«Actualité brûlante» 320 structures médiatiques out !

In limine litis, c’est-à-dire avant tout examen au fond, et sans aucune idée de comparaison, j’emprunte ce titre au morceau éponyme du musicien reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly qui, dans son dernier album dédié aux médias des pays de l’Alliance des Etats du Sahel, exprimait une profonde préoccupation par rapport au sort qui leur est réservé.
La décision prise par le ministre de Communication, des télécommunications et du numérique du Sénégal, loin d’entrer dans le sillage de cette vague répressive qu’on connaît ailleurs, n’emprunte pas moins le chemin du parfait contre-exemple de ce qu’il convient de faire en de pareilles circonstances. Par violence de la méthode, l’autorité de tutelle est en train de saborder une ambition extrêmement généreuse, et d’ailleurs partagée, non pas d’assainir, comme le prétendent certains, mais de donner une claire visibilité dans le champ médiatique qui, par la magie de l’évolution technologique, met à la portée de tous et de chacun, les outils de production et de diffusion de l’information, créant du coup une sorte de scène de bal masqué. Dans les années 90, on parlait déjà de convergence, dès lors que sur une même plateforme, on avait à la fois l’écrit, le son et l’image, aujourd’hui, on est dans le digital et l’Ia, avec une autre perspective, où il est plutôt question de réguler intelligemment, en mettant tout le monde et chacun, en face de ses responsabilités, que de contrôler.
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A la limite, on a besoin d’une régulation intelligente qui rend complètement inutile toute velléité de contrôle, de restrictions, voire d’exercice de la police des médias, car la liberté de presse, comme celle d’expression, quoique consacrée, n’en est pas pour autant illimitée, et donc sujette à des dérogations quant à son exercice, pour des raisons d’ordre publique, de sécurité et de moralité publique. En revanche, elle proscrit la censure, le délit d’opinion et toute autorisation de parution, et last but not least, elle inscrit le régime déclaratif comme sa pierre angulaire.
Pourquoi donc s’aventurer dans une limitation qui ne dit pas son nom. C’est un non-sens de vouloir administrer la presse, ou du moins dans sa version la plus répressive, alors qu’on attendait plutôt la mise en place d’un cadre dont il faut regretter aujourd’hui l’absence de l’organe central que devait être l’Harca (Haute autorité de régulation de la communication audiovisuelle).
La tutelle aurait dû simplement se contenter de tenir le répertoire des médias qui respectent leurs cahiers des charges, qui se soumettent régulièrement à l’obligation du dépôt légal… etc., et le reste, le confier à l’autorité de régulation et aux juridictions qui, jusque-là, font leur job.
Rien que dans la démarche, on voit une violence symbolique digne d’un Etat policier (que Dieu nous en préserve), à travers la notification qui avait été faite aux plus de 300 médias sommés d’arrêter toute activité, par le canal de la Direction de la surveillance du territoire (n’a-t-elle pas autre chose à faire ?) et, s’il vous plait, sur convocation. On n’est pas dans la grande délinquance que je sache ! On rêve là ! L’administration dispose de règles et procédures que le droit administratif aménage allègrement lorsqu’il s’agit de notifier des décisions administratives individuelles faisant grief, qui plus est, les concernés sont domiciliés et ont une adresse fixe, par conséquent joignables. Pourquoi toute cette frénésie, cette précipitation ? Où est l’urgence ? A qui veut-on donner des gages ?
Par cette façon de faire, le ministère de la Communication est en train d’administrer la preuve parfaite d’un excès de zèle qui nuit à une ambition somme toute pertinente et saluée de tous, qui rappelle de sinistre mémoire le ministère de l’Information. Tant il est vrai que dans le secteur des médias, la pluralité devrait être synonyme de pluralisme par les contenus et les voix portées, discordantes ou non, bref de débat, la sève nourricière de notre démocratie qu’on nous envie à l’extérieur.
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Par cette attitude, le ministère ignore une réalité brûlante que dicte la nouvelle donne du digital et de l’internet, qui fait qu’un organe même interdit au Sénégal peut se déplacer sur le Net. La suspension de Walfadjri est un exemple patent d’un abus qui a pu être contourné par l’ingéniosité des professionnels des médias.
Il faut arrêter cette spirale arithmétique qui impose un décompte anxiogène de médias «délinquants» simplement parce que l’on exige parcimonieusement le respect des dispositions du Code de la presse.
Justement, même en s’appuyant sur ledit code, le ministère outrepasse ses prérogatives telles que stipulées par le décret 2024 -953 du 08 avril 2024. (Relisez-le). Sans anticiper sur la prochaine décision de la Cour suprême, il serait préférable que cet arrêté soit purement et simplement retiré avant de subir le désaveu quasi certain de la Cour.
Le Sénégal ayant adhéré à tous les instruments internationaux qui consacrent le régime juridique de la liberté de presse, qui consacre :
Le régime déclaratif. Le propriétaire fait une déclaration avec l’identité des principaux responsables et adresse, qui doivent figurer dans «l’Ours» du journal avec une obligation d’effectuer le dépôt légal avant toute parution, auprès des services dédiés dont celui logé au ministère de l’Intérieur. Autrement dit, ce régime exclut tout cautionnement ou autorisation préalable à la création d’un organe. Son texte fondateur date de la loi française de 1881.
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L’absence de censure.
Et l’absence de délit d’opinion.
Lorsqu’il s’agit de l’audiovisuel, ce sont les cahiers des charges, y compris pour les radios communautaires, qui imposent un certain nombre de droits et devoirs, avec à la clé une convention avec le ministère de la Communication et qui sont évalués périodiquement et à quelques exceptions, sont toujours renouvelés tacitement.
Que le ministère veuille, dans un souci légitime, mettre plus de rigueur dans la création et dans le fonctionnement de l’espace médiatique, c’est bien entendu ce qu’on lui demande, mais dans le cas d’espèce, cette frénésie et cette précipitation sont difficilement compréhensibles. La publication de la première liste a donné lieu à une situation très cocasse où l’on retrouve des organes qui existent depuis plus de 10 ans, qu’on déclare non conformes. Sous quel régime ? C’est là que véritablement j’ai une grande préoccupation, en ma qualité de militant de la liberté de presse pendant près d’un quart de siècle au Sénégal et en Afrique. Il me semble que ce nouveau régime doit être aidé, mais dans la vérité. Et là, je crois que même ceux qui s’abstiennent de s’exprimer sur la question pour des raisons qui leur sont propres, savent que la démarche doit être revue, et des pistes existent, il faut les explorer. Je comprends parfaitement certains vétérans et autres acteurs de la presse ayant pris part à l’élaboration du Code de la presse !
A-t-on voulu par ce code réinventer la roue de la presse, des médias ?
Comment ont-ils pu produire un document aussi liberticide et sectaire ? On pourrait en débattre point par point ? Est-ce qu’on a pris la peine de définir l’entreprise de presse au moins de manière claire et précise ? A mon avis, non. Est-ce parce que ce code a mis du temps à être mis en œuvre, que du coup il est devenu obsolète ? Peut-être. Il faut sans délai le revoir, et l’initiative doit venir du ministère de la Communication pour engager résolument un retour à la sérénité, car on ne peut légiférer indistinctement pour la radio, la Tv (toute déclinaisons), la presse en ligne ou sur papier, nationaux ou étrangers.
Que l’on soit bien clair sur ce point, il n’est nullement question de maintenir le statu quo, c’est la démarche qui pose fondamentalement problème et qui rend suspectes les mesures prises par le ministère.
Mamadou NDAO
Juriste expert en Communication
Ancien Assistant Juridique, chargé de recherche
de l’Union des Journalistes de l’Afrique de l’Ouest
Ancien Correspondant de Reporters Sans Frontières
Diplômé des Universités de Paris 1 Panthéon Sorbonne et Montpellier 1