Accusations de sévices sexuels envers ses talibés : LA DÉFENSE DE SERIGNE ISSA TOURÉ

Cité dans une affaire de violences sexuelles avec des récits accablants des présumées victimes ressemblant à un drame collectif, le guide religieux Serigne Issa Touré traverse un moment crépusculaire. Sa famille tente de se battre pour essayer de préserver son image chahutée par ces accusations «infamantes». Qui est cet homme considéré en fuite ? Par Bocar SAKHO –
Au cœur d’un incroyable fait divers, Serigne Issa Touré est porté disparu depuis plusieurs semaines. Faisant face à une série d’accusations de viol et de pédophilie, le marabout est porté disparu pour éviter une arrestation. Serigne Issa Touré fait face à de terribles accusations qui salissent sa réputation. Une œuvre jetée à la poubelle ? Sa famille est «outrée» et scandalisée par autant de charges. «La famille a été choquée par ces atrocités. Le plus difficile, c’est que ce sont des gens que nous connaissons et qui, il y a à peine 5 mois, tenaient des paroles élogieuses à son égard, mais aujourd’hui sont à l’origine de ces accusations en disant que cela a commencé en 2013. C’est infâme», assure le porte-parole de la famille. Des affabulations avec des accusations aussi certifiées ? «Bien sûr, ce sont des affabulations, de la pure manipulation et une campagne de diabolisation orchestrée par des personnes malveillantes. Je vais vous dire, il y a plusieurs incohérences dans les témoignages des plaignants. D’ailleurs, un des plaignants disait, il y a moins de trois mois, que ces accusations sont un complot et que lui-même porterait plainte contre la personne qui est aujourd’hui sont co-plaignant. Sur plus de 500 personnes ayant séjourné chez le marabout, seules cinq personnes l’accusent et, croyez-moi, ces personnes ne sont pas fiables. D’ailleurs, elles ne disent même pas la vérité sur leur propre parcours», ajoute Gora Touré.
Le Touré joué !
Pour la famille Touré, Serigne Issa n’est pas un «maître coranique qui encadre des enfants». «C’est un guide religieux qui éduque et oriente des personnes majeures», s’empresse-t-il de préciser. Même s’il y a un daara dans sa maison à Sangalkam. «Celui-ci est relativement récent et les pensionnaires n’ont aucun contact avec Serigne Issa, excepté les moments de prières. Ce sont d’autres personnes, souvent ses disciples, qui dispensent les cours. Mais globalement, le marabout entretenait des relations de paternité avec la plupart de ses talibés. Il est réputé être un marabout qui donne de l’argent à ses talibés. Lors d’événements religieux et de moments de fortes dépenses, il était un soutien financier de premier plan envers les familles de ses talibés. Depuis des années, il a formé, éduqué et orienté des centaines de jeunes dont les débuts n’étaient pas prometteurs, et les a remis dans le droit chemin. D’ailleurs, l’un des piliers de cette campagne de diabolisation, c’est le marabout qui l’a accueilli alors qu’il n’avait nulle part où aller. Il avait été expulsé par son père. C’est Serigne Issa lui-même qui l’a amené à Bouchra, contrairement à ce qu’il raconte. La plupart des jeunes qui résident chez lui suivent des formations ou sont scolarisés. C’est cette capacité à éduquer que les parents connaissent en lui, qui a fait que depuis l’établissement de son champ à Sangalkam en 2009, des centaines de jeunes y sont passés et sont aujourd’hui exemplaires dans leurs familles et leurs quartiers. Il discutait avec les jeunes avec humilité, les accompagnait à surmonter les difficultés de la jeunesse. Ce n’est pas pour rien qu’on dit de lui qu’il est le marabout de la jeunesse», peint-il ainsi son père. Pour la famille, c’est un combat pour préserver l’image du pater familial «irréprochable». «L’ensemble de la famille de Serigne Issa Touré nie ces accusations en bloc, et va user de tous les moyens de Droit pour que la Justice éclaircisse cette affaire et débusque les personnes odieuses qui utilisent ces jeunes perdus et pressés pour mener des guerres de clans. D’ailleurs, les sorties répétées de certaines personnes qui en ont profité pour verser leur haine qu’elles cachaient bien, ont fini de lever les soupçons. C’est clair, c’est un complot», assure-t-il. Et il note qu’il «reste maintenant à la Justice de faire son travail». Comment ? Où est-il ? Car il est en fuite depuis l’éclatement de cette affaire. «Fuite ? Serigne Issa Touré n’est pas en fuite. Je souhaite surtout faire une précision sur la vidéo présentée sur les réseaux, faisant état d’un message écrit «magui dem assamane». En réalité, rien ne prouve qu’il l’a écrit. Nous avons trouvé ce message en même temps que tout le monde. Nous n’avons aucune certitude que c’est son écriture», explique Gora Touré, son fils. Lui voit une dimension mystique dans cette affaire. Il dit : «S’il était vrai que c’est son écriture, cela ne nous aurait pas surpris. Les personnes qui l’ont connu savent ce dont le Bon Dieu l’avait gratifié. Cela prouverait qu’il a décidé tout simplement de préserver sa dignité et sa grandeur, et encore une fois de faire preuve de pardon en ne tombant pas aussi bas. Le Sénégal dispose d’une police et d’une gendarmerie compétentes. Pensez-vous qu’une personne aussi célèbre et connue que Serigne Issa puisse être en fuite sans qu’il soit retrouvé depuis plus de deux semaines ? C’est difficile à croire pour les personnes qui ne le connaissent pas. Mais cela ne me surprend pas. Ce n’est pas la première fois que cela se produit. C’est métaphysique, ce n’est pas de l’ordre de la logique.» Il poursuit : «S’agissant des enquêteurs, nous n’avons rien à cacher. Nous soutenons la gendarmerie et la police dans leurs recherches, et nous nous tenons à leurs côtés pour leur communiquer tous les éléments à notre disposition.»
Aujourd’hui, le daara est fermé, des projets sont en suspens. «Depuis la Tabaski, le marabout a informé les parents d’élèves que le daara n’allait pas rouvrir après les vacances. Un institut islamique devrait être édifié sur les lieux et les travaux devraient commencer. Cependant, il y a toujours de grands talibés dans le daara de Noflaye», annonce Gora Touré. Cette affaire n’a pas érodé les relations de confiance avec les autres parents de talibés ? «Je voudrais en profiter pour adresser mes remerciements à l’ensemble des parents d’élèves et des talibés qui partagent avec nous ces moments. Ils ne cessent de renouveler leur confiance au marabout et de dénoncer avec hargne ces accusations. Le voisinage est aussi de tout cœur avec la famille», souligne Gora Touré.
Il a eu un parcours complexe avant de se retrouver dans cette situation. Serigne Issa Touré est né en 1954 à Kelle, village situé à neuf kilomètres au nord de Ngaye. Il y a suivi un cycle élémentaire et est parti à Thiès pour une formation en menuiserie métallique. Après l’obtention de son diplôme, il retourne à Kelle où, pendant longtemps, il a pratiqué le maraîchage. Il était même devenu président de l’Association des maraîchers de la localité et environs. C’est en 1968, à l’âge de 14 ans, qu’il est présenté à El Hadji Abdou Aziz Sy Dabakh par son grand frère Babacar Touré, ancien cadre de l’Oncad. Après cette rencontre, selon les témoignages de sa famille, il noue une relation particulière avec Serigne Issa. Il l’initie à la Tarikha Tidianya à ses 18 ans, l’élève au rang de Cheikh à ses 22 ans et lui octroie sa deuxième Idiaza à ses 33 ans. C’est en 1994 qu’il lui octroie une dernière Idiaza. «Ses gratifications ont été reconnues et accentuées à l’avènement de Serigne Mansour, qui lui a conféré le grade ultime du tarikha Cheikh avec un Idiaza itlakhoul itlakh. C’est ainsi que sa renommée est devenue internationale, notamment avec la création des «Dahira Sope Naby» dont il est le responsable moral et le fondateur. Il a toujours eu un rôle important dans la propagation de la tarikha tidiane auprès de la jeunesse, ainsi que dans la vulgarisation des wazifas et des khadaras populaires. D’ailleurs, il est à l’origine de la première Mbalane de wazifa de 100 mètres à l’occasion des 100 ans du Gamou de Tivaouane. Il n’a jamais cessé de travailler et de mener des activités agricoles, à côté de son rôle de pilier de la tarikha tidiane, notamment à Sangalkam où il avait des champs et son daara», témoigne la voix de la famille Touré.
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