Quels mots utiliser pour un orfèvre des mots ? Quels termes utiliser pour ne pas raviver la douleur créée par le vide laissé par celui qui ne savait qu’essaimer rire et bonne humeur autour de lui ? Soro Diop était un homme à multiples facettes. Mais aucune d’elles ne cache la tristesse et le ressentiment. En toutes circonstances, il était le même. Ouvert et jovial, même dans ses excès Soro Diop aimait la philosophie, cela se voyait dans ses textes. Mais il aimait encore plus le journalisme. Il avait, avec l’information, cette relation charnelle du journaliste qui est convaincu de détenir seul une information, ou à tout le moins, de pouvoir présenter un angle de traitement d’une information qui lui est propre et qui en fait un élément de jouissance.

C’étaient alors ces moments où il allumait sa cigarette et se faisait une tasse de café. Et il partageait son info avec un rire communicatif. Pendant une bonne période, il a été de ceux qui faisaient le pouls de la Rédaction. Il a été de l’aventure du journal Le Quotidien quasiment dès le premier jour. D’abord sous la férule de «Vieux» Ibrahima Sakho au desk politique du journal, un autre que la mort nous a également arraché trop tôt, Soro a naturellement pris la relève de ce dernier, sans un hiatus. Il a dans ce desk, fait de la place à des gens comme Latir Mané, Barka Ba, Fadel Barro, Aliou Sané, Momar Dieng, et autres Aïssatou Laye, et j’en passe. Dès ses premiers jours, à partir de début 2003, de concert avec d’autres plumes du journal, Soro Diop a contribué à soulever une tempête qui a, par moments, fortement secoué le landerneau politique sénégalais.
Son éloquence et parfois, sa… grandiloquence, avaient le pouvoir de gommer l’aspérité de certaines vérités qu’il distillait dans les Minerves de sa page politique, et après, bien souvent, à travers le Sucré Salé de la lucarne du journal, à la Page 2.

Mais son ironie n’était pas réservée qu’au monde politique ou à la société. En bon journaliste, Soro Diop pratiquait très souvent l’auto-dérision. Ainsi, même s’il aimait, comme beaucoup de confrères, s’habiller sobrement, il ne dédaignait pas le costume-cravate, et même les grandes marques. Et quand dans la rédaction, on le félicitait pour sa belle tenue, il répliquait systématiquement : «C’est pour tromper le monde, et faire croire que j’ai de l’argent.» Et comme toujours, dans un gros éclat de rire, il ajoutait : «Boy, quand je suis aussi chic, c’est que les temps sont durs !» On ne lui faisait pas remarquer que les temps étaient alors souvent durs, parce qu’il se négligeait rarement. Ses rapports avec les confrères étaient très souvent empreints de respect mutuel, mais aussi de générosité. Soro aimait partager. Ses connaissances, son carnet d’adresses, et son repas. Et il avait le sens de l’amitié. Malgré les années passées, chaque jour il partageait des messages sur WhatsApp, pour souhaiter des vœux à des amis et à des connaissances. Cela, en dépit du temps et de la distance. Parfois, je me plaignais qu’il remplissait la mémoire de mon téléphone. Mais depuis hier, après une seule journée sans recevoir ses messages rituels, je sens déjà l’absence, et je me dois de lutter pour ne pas –déjà- sombrer dans le spleen et la nostalgie. Soro Diop avait eu aussi d’autres vies, à côté du journalisme. De certaines, il a tiré des surnoms dont seuls des initiés pouvaient deviner le sens caché. Le Quotidien en a connu quelques-uns. D’autres seront emportés avec lui. Cela ne nous empêchera pas de souhaiter à notre ami «Tonton Mansour», un bon séjour auprès de Son Créateur. Que la terre de Kanel lui soit légère !
Par Mohamed GUEYE  – mgueye@lequotidien.sn