Elles auraient été toutes les deux victimes de viol mais leurs cas n’ont pas été gérés de la même manière. Si la miss Sénégal 2020 a bénéficié du soutien de plusieurs organisations ouvertement, ce ne fut pas le cas pour Adji Sarr qui a accusé l’homme politique Ousmane Sonko de viol. Retour sur ces deux cas de viol qui ont secoué le pays cette année à côté de plusieurs cas anonymes.Par Dieynaba KANE

– L’année 2021 a aussi été marquée par des violences sexuelles. Malgré l’entrée en vigueur de la loi criminalisant le viol depuis deux ans, des cas de viol ont encore occupé l’actualité. A l’image de ce qui se passe dans le monde avec le mouvement Me-too, au Sénégal aussi on a assisté à une série de dénonciations. La plus récente est celle de la miss Sénégal 2020. La mère de Ndèye Fatima Dione avait révélé que sa fille a été victime de viol suivi de grossesse quelques mois après son sacre. Elle avait même soutenu que le Comité d’organisation de Miss Sénégal avait une responsabilité dans cette affaire. A ce propos elle avait déclaré : «La seule chose que nous savons, c’est que Fatima est tombée enceinte après son couronnement. Nous ne souhaitons accuser personne, mais une chose est sûre, avant de découvrir sa grossesse, elle était avec un membre du comité d’organisation de Miss Sénégal. Habituellement, lors­que les organisateurs avaient besoin d’elle, ils la faisaient rester à l’hôtel, mais avant son voyage au Maroc, elle a été emmenée dans une maison et nous ne savons pas pourquoi.» Des propos qui ont fait réagir la présidente du Comité d’organisation de ce concours de beauté, Amina Badiane. Cette dernière, lors d’une conférence de presse, a rétorqué que «si miss Sénégal 2020 a été violée, c’est qu’elle l’a bien cherché, étant donné qu’elle est majeure». Des propos qui ont suscité le tollé sur les réseaux sociaux. Les excuses présentées par la suite par Mme Badiane n’ont pas empêché les organisations, qui luttent contre les violences faites aux femmes comme Daffa­Doye, d’appeler à des actions fortes pour clarifier cette question. Elles ont ainsi appelé à la dissolution du comité d’organisation de Miss Séné­gal.
De son côté, la plateforme Ladies Club avait lancé une pétition pour demander «le retrait immédiat de la licence d’exploitation et la dissolution de ce comité qui fait clairement, par la voix de sa présidente, l’apologie du viol». Le 24 novembre, des femmes, toutes vêtues d’orange, se sont rassemblées à la Maison de la presse après avoir déposé plus de 200 plaintes auprès du procureur contre Amina Badiane pour apologie du viol. Soute­nant qu’elle a été victime de diffamation dans cette affaire, Amina Badiane a elle aussi porté plainte contre Mamico de Femme chic et contre X pour dénonciations calomnieuses, mise en danger de la vie d’autrui et diffamation. Pour rappel, Mamico du groupe Face­book Femme chic, avait organisé un live lors duquel de graves accusations ont été proférées à l’encontre de la présidente du comité Miss Sénégal qui ne serait pas de «bonne moralité». Depuis ces plaintes interposées, l’affaire n’a pas trop évolué et la miss Sénégal 2020 et sa mère, qui avaient donné l’information, se sont murées dans le silence laissant les organisations féminines portées le combat.
Si Fatima Dione a bénéficié de ce soutien, cela n’a pas été le cas pour Adji Raby Sarr qui avait accusé en mars dernier Ousmane Sonko de viol. Contrairement à miss Sénégal, Adji Sarr, elle, a été presque vouée aux gémonies. Une situation qui l’a conduite à se cacher. La fille masseuse dans un salon est accusée d’être à l’origine d’un complot politique contre Ousmane Sonko. Donc sur les réseaux sociaux, Adji Sarr n’est pas la victime mais la coupable qui a accepté d’être manipulée par les adversaires de l’opposant au régime du Président Macky Sall. Même les organisations de lutte contre les violences faites aux femmes ont eu une réaction timide. Pourtant, dans de pareilles situations, elles sont toujours les premières à monter au créneau pour apporter leur soutien à la présumée victime et exiger que justice soit faite. Lorsque Adji Sarr a porté plainte contre Ousmane Sonko pour viol, c’est seulement le Collectif pour la promotion et la protection des droits des femmes et des filles qui a communiqué publiquement pour s’inquiéter du sort de la jeune femme. Dans leur document, les membres dudit collectif avaient constaté pour le déplorer que «l’attention est plus tournée vers le présumé auteur que vers la présumée victime, et que des tentatives de décrédibilisation de sa parole vont même jusqu’à porter atteinte à sa dignité». Dès la publication de ce communiqué, le réseau Siggil Jigéen s’est démarqué soutenant que «ses 18 organisations membres ne sont en aucun cas concernées de près ou de loin par ce communiqué qui n’engage que ses auteurs». L’Association des juristes sénégalaises, prompte à porter ce genre combat, n’avait pas réagi pour apporter son soutien à la présumée victime. Pour expliquer ce mutisme, Yoro Dia faisait savoir dans sa chronique «Balises» que «les féministes du pays de la Téranga et de la parité avaient une grande cause, mais ont déserté à cause de la terreur intellectuelle ou du caractère infranchissable du mur de la notion du complot politique qui nous déconnecte du bon sens et des grands principes». Selon lui, «à l’ère et l’heure de Me Too, nos féministes ont manqué d’audace».
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