Adapter la décentralisation à l’émergence économique pour la création d’emplois décents

Contexte
La pandémie de Covid-19 a perturbé les équilibres macroéconomiques du pays et favorisé un climat délétère et tendu qui a retardé la reprise économique. Cette situation a favorisé des pertes considérables de revenus au niveau des ménages, entraînant des tensions sociales et financières sans précédent. Sans tarder, le chef de l’Etat a pris de mesures exceptionnelles pour atténuer les effets sur la population.
C’est en période de crise qu’il faut mobiliser toutes les intelligences pour trouver des solutions aux problèmes. L’Etat a l’obligation d’organiser la recherche et la réflexion pour repenser notre système politique, social et économique. Il est temps d’évaluer rapidement la pertinence des politiques publiques telles que celle de la décentralisation (gouvernance et ressources financières allouées). Un Etat est fait pour résoudre des problèmes complexes. Par exemple en 1918, le monde avait connu la grippe espagnole avec plus de 40 millions de morts en quelques mois ; l’expertise était mobilisée pour trouver les facteurs de virulence et les stratégies d’une reprise économique.
Je suis conduit à me poser deux questions fondamentales concernant l’adaptation de notre politique de décentralisation aux exigences de l’émergence économique et sociale.
Premièrement, a-t-on une gouvernance de qualité pour constituer le fondement d’une émergence économique et sociale afin de vaincre progressivement l’extrême pauvreté dans les collectivités territoriales ?
Deuxièmement, les compétences transférées et les ressources financières peuvent-elles produire des moteurs de croissance et une économie de la connaissance afin de réduire les inégalités sociales et les iniquités tout en créant des emplois décents ?
En mode d’accélération, un Etat doit avoir deux leviers à sa disposition : l’un est un mouvement d’idées pour se remettre en cause à chaque instant, l’autre est une puissance d’analyse pour résoudre les problèmes dans les plus brefs délais.
La loi n°2013/10 portant Code général des collectivités locales est une réforme historique qui vise la refondation de la gouvernance territoriale. Le chef de l’Etat exprime sa volonté de créer des territoires viables, porteurs de croissance. Etant l’initiateur de cette réforme, il reste toujours ouvert pour son amélioration afin d’atteindre les objectifs fondamentaux. Dans l’exposé des motifs de l’Acte 3 de la décentralisation, il est bien précisé qu’il s’agit «d’organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable».
Il est question maintenant de bien comprendre le contenu de cet objectif général pour éviter des échecs successifs dans le processus de mise en œuvre de cette volonté politique. Arrêtons-nous un peu pour évaluer et analyser en toute objectivité avant d’entamer la deuxième phase !
Dans la première phase, le département est institué en collectivité territoriale et toutes les communautés rurales élevées en communes. Aujourd’hui, il est question de promouvoir la croissance économique des territoires en intégrant les principes du développement durable pour une meilleure qualité de vie. En d’autres termes, il faut créer la richesse pour vaincre le chômage et la pauvreté au lieu de perdre du temps pour l’accession au pouvoir local. L’heure n’est pas à la concertation électorale pour des positions de faveur, elle est au débat territorial pour réajuster les options afin d’avoir un avenir radieux pour les populations. Ayons ensemble le courage de dépolitiser les options retenues pour mieux servir le peuple !
Les goulots d’étranglement
Ils sont nombreux et multiformes. Ils sont tantôt créés par les dispositions administratives et juridiques tantôt par des acteurs mal préparés. Donc, nous constatons une responsabilité institutionnelle et humaine. Nous allons citer quelques-uns parmi tant d’autres :
Les organes des collectivités territoriales ne répondent souvent pas aux exigences d’une institution de qualité.
Les acteurs n’ont souvent ni l’ingénierie territoriale ni la capacité de maîtriser le savoir pour relever les défis.
Les moyens financiers considérables alloués n’ont pas permis de créer des moteurs de croissance.
Le dispositif territorial est souvent incapable de créer des dynamiques pour résoudre des problèmes tels que le chômage et la pauvreté. Le trop-plein de personnel politique bloque le système d’innovation et entrave son bon fonctionnement.
Les territoires ressemblent à des champs de bataille politique au lieu d’être un lieu où se réalisent des projets générateurs de croissance économique.
Beaucoup d’acteurs locaux entraînent leurs populations dans des conflits fonciers à cause des pratiques illégales…
Il est préférable de mener une étude approfondie sur la gouvernance des collectivités territoriales avant de se précipiter pour reproduire un système défaillant. Un grand débat territorial avec des spécialistes est d’actualité.
Quelques indications pour traiter ces goulots d’étranglement
D’abord nous suggérons d’adopter une stratégie systémique pour mieux analyser les blocages et de dépolitiser le travail à faire pour servir efficacement les populations concernées en créant de meilleures conditions de vie. Nous pensons pouvoir partager les indications suivantes :
Remplacer les organes de gouvernance territoriale par des conseils d’orientation nommés et composés de spécialistes, universitaires, entrepreneurs et toute personne capable d’apporter une valeur ajoutée à la construction territoriale. Il s’agit d’une refonte de dispositions juridiques et administratives.
Intégrer le numérique et les politiques climatiques dans les stratégies territoriales. C’est une anticipation pour relever les défis futurs.
Avoir des acteurs capables d’ajuster la politique territoriale à l’émergence économique. A ce niveau, il faut voir non pas le statut de l’élu, mais faire un reprofilage. Victor Ndiaye, président de Performance group définit l’émergence ainsi : «C’est arriver à valoriser de façon optimale les facteurs dont un pays dispose pour sortir ses populations de la pauvreté et améliorer de façon significative et durable leur niveau de vie.»
Mettre en place des pôles de compétitivité pour rendre le territoire attractif et compétitif. Il faut détecter et mobiliser toutes les compétences nationales pour construire un modèle performant. Seuls les pôles sont capables de créer des activités génératrices de revenus.
Avoir une rigueur dans l’utilisation des deniers publics et une culture de la transparence et redevabilité.
En conclusion, c’est le moment de beaucoup travailler, car les défis sont énormes et difficiles : une pandémie avec des milliers de morts, plus de 800 millions vivent en situation d’extrême pauvreté, une crise migratoire est persistante suivie d’une insécurité galopante. Il faut un sens élevé de la responsabilité, car les défis mondiaux sont de taille dans le monde. Une élection n’est importante que lorsqu’elle sert à changer positivement les conditions de vie des populations ; le jeu démocratique n’a de sens que lorsqu’il permet d’améliorer sans cesse le cadre de vie.
Alpha YOUM
Spécialiste de gestion publique et droit social
Président d’Apc
alfa.yum.fama@gmail.com