La manifestation des féministes à la Place Baya de Saint-Louis est le signe d’un ras-le-bol généralisé des femmes de ce pays face à ces cas de violence qui se répètent. Mais là ou l’indignation et l’incompréhension atteignent leur comble, c’est face au silence des auto­rités. Durant cette dernière semaine pendant laquelle les meurtres se sont succédé, aucune autorité, ministres de l’Intérieur, de la Justice ou de la Femme, n’a daigné réagir. Pas plus que les religieux n’ont fait de khoutba sur la question. Le Président, si prompt à faire des tweets, s’est abstenu de prendre la parole. Une situation insupportable pour les associations de féministes. «Ça fait mal. On n’a vu aucune réaction des autorités. Pas un mot ! Ni la ministre de la Femme, ni le ministre de la Justice, encore moins le président de la Ré­publique ou les députés de l’Assemblée nationale. Aucun responsable n’a daigné dire le plus petit Massa. Une femme n’est pas un animal. Et encore, on ne traite pas les animaux comme ça», dénonce Coumba Touré. Pour la chercheure indépendante, Tabara Korka Ndiaye, «on est en train de jouer avec quelque chose de très dangereux et de lancer un message aux petites filles : vos vies ne comptent pas, s’il vous arrive quelque chose, l’Etat ne va pas vous protéger».

Alors même que l’indignation et l’inquiétude des femmes sont ravivées par ces cas de féminicide, une vidéo devenue virale est venue en rajouter une couche. Sur une terrasse, un jeune adolescent se livre à des violences inouïes sur une adolescente. La vidéo choque et l’auteur des faits semble n’être pas loin de commettre plus qu’un délit. Les nombreux partages et l’indignation de tous ont sans doute poussé les autorités judiciaires à s’autosaisir et lancer une recherche pour mettre la main sur le jeune bourreau. Mais il n’est que la face visible d’un immense iceberg.

Dans le cadre du Festival exclusivement féminin de Saint-Louis, Amina Seck, scénariste et auteure, a tenu un atelier d’écriture au Lycée des jeunes filles Hameth Fall. Au sortir de la séance, stupeur, étonnement et peur sont visibles sur son visage. «Je suis sortie dévastée de cet atelier», dit-elle. Avec une trentaine de jeunes filles des classes de Seconde, la séance a consisté à écrire une confession anonyme. «Les jeunes filles souffrent beaucoup dans leurs familles. Sur les 28 textes qui ont été lus de façon anonyme à la fin de la séance, on a tout entendu. Il y a eu un cas de viol, des agressions sexuelles, des coups et blessures qu’elles reçoivent chez elles. Pour certaines, elles ont été témoins des violences que leurs pères infligent à leurs mères. C’est atroce», raconte la femme de lettres. Ce cycle de violence démarre ainsi chez ces jeunes esprits. «Si on ne protège pas les filles, on ne protège pas les femmes, et vice versa. C’est une chaîne, les femmes sont en danger, les jeunes filles aussi», dit-elle.

Le silence de la société, celui des autorités politiques, c’est ce que dénonce Adama Sow. Le spécialiste en communication ne cache pas son désarroi face au sort réservé aux femmes et aux enfants dans cette société sénégalaise. «Depuis une dizaine de jours, chaque 48h, on a un féminicide, et aucune autorité publique ou même politique, des deux bords politiques, ne nous a fait sentir que quelque chose de grave se passait.» Ailleurs, des réactions fortes des autorités sont toujours observées en de pareils cas. Mais au Sénégal, ce sont silence et indifférence. «La ministre de la Famille n’a pas montré d’empathie du tout», soutient M. Sow.
Par Mame Woury THIOUBOU (mamewoury@lequotidien.sn)