effectué sans difficulté, preuve que le Sénégal garde sa crédibilité financière», souligne-t-il.
Déjà, dans le propos du ministre Sarr, on remarque que le terme «dette cachée» a disparu du lexique officiel. Il est désormais remplacé par l’expression plus aseptisée de «données erronées». Ce glissement sémantique n’est pas innocent : il traduit une stratégie visant à atténuer la gravité d’une accusation lourde de conséquences politiques et économiques, en la diluant dans la technicité froide des statistiques. En effet, il n’est plus question de «dette non payée», ni de «dette dissimulée», mais de simples «paiements à l’étranger». Ce choix lexical, calculé, vise à détourner l’attention de la question centrale -l’intégrité et la transparence de la gestion publique- pour la recentrer sur un terrain plus flou, moins accusateur. Le terme «dette cachée» a disparu du narratif, maintenant on parle de données erronées.
Même avec le changement de lexique, le Fmi reste sourd à la danse du ventre de nos autorités. Le Fonds attend en effet plus du Sénégal. Particulièrement la certification des chiffres définitifs de la dette publique, le lancement d’une enquête sur les failles de gestion des finances publiques, le traçage des transactions liées aux dettes supposées dissimulées, en coordination avec la Justice, l’acceptation d’un audit technique sur la gestion budgétaire, même si celui-ci n’a pas besoin d’être achevé avant le vote. Ces mesures visent, selon le Fmi, à renforcer la gouvernance et la transparence, deux notions devenues centrales dans la coopération avec Dakar.
Ainsi, sans dérogation, le Sénégal ne pourra pas accéder à de nouveaux financements et pourrait même être contraint de rembourser les fonds déjà perçus dans le cadre du programme précédent. Une hypothèse redoutée à l’heure où l’Etat cherche à stabiliser ses finances, à soutenir ses programmes sociaux et à préserver sa crédibilité internationale. Car aller sans l’assistance technique et financière du Fmi, c’est conduire un véhicule sans feux, sans signal, sans marche arrière, aves des freins défectueux.
Tout ceci ne nous serait pas arrivé si le Premier ministre n’avait pas plongé le pays dans cette incertitude. L’on se rappelle que le chef du gouvernement, le 26 septembre dernier -date anniversaire du naufrage du bateau Le Joola !-, accusait le pouvoir sortant d’avoir maquillé les chiffres. «Le régime du Président Macky Sall a menti au Peuple, a menti aux partenaires, a tripatouillé les chiffres pour donner une image économique, financière et budgétaire qui n’avait rien à voir avec la réalité», disait Ousmane Sonko. Et dans notre chronique en date du 28 septembre 2024, nous disions : «Ce gouvernement, à commencer par son chef, se doit d’être plus sérieux. Il ne faut pas mettre la politique politicienne trop en avant, au risque de nuire à la crédibilité du Sénégal, avec des répercussions immédiates sur la notation du pays et sur les taux d’intérêt. En effet, l’une des premières conséquences de la déclaration du Premier ministre concernant la dette, est la réaction négative des marchés financiers, qui entraînera une dégradation de la notation de crédit du Sénégal. Cette baisse de la cote de crédit reflète une perte de confiance des investisseurs dans la capacité du pays à honorer ses engagements financiers. En conséquence, le Sénégal devra emprunter à des taux d’intérêt plus élevés sur les marchés internationaux, car les investisseurs exigeront une prime de risque plus importante pour compenser l’augmentation perçue du risque de défaut. Et quant aux remèdes proposés (réduire le déficit budgétaire et l’encours de la dette, accroître les impôts), ça va plomber la croissance, l’investissement et la création d’emplois. Ce n’est ni fameux ni ambitieux ! Ousmane Sonko n’aime décidément pas le Sénégal.»
Par Bachir FOFANA