Yoro DIA

– Dans le fameux livre Cavaliers sous la bannière du prophète, qui est devenu à l’islamisme ce que le Capital de Marx est au marxisme, l’Egyptien Ayman al Zawahiri, l’éminence grise d’Al Qaeda, explique comment les moudjahidines, à l’instar de leurs glorieux prédécesseurs de la génération du Prophète (Psl), devaient détruire les «deux empires». Les musulmans des premières générations avaient réussi à venir à bout des empires, à savoir l’empire perse et l’empire byzantin. La nouvelle génération, sous l’impulsion d’Al Qaeda, devait aussi détruire les deux empires qui leur sont contemporains, pour un nouvel ordre mondial où l’islam serait mieux représenté.
Al Zawahiri et les jihadistes, qui sont convaincus qu’ils sont à la l’origine de la destruction de l’empire soviétique, dont le déclin a commencé en Afghanistan, pensaient qu’il fallait maintenant s’attaquer à l’autre empire : les Etats-Unis ; d’où les attentats du 11 septembre et la stratégie d’attirer les Etats-Unis en Afghanistan. Zawahiri est certes un grand intellectuel, mais comme beaucoup de penseurs il prend des rêves et ses illusions pour des réalités. La première illusion géopolitique est sa conviction qu’ils ont détruit l’empire soviétique. La réalité est beaucoup plus prosaïque.
Les moudjahidines, devenus jihadistes, ont rapidement oublié qu’ils n’ont été que des instruments des Américains dans le jeu d’échec de la guerre froide. Quand un intellectuel, un penseur ou un universitaire se trompe, c’est juste une hypothèse de travail qui n’a pas fonctionné. Mais quand un homme politique, un homme d’Etat ou le chef d’une organisation politique se trompe, les conséquences se paient cash. Cette illusion géopolitique de Zawahiri a été très chèrement payée par Al Qaeda, mis à genoux par les Américains, et qui sera supplanté par Daesh.
Aujourd’hui, les jihadistes sont en train de se bercer d’illusions géopolitiques en célébrant la victoire des «jihadistes en sandales» sur l’armada américaine. Para­doxalement, toute la galaxie jihadiste mondiale s’agrippe à cette illusion géopolitique, sauf les talibans.
Les Américains sont partis après avoir obtenu des garanties que les talibans ne vont pas transformer l’Afghanistan en sanctuaire terroriste et ils ne le feront pas pour deux raisons. Premièrement, les talibans ont payé au prix fort l’hospitalité accordée à Al Qaeda, et deuxièmement, contrairement à Al Qaeda ou à Daesh, ils n’ont jamais eu une ambition internationale ou même l’idée d’exporter leur conception primitive de la religion et leurs pratiques moyenâgeuses. En d’autres termes, pour les Américains, la liberté et la démocratie en Afghanistan ne valent pas une guerre, car elles étaient les effets collatéraux de la traque contre Al Qaeda. Les Afghans, au contraire, se sont bernés d’illusions géopolitiques comme c’est peut-être le cas de la Chine qui relance le jeu d’échec stratégique sur Taiwan. La démocratie en Afghanistan ne vaut pas une guerre, mais protéger Taiwan en vaut une pour les Américains. D’ailleurs, c’est pour se concentrer sur la nouvelle guerre froide avec la Chine que les Américains se désengagent du Moyen Orient et de l’Asie Centrale. Dans les enjeux en Afghanistan, nous avons des illusions géopolitiques, mais aussi la constance de réalités historiques, et l’attentat de l’aéroport de Kaboul rappelle la Grande histoire de la région.
L’attentat a été revendiqué par l’Etat islamique au Khorasan (le pays du Soleil en Perse, ancien nom de l’Afghanistan, mais une des régions de l’Iran actuel), qu’on rencontre aussi chez l’incontournable Omar Khayyam. Rien que le retour et le recours au Khorasan montre que cette région fait partie de la zone d’influence historique de la Perse, et par conséquent, l’Iran sera un des acteurs majeurs de l’Afghanistan post-américain, de même que la Chine et le Pakistan qui a créé les talibans, comme le Dr Frankenstein, et la Russie qui ne voudra pas d’une contagion jihadiste dans les ex-Etats soviétiques restés dans sa zone d’influence.
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